Israël : le Dôme de fer, bouclier ou passoire ?

Opérationnel depuis 2011 en Israël, le système Dôme de fer est censé neutraliser les roquettes en plein vol. Mais certaines voix se sont élevées pour dénoncer son coût exorbitant et mettre en doute son efficacité.

Tir d’un missile dans le sud d’Israël, le 18 novembre 2012. © Reuters

Tir d’un missile dans le sud d’Israël, le 18 novembre 2012. © Reuters

Publié le 28 mai 2013 Lecture : 7 minutes.

À peine descendu d’Air Force One pour sa première visite en Israël le mois dernier, Barack Obama s’est vu proposer d’inspecter l’une des batteries de missiles d’Iron Dome [littéralement : le « dôme de fer »], installée à son intention à l’aéroport Ben-Gourion. Si un produit devait résumer la haute technologie militaire israélienne, c’est bien ce système de défense aérien ultrasophistiqué. Le Dôme de fer a protégé le pays des roquettes Qassam et Grad tirées par le Hamas depuis la bande de Gaza lors des huit jours de l’opération Pilier de défense, lancée par l’État hébreu en novembre 2012. Selon le ministre israélien de la Défense, le taux de réussite de ce dispositif a été de 80 % pendant toute la durée de l’offensive, qui a fait 170 morts côté palestinien et 6 côté israélien.

Conçu pour intercepter les roquettes de courte portée, Iron Dome est à la fois le plus petit et le plus connu des composants du système de défense aérien israélien, lequel comprend plusieurs niveaux, car il a été développé pour détruire tout type de missile, quelle que soit sa portée, y compris donc ceux tirés depuis l’Iran.

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Controverse

Pourtant, le mythe Iron Dome, savamment entretenu en Israël, a été passablement écorné. De nombreuses voix se sont récemment élevées pour mettre en doute son rapport efficacité-prix et sa précision. Ces doutes sont venus alimenter une remise en question plus large du bien-fondé de la politique israélienne de défense et de sécurité dans une région instable agitée par de multiples conflits et soulèvements populaires. Pour l’instant, ces critiques sont l’apanage d’un petit nombre de voix discordantes, pour la plupart hors de l’État hébreu. Mais si la controverse s’étendait, cela pourrait porter atteinte à l’ambition israélienne de faire de son Iron Dome un produit d’exportation lucratif. Les États-Unis, qui ont contribué à hauteur de 200 millions de dollars (154 millions d’euros) à la construction du système et injecté une rallonge de 680 millions de dollars, sont un client potentiel. La Corée du Sud, l’Inde, Singapour et la Pologne auraient fait part de leur intérêt ou envisageraient de l’acquérir.

L’entreprise publique qui a développé Iron Dome, Rafael Advanced Defense Systems, tire une grande fierté de l’efficacité de son nouveau système. Lorsque Yossi Horowitz, directeur marketing et développement commercial, nous reçoit, il s’empresse de nous faire une simulation. En quelques clics sur son ordinateur, il fait bouger l’une des six ailettes latérales avant du missile Tamir qui permettent de le diriger vers la roquette visée. Au moment de l’impact, le Tamir en fait exploser l’ogive afin de la neutraliser. Quand elle parle de son système, l’entreprise Rafael en vante non seulement l’efficacité, mais aussi le rapport coût-efficacité. Les moteurs électriques utilisés pour activer les ailettes sont fabriqués par le marchand de jouets américain Toys R Us. « Ils ne sont pas chers et cela nous suffit », explique Horowitz avec un sourire.

Selon des experts en balistique, le taux de réussite est très inférieur aux 80% affichés.

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Critiques

L’entreprise Rafael travaille également à contrer les menaces plus lointaines. Dans le hall de la firme, à côté du missile Tamir, trône le Stunner, un composant d’un autre système antimissile baptisé David’s Sling [littéralement : « la fronde de David »], qui devrait être déployé fin 2014. Développé conjointement avec l’américain Raytheon, spécialisé dans l’armement et l’aérospatiale, il a été conçu pour intercepter les missiles de moyenne portée que pourraient tirer le Hezbollah ou l’un des groupes armés syriens. En février, Israël a également testé Arrow 3, qui sera le composant le plus avancé technologiquement de son bouclier antiaérien. Il pourra atteindre tout missile de croisière tiré depuis des milliers de kilomètres et l’intercepter avant qu’il ne pénètre dans l’atmosphère. « Israël garde la main tendue pour la paix, a déclaré le Premier ministre, Benyamin Netanyahou, mais nous nous préparons aussi à toute autre éventualité. »

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De tous ces systèmes, Iron Dome est celui qui essuie le plus de critiques. Des experts en balistique ont examiné attentivement des séquences de vidéos amateur tournées pendant l’opération Pilier de défense et les ont analysées à la lumière des informations publiquement accessibles sur les tirs de roquettes sur le sud d’Israël. D’après leurs calculs, le taux de réussite du système Iron Dome serait très inférieur aux 80 % affichés officiellement. Le ministère israélien de la Défense rétorque que les critiques mettant en doute l’efficacité du système sont infondées et s’appuient sur de fausses informations. Selon des responsables du ministère, elles sont d’ailleurs très peu nombreuses et reposent sur des vidéos amateur publiées sur YouTube, réalisées pour la plupart à partir de téléphones mobiles.

