États-Unis : la fusée Hillary sur orbite

L’ancienne secrétaire d’État songe très sérieusement à briguer la Maison Blanche en 2016. Son principal handicap ? L’embarrassante affaire de l’attaque du consulat à Benghazi, dont les républicains veulent faire un nouveau Watergate.

L’ancienne secrétaire d’État Hilary Clinton. © AFP

L’ancienne secrétaire d’État Hilary Clinton. © AFP

Publié le 21 mai 2013 Lecture : 6 minutes.

Hillary Clinton sera-t-elle candidate à l’élection présidentielle de 2016 ? À un peu plus de neuf cents jours de la première primaire démocrate, dans l’État de l’Iowa, les spéculations vont bon train. L’intéressée entretient le suspense, mais de nombreux signes plaident en faveur de cette hypothèse. L’un de ses conseillers n’en fait pas mystère : il y a davantage de chances qu’elle y aille que le contraire. Il se risque même à un pronostic chiffré : 75 % contre 25 %. Mme Clinton, qui, à en croire les sondages, est aujourd’hui la femme la plus populaire du pays, a une conscience aiguë de sa place dans l’Histoire. Peut-elle résister à l’envie de devenir la première femme à diriger la première puissance mondiale ?

Une chose est sûre. Si elle décidait de se présenter, Hillary Clinton, 65 ans, l’emporterait sans coup férir. Selon un récent sondage de la Quinnipiac University, elle battrait à plate couture ses deux adversaires républicains les plus probables : Jeb Bush, ancien gouverneur de Floride et frère cadet de qui vous savez, et Marco Rubio, actuel sénateur de ce même État. Vingt-quatre ans après, un nouveau duel Clinton-Bush n’est donc pas à exclure en 2016.

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Quant aux primaires démocrates, l’entrée en lice de Clinton simplifierait la situation. À en croire un conseiller du vice-président Joe Biden, celui-ci y regarderait à deux fois avant d’affronter l’ancienne secrétaire d’État, même s’il n’exclut pas complètement cette éventualité. En revanche, Andrew Cuomo, l’ambitieux gouverneur de l’État de New York, a fait savoir qu’il jetterait l’éponge… D’autant que nombre d’observateurs sont convaincus que Barack Obama a déjà adoubé Clinton. Au début de l’année, il a donné en sa compagnie une interview au cours de laquelle il a multiplié les amabilités : « Quoi qu’elle choisisse de faire, Hillary restera à l’avenir un leader… » Manifestement, les tensions de 2008 ne sont plus qu’un vieux souvenir.

Pour l’instant, l’intéressée affirme vouloir prendre du recul. N’est-elle pas sous les feux de la rampe depuis l’élection de Bill, son mari, en 1992 ? Mais elle fera ce qu’il faut pour ne pas disparaître des écrans radars jusqu’aux élections de la mi-mandat, en novembre 2014, puisque c’est semble-t-il à cette date qu’elle a l’intention d’annoncer sa décision. Début avril à New York, lors du sommet annuel des femmes, elle a ainsi évoqué les combats futurs de son pays en ce qui concerne les droits des femmes. « C’est ainsi que l’Amérique devra diriger », a-t-elle répété. Elle a aussi posté sur internet une vidéo pour annoncer, dans un style très présidentiel, son soutien au mariage homosexuel.

"Super pac"

Hillary, qui n’a plus de fonction officielle – avant d’être secrétaire d’État, elle fut sénatrice de l’État de New York de 2001 à 2009 -, n’est pas pour autant redevenue une citoyenne comme les autres. À Washington, elle a constitué autour d’elle une équipe de six personnes et ouvert un site internet qui compile ses principales interventions depuis qu’elle a quitté le département d’État, le 1er février. Surtout, un « super PAC » (political action committee, un comité de financement aux capacités quasi illimitées) vient d’être créé par plusieurs de ses amis. Son nom est à lui seul tout un programme : Ready for Hillary. Selon son directeur, les gros donateurs démocrates n’attendent qu’un signe d’elle pour se mettre en ordre de bataille. De son côté, elle s’emploie à constituer un trésor de guerre. Elle vient de signer un contrat avec Harry Walker, une agence de communication très cotée spécialisée dans les discours de personnalités, qui représente entre autres Dick Cheney, Ehoud Barak et… Bill Clinton. Le 24 avril, elle a prononcé un discours grassement rémunéré (une personnalité de son calibre touche entre 150 000 et 300 000 dollars – entre 115 500 et 231 000 euros – pour une prestation de ce type) devant le Conseil national de l’habitat, à Dallas. Dans le passé, il lui est arrivé d’empocher jusqu’à 750 000 dollars pour un seul discours ! Elle a aussi touché un à-valoir de 4 millions de dollars pour le livre qu’elle prépare sur ses années au département d’État. C’est deux fois moins que pour son précédent ouvrage, Mon histoire (2003), dans lequel elle évoquait la torride et pathétique affaire Monica Lewinsky, dans laquelle son mari eut la faiblesse de se laisser piéger. Au total, la fortune du couple Clinton est estimée à 14 millions de dollars.

