Football : taxe à 75%, la France contre son camp ?

La taxe à 75 % sur la tranche des revenus supérieure à 1 million d’euros par an sera finalement payée non par les footballeurs mais par les clubs pros. Qui s’estiment lésés par rapport à leurs rivaux européens.

Avec la taxe à 75%, le foot professionnel français est en ébullition. © Laurent Blacher

Avec la taxe à 75%, le foot professionnel français est en ébullition. © Laurent Blacher

Alexis Billebault

Publié le 25 mai 2013 Lecture : 4 minutes.

François Hollande voit le nombre de ses partisans se réduire comme peau de chagrin. Et ce n’est sans doute pas dans les vestiaires des clubs professionnels de football qu’il va pouvoir chercher de nouveaux soutiens. « Les footballeurs votent majoritairement à droite, commente Cédric Kanté, l’international malien du FC Sochaux. Et je ne pense pas que la taxe à 75 % soit de nature à inverser la tendance. Même si ce ne sont pas les joueurs qui paieront, l’ensemble du football pro est concerné. Il y a un consensus pour dire que cette mesure sera économiquement inefficace. »

Le projet de taxer plus lourdement les revenus supérieurs à 1 million d’euros par an était une promesse électorale du candidat Hollande. À l’origine, cet impôt devait être acquitté par les salariés concernés. Mais le 29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel a retoqué le dispositif. Les principaux acteurs du foot français s’en sont réjouis. Ils avaient tort. Car le 28 mars le chef de l’État en a rendu publique une nouvelle version : ce sont désormais les entreprises versant des salaires supérieurs à 1 million d’euros qui seront appelées à payer la taxe, pendant deux ans (en principe). Et le foot professionnel français est en ébullition.

Équipe moins fortes, spectateurs moins nombreux, recettes – et rentrées fiscales – en baisse …

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Président de l’Union patronale des clubs professionnels de football (UCPF) et du Havre Athletic Club (Ligue 2), Jean-Pierre Louvel a été l’un des premiers à dégainer. « C’est une catastrophe à double effet, explique-t-il. Alors que le déficit cumulé des clubs pros atteint 100 millions d’euros, cette nouvelle taxe va coûter au total entre 82 millions et 100 millions supplémentaires. Soit entre 12 millions et 15 millions par an pour des clubs comme Marseille ou Lyon. Seuls le Paris SG et Monaco pourront s’en acquitter sans problème. Les autres devront se séparer de leurs meilleurs joueurs. Cela nuira à leur compétitivité face à leurs rivaux européens. » Même Daniel Masoni, président d’un club (Troyes) où aucun salaire ne dépasse 30 000 euros par mois, se montre solidaire : « Si les grosses équipes perdent leurs meilleurs joueurs, nous en subirons le contrecoup car moins de spectateurs viendront au stade. Un club formateur comme le nôtre risque de voir partir ses jeunes plus vite que prévu, sans espoir d’un retour sur investissement. »

"Dogmatisme"

Hollande semble pourtant résolu à aller jusqu’au bout. « Essentiellement par dogmatisme, pour ne pas déplaire à une partie de son électorat, mais il n’a pas mesuré les conséquences de sa décision », estime Kanté. « Il y aura un impact sur tous les clubs. Les équipes seront moins fortes, les spectateurs moins nombreux, les recettes moins importantes, et les rentrées fiscales aussi. Nous estimons qu’entre 5 000 emplois (directs) et 25 000 emplois (indirects) sont ainsi menacés », reprend Louvel. L’obstination du gouvernement est d’autant plus surprenante que la mesure ne devrait rapporter qu’entre 210 millions et 500 millions d’euros. « Un joueur ou un entraîneur qui gagne plus de 1 million par an est aujourd’hui taxé à hauteur de 45 %, dit encore l’international malien. Quelqu’un qui a ce niveau de revenus injecte beaucoup d’argent dans l’économie, via des opérations qui sont soumises à la TVA. Si ces gens partent à l’étranger, le coût final sera bien supérieur à ce qu’apportera la nouvelle taxe. Et c’est un très mauvais signal donné aux investisseurs étrangers. »

Président de l’Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP), Philippe Piat n’est pas sorti très rassuré de sa dernière rencontre avec Valérie Fourneyron, la ministre des Sports. « Quand je lui ai demandé si elle préférait voir les footballeurs payer leurs impôts et dépenser leur argent à l’étranger, elle m’a répondu que c’était une question d’image. Vu comme ça, il va en effet être difficile de s’entendre, grince le syndicaliste. Cette loi ne devait pas concerner les PME, autrement dit les entreprises de moins de 500 salariés dont le chiffre d’affaires est inférieur à 500 millions d’euros. Or aucun club de foot n’arrive à ce chiffre. Et puis il y a encore beaucoup de flou. Faudra-t-il intégrer les primes de résultats ? La taxe sera-t-elle calculée sur le salaire net ou sur le brut ? Sur l’année civile, sachant que les contrats des joueurs vont du 1er juillet au 30 juin ? » Autant de questions que Jeune Afrique aurait aimé poser à Valérie Fourneyron et à Pierre Moscovici, son collègue des Finances. Mais ni l’un ni l’autre n’ont donné suite à nos demandes d’interview.

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3 questions à Bernard Caïazzo

Président du comité de surveillance de l’AS Saint-Étienne et vice-président de la Ligue de football professionnel.

Jeune Afrique : Le monde du football professionnel est très remonté contre ce projet de taxation à 75 %…

BERNARD CAÏAZZO : Oui, car c’est un non-sens économique ! Le gouvernement fait preuve de dogmatisme en faisant croire qu’il faut prendre aux riches. Or seuls le Paris Saint-Germain et Monaco, les deux clubs les plus riches de France, pourront faire face au coût de cette mesure. C’est une folie. Seuls des gens qui ne connaissent rien au football peuvent penser qu’il est possible de verser aux joueurs des salaires de 10 000 euros par mois, comme en Albanie ou en Bulgarie !

Craignez-vous des dépôts de bilan ?

Oui, dès cet été. Le foot français est déjà endetté. Depuis deux ans, ses charges ont augmenté de 100 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires de 1 milliard. En 2010, le droit à l’image collective (DIC) a été supprimé, ce qui lui a coûté 60 millions. Le foot français paie déjà chaque année 650 millions d’euros d’impôts. C’est le pigeon du système. Artistes et chefs d’entreprise pourront refaire leurs contrats. Pas nous, car dans le foot on ne signe que des CDD !

Valérie Fourneyron, la ministre des Sports, soutient la mesure sans réserve…

Quand de gros contribuables seront partis et qu’ils n’injecteront plus d’argent dans l’économie du pays, que plus aucun grand joueur ne viendra en France, que des clubs auront déposé le bilan et que des milliers d’emplois auront été détruits, il ne faudra pas se plaindre. Mme Fourneyron ne jure que par le sport amateur, alors que le foot pro amène du bonheur aux gens. Mais on ne va pas en rester là. J’espère que le bon sens finira par prévaloir. Propos recueillis par A.B.

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