Le précédent Patriot

Selon le ministère, le problème de ceux qui remettent en question l’efficacité du système, c’est qu’ils n’ont pas accès aux informations classifiées qui en décrivent le fonctionnement. « L’État d’Israël est le premier pays au monde à s’être doté d’un système de protection qui intercepte les roquettes de courte portée, explique le ministère. Les responsables des services de sécurité sont tout à fait satisfaits des résultats obtenus jusque-là et vont commander la mise en place de nouvelles batteries antimissiles de type Iron Dome. » En face, les critiques sont tout aussi catégoriques. Certains rappellent le précédent des Patriot, censés détruire en plein vol les Scud tirés par l’Irak sur l’État hébreu lors de la première guerre du Golfe, en 1991. Ces missiles avaient d’abord été vantés pour leur précision, avant que leur très faible efficacité n’éclate au grand jour. Et les détracteurs d’Iron Dome d’enfoncer le clou : en plus des milliards de dollars que cela coûte aux contribuables israéliens et américains, des vies sont en jeu. « Si Netanyahou provoque une guerre avec l’Iran, Israël sera la cible de tirs de roquettes depuis Gaza, mais aussi depuis le Liban, au nord, avec le Hezbollah, avertit Theodore Postol, le physicien qui avait mis en lumière les insuffisances des missiles Patriot. Si on dit aux gens que ce système les protège, de nombreux Israéliens pourraient se dispenser d’aller se réfugier dans un abri, et le nombre de victimes pourrait alors sérieusement augmenter. »

La défense antimissile a une longue histoire. Israël a commencé à développer le système Arrow avec les Américains dès la fin des années 1980. Comme l’explique un responsable de l’industrie israélienne de la défense, le principe de base était d’« essayer de toucher une balle avec une autre balle ». Le gouvernement et le Congrès américains soutiennent aujourd’hui encore le programme Arrow à hauteur de 150 millions de dollars par an. Mais certains analystes sont convaincus qu’un système comme Iron Dome est inutilement onéreux, précisément parce qu’il a recours à un missile pour abattre un autre missile. Ils soutiennent que les systèmes à laser de défense aérienne, comme le système Adam, en cours de développement par Lockheed Martin, peuvent détruire des missiles en pleine course pour un coût nettement inférieur. « Le problème qui va bientôt se poser à Israël – et donc aux États-Unis, qui financent massivement ce système – est que le coût des actuels missiles d’interception est plusieurs fois supérieur à celui des roquettes », explique Peter Singer, spécialiste des questions de sécurité et de défense pour le think tank Brookings Institution de Washington. Rafael refuse de discuter dans le détail le coût de son système, se contentant de rappeler qu’un Tamir d’Iron Dome coûte moins de 100 000 dollars. Pour éviter de gaspiller des missiles, le système est par ailleurs conçu pour anticiper la trajectoire des roquettes et n’intercepter que celles qui vont frapper des zones habitées.

Un Tamir coûte 100 000 dollars environ, contre quelques centaines de dollars pour une roquette…

Système antimissile à laser

Après avoir remporté l’appel d’offres pour développer Iron Dome en 2007, Rafael s’est plié à des contraintes budgétaires rigoureuses imposées par son client, le ministère de la Défense. Outre l’achat de moteurs bon marché, plusieurs mesures ont été prises pour réduire les coûts. Ainsi a-t-on construit le moteur principal des missiles en aluminium et fait en sorte que le radar ne s’enclenche qu’au moment crucial, juste avant que le missile n’intercepte la roquette ennemie.

Des responsables israéliens de la Défense indiquent que le pays travaille aussi sur un système antimissile à laser. Mais, selon eux, l’État hébreu doit pouvoir se défendre sans attendre que celui-ci soit au point, et il le fait avec ce qui demeure le meilleur bouclier antimissile actuellement disponible. « Le laser à haute énergie est une arme d’avenir, reconnaît un haut responsable du ministère. En attendant, le système Iron Dome est la meilleure solution et, à vrai dire, c’est la seule. »

Rafael refuse de commenter ces observations qui compromettent l’avenir de son système fétiche et persiste à défendre son efficacité. Un responsable de l’industrie de la défense rappelle que, sur les 1 500 roquettes tirées depuis Gaza en novembre dernier, environ 500 visaient des villes, mais pas plus d’une centaine les ont effectivement atteintes. « Si le taux de réussite [du système antimissile] était de seulement 5 % à 10 % [comme le prétendent ses détracteurs], alors où sont passées les autres roquettes ? » s’interroge-t-il. Avocats et détracteurs du système Iron Dome sont cependant d’accord sur une chose : pour l’État hébreu, les enjeux d’un bouclier antimissile sont considérables. Comme le rappelle Uzi Rubin, fondateur du programme israélien antimissile, « quiconque choisira d’engager la guerre avec l’Iran devra comprendre que ce ne sera pas une partie de plaisir ».

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