Pakistan : la douce revanche de Nawaz Sharif

En 1999, le très conservateur Nawaz Sharif avait été chassé du pouvoir par les militaires, dans des circonstances humiliantes. Après les législatives du 11 mai, il est assuré de redevenir Premier ministre.

LE chef de file du PML-N, dans sa ferme près de Lahore, le 13 mai. © AFP

LE chef de file du PML-N, dans sa ferme près de Lahore, le 13 mai. © AFP

Publié le 27 mai 2013 Lecture : 6 minutes.

Avec 127 sièges sur 272, la Ligue musulmane du Pakistan Nawaz (PML-N, selon son sigle anglais) a remporté les élections législatives du 11 mai, mais sans obtenir la majorité absolue. Le grand parti conservateur est néanmoins assuré de diriger la coalition qui gouvernera le pays au cours des cinq prochaines années.

Cette victoire est une sacrée revanche pour Nawaz Sharif (63 ans), son chef, qui, après une interminable traversée du désert – quatorze ans ! -, va accéder à la primature pour la troisième fois. Entré en politique il y a trente ans, il avait été chassé du pouvoir par les militaires en 1999 dans des circonstances aussi rocambolesques qu’humiliantes. Il a connu la prison, l’exil, l’interdiction d’exercer des mandats politiques… Ironie de l’histoire, son retour survient au moment précis où le général Pervez Musharraf, l’homme qui l’avait déposé et placé en résidence surveillée, est lui-même rattrapé par la justice et confiné dans sa maison d’Islamabad !

Pour les talibans, le scrutin était "non islamique". Raison pour laquelle ils ont semé la terreur.

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Au-delà du cas personnel de Sharif, ce scrutin législatif est une victoire de la démocratie au Pakistan. L’histoire de ce pays né de la partition, dans des circonstances tragiques, de l’Empire des Indes britannique est en effet jalonnée de coups d’État : trois depuis 1947. C’est la première fois qu’un gouvernement civil va passer le relais à un autre gouvernement civil au terme normal de son mandat. Ce succès est d’autant plus probant que la participation au vote a été très importante, en dépit de la menace des talibans. Ces derniers, qui avaient décrété la consultation « non islamique », ont fait régner la terreur pendant la campagne et multiplié les attentats : 150 morts au total. Ils avaient promis de s’en prendre physiquement aux Pakistanais qui tenteraient d’accomplir leur devoir électoral, mais ces derniers ne se sont pas laissé impressionner. Selon la commission électorale, ils ont été 60 % à voter. C’est le taux le plus élevé depuis les premières élections, en 1977 !

Scandales

Le scrutin a également été marqué par la percée de l’ex-star du cricket Imran Khan, très populaire chez les jeunes, et par l’effondrement du Parti du peuple pakistanais (PPP), la formation du clan Bhutto, qui paie sa gestion catastrophique et la multiplication des scandales de corruption et de népotisme. Le PPP reste toutefois dominant dans son fief du Sind, l’une des quatre provinces constitutives du Pakistan.

Reste à savoir si l’« ethnicisation » du vote dénoncée par certains analystes ne risque pas, à terme, de mettre à mal la cohésion de la fédération. Le danger est d’autant plus réel que Nawaz Sharif est pour sa part originaire du Pendjab, la province la plus peuplée et la plus riche du pays, qu’il dirigea naguère avant d’en confier les rênes à son frère. L’homme fort du Pendjab, comme on le surnomme, en est bien conscient, raison pour laquelle il a invité, dès l’annonce de sa victoire, « tous les partis à s’asseoir autour d’une table pour tenter de résoudre les problèmes du pays ».

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Ces problèmes sont nombreux, mais l’état de l’économie est sans nul doute le plus grave. Partisan de l’économie de marché, Sharif jouit d’une réputation de bon gestionnaire. Héritier d’une famille d’industriels qui a fait sa fortune dans l’acier, il connaît aussi bien le monde du travail que celui des affaires. Mais la tâche qui l’attend est herculéenne, le pays étant au bord de la banqueroute. Les réserves de change n’ont jamais été aussi maigres et ne permettent plus de financer qu’un mois et demi d’importations. Le nouveau Premier ministre va devoir lancer un vaste programme de construction d’infrastructures, notamment des centrales électriques pour remédier à la grave crise énergétique, et engager une vaste réforme afin d’élargir l’assiette de l’impôt, qui n’est plus aujourd’hui payé que par 1 % de la population. C’est à cette condition qu’il pourra négocier avec le FMI l’octroi d’une nouvelle aide de plusieurs milliards de dollars.