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Mais le principal argument en faveur d’une candidature de Hillary reste sa popularité. En dépit d’un bilan contrasté au département d’État (lire encadré), 67 % des Américains jugent favorablement son action. Elle est pour l’instant plus ou moins épargnée par le scandale provoqué par l’attaque lancée en septembre 2012 contre le consulat américain de Benghazi. Celui-là même qui avait fait capoter la candidature de Susan Rice à sa succession.

C’est comme ça : exception faite des ultraconservateurs les plus bornés, ses compatriotes l’adorent. Sans doute parce qu’elle leur ressemble. Grosse travailleuse, c’est une intellectuelle pointue (elle est notamment diplômée de Yale) qui a su rester accessible. En 2012, en marge du sommet des Amériques à Carthagène, en Colombie, elle avait été surprise par un photographe alors que, visiblement éméchée, elle dansait avec des membres de son staff dans un bar. Le cliché avait fait la une de tous les tabloïds… On l’aime aussi pour sa capacité de rebond, comme après l’affaire Lewinsky. Elle pourrait reprendre à son compte le surnom dont son mari fut longtemps affublé : Comeback Kid. Ses convictions progressistes en font aussi la chouchoute des jeunes. Personne n’a oublié qu’en 1994 elle avait tenté de faire adopter un ambitieux plan de création d’une assurance maladie universelle, malheureusement rejeté par le Congrès.

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Thrombose

Deux facteurs pourraient néanmoins influer négativement sur sa décision. D’abord, son âge : elle aura 69 ans en 2016. Ensuite, son état de santé : à la fin de l’année dernière, complètement surmenée, elle avait dû être hospitalisée pour une thrombose, un caillot de sang dans la tête. Et puis, on ne sait si la crainte de rouvrir d’anciennes blessures – de l’affaire Lewinsky au scandale Whitewater (opérations immobilières suspectes entreprises en 1992 par le couple Clinton) – est susceptible de la faire reculer. D’autant qu’elle risque de traîner longtemps l’affaire de Benghazi comme un boulet.

Peut-être aussi voudra-t-elle préserver Chelsea, sa fille unique, qui s’est mariée en 2010 et dont l’embauche, l’année suivante, comme « correspondante spéciale » par la chaîne NBC avait fait jaser. Quant à Bill, qui aura 70 ans en 2016, il n’est manifestement pas au mieux de sa forme. On peut douter qu’il ait la force de soutenir son épouse aussi énergiquement qu’il le fit en 2012 pour Obama.

Mais le chemin qui mène à la présidentielle est encore long. On ne peut exclure un effondrement prématuré de Hillary, comme lors des primaires démocrates face à Obama, en 2008. Et puis, qui sait si les Américains ne finiront pas par se lasser ? Il est en effet très rare qu’un parti reste au pouvoir pendant douze longues années… Même si, contre toute attente, Mme Clinton venait à renoncer, l’Amérique n’en aurait pas forcément fini avec la dynastie. La jeune Chelsea ne vient-elle pas d’avouer publiquement son désir de se lancer un jour en politique ?

Ben Laden, Kadhafi… et le reste

Elle a parcouru plus de 1 million de kilomètres et visité 112 pays : Hillary Clinton aura sans nul doute beaucoup de choses à raconter dans le livre – son cinquième – qu’elle prépare sur ses années au secrétariat d’État – sortie prévue au cours de l’été 2014. L’élimination d’Oussama Ben Laden, le renversement de Mouammar Kadhafi et son action en faveur des droits des femmes devraient en constituer les morceaux de bravoure.

Mais Hillary devra aussi s’expliquer sur son rôle lors de l’attaque du consulat à Benghazi, qui, le 11 septembre 2012, coûta la vie à quatre Américains, parmi lesquels l’ambassadeur Christopher Stevens. Les républicains, qui dirigent l’une des commissions chargées d’enquêter sur l’affaire, accusent la Maison Blanche d’avoir, dans un premier temps, tenté d’occulter la nature terroriste de l’attaque. Très remontés, ils promettent un nouveau Watergate, ce qui serait évidemment de nature à hypothéquer les chances de Hillary en 2016.

On imagine que cette dernière s’efforcera aussi de répondre aux critiques concernant l’excessive centralisation de la politique étrangère américaine autour de la Maison Blanche et, par ailleurs, le refus d’Obama de livrer des armes aux rebelles syriens. Encore que le dernier mot à ce sujet ne soit sans doute pas dit : le président est, paraît-il, « en pleine réflexion » Jean-Éric Boulin. 

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