Pourparlers

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Mais il lui faudra aussi convaincre les États-Unis, son principal bailleur de fonds, de sa détermination à combattre les talibans. Pendant la campagne, il a suggéré d’ouvrir des pourparlers de paix. Il aura du mal à conserver ce cap, sauf si les Américains admettent la nécessité de trouver un terrain d’entente avec les insurgés islamistes afin d’assurer la sécurité de la région après le retrait d’Afghanistan des forces de l’Otan, en 2014.

Mais c’est de ses relations avec les militaires que, pour l’essentiel, dépendra la longévité au pouvoir de Nawaz Sharif. Or celui-ci n’a jamais fait mystère de sa position. Pour lui, « le chef de l’armée travaille sous l’autorité du gouvernement fédéral et applique sa politique fédérale ». Ailleurs, cela paraîtrait une évidence. Mais au Pakistan, cette exigence passe mal auprès de l’état-major, qui a toujours disposé de prérogatives exorbitantes en matière de défense et de politique étrangère.

Mariam Abou Zahab : "Ils ont voté pour un sauveur !"

Le scrutin législatif du 11 mai a-t-il été démocratique ? Oui et non, répond l’islamologue Mariam Abou Zahab*.

Jeune Afrique : La victoire de Nawaz Sharif est-elle une bonne nouvelle pour la démocratie ?

MARIAM ABOU ZAHAB : Oui, dans la mesure où les Pakistanais se sont déplacés en nombre, malgré les violences qui ont marqué la campagne et les menaces d’attentat le jour du scrutin. Non, puisque les élections n’ont pas été vraiment libres et équitables. Seuls la Ligue musulmane de Nawaz Sharif [PML-N] et le Tehreek-e-Insaf [PTI, Mouvement pakistanais pour la justice] d’Imran Khan ont en effet pu faire vraiment campagne. Les partis de la coalition sortante [PPP-ANP-MQM] en ont été empêchés par les menaces des talibans.

Comment s’explique le rejet massif du PPP ?

Par la corruption et l’incapacité du gouvernement à résoudre les problèmes économiques : inflation, chômage, coupures d’électricité et de gaz… Au Pendjab, le vote en faveur de la PML-N et du PTI est largement un vote anti-PPP. Celui-ci est devenu un parti sindhi [le Sind est la province la plus méridionale du pays], ce qui ne signifie pas qu’il soit définitivement marginalisé.

La cohabitation entre le président Zardari et son Premier ministre s’annonce tendue !

Nawaz Sharif a déclaré qu’il ne ferait rien pour contraindre le président à démissionner avant la fin de son mandat. Mais, au vu du résultat des élections, plusieurs hauts responsables du PPP ont déjà démissionné de leurs fonctions.

La politique étrangère est traditionnellement la chasse gardée des militaires. Sharif aura-t-il les mains libres en ce domaine ?

L’armée essaiera probablement de ralentir le processus de rapprochement avec l’Inde. Et elle continuera de conduire la politique afghane, avec le consentement du gouvernement. Mais les militaires, qui se sont tenus en retrait des élections, conservent des intérêts économiques considérables. Or l’amélioration de la situation économique passe par l’apaisement des tensions avec les pays voisins.Quelle lecture faites-vous de la large mobilisation des femmes, des minorités et des transsexuels dans la campagne électorale ?

Les transsexuels, qui ont été reconnus comme le troisième sexe par la Cour suprême en 2011, ont présenté plusieurs candidats et fait campagne sans problème. Les candidats des minorités ont bénéficié d’une couverture médiatique importante. Quant aux femmes, celles de la classe moyenne urbaine se sont mobilisées en faveur d’Imran Khan en raison de son charisme et de ses promesses de changement. Comme d’habitude, les Pakistanais ont voté pour un sauveur ! Propos recueillis par Tirthankar Chanda

* Professeur à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), à Paris, spécialiste de l’Asie du Sud.

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