Mohamed Lemine Ould Dadde : « J’ai été victime d’une machination »
Condamné à trois ans de prison ferme et à une lourde amende pour détournement de fonds, l’ex-commissaire aux droits de l’homme, finalement libéré sous caution, continue de clamer son innocence. Et de dénoncer les alliances tribales.
Le 26 décembre 2012, il sortait de la prison civile de Nouakchott libre, mais gravement malade. Aujourd’hui, Mohamed Lemine Ould Dadde, 45 ans, va beaucoup mieux et prépare un livre. Accusé d’avoir détourné dans l’exercice de ses fonctions 271 millions d’ouguiyas (770 000 euros), l’ancien commissaire mauritanien aux droits de l’homme, qui avait rang de ministre, a été limogé en août 2010, puis incarcéré dans la foulée, en septembre. Mais il ne sera jugé qu’en juin 2012. Condamné à trois ans de prison ferme et à une amende de 76 millions d’ouguiyas, il a fait appel, avant d’être finalement libéré sous caution.
Ancien président de l’organisation Conscience et Résistance, ce noble Maure de la tribu des Tagounanet, proche de la « gauche élitiste » mauritanienne, n’a jamais cessé de clamer son innocence. Et se bat pour obtenir son acquittement. Pour sa première interview depuis son arrestation, le militant antiesclavagiste a reçu J.A. dans son appartement parisien, où il habite lorsqu’il n’est pas à Nouakchott.
Jeune Afrique : Avez-vous été victime d’une machination ?
Mohamed Lemine Ould Dadde : Oui. Ce qui m’est arrivé a été orchestré par la vieille garde, qui rejette l’idée d’un changement en Mauritanie. Je suis arrivé au gouvernement au moment où le pays souffrait de trois grands maux : l’esclavage et ses séquelles [exclusion des Haratines], le passif humanitaire [retour des déportés négro-mauritaniens] et la pauvreté. Or le gouvernement auquel j’ai participé a pris son courage à deux mains pour en finir avec ces maux. Lorsque je dirigeais le Commissariat aux droits de l’homme, je suis intervenu dans toutes les régions du pays pour venir en aide concrètement aux populations et, surtout, leur redonner espoir. Ils ont voulu briser l’image d’un ministre honnête, mais ils ont échoué. Je suis intègre et je le resterai.
À qui faites-vous précisément allusion ?
À ceux qui jouaient le rôle d’intermédiaires politiques et dont le régime actuel a décidé de se passer. Je peux apporter la preuve que tout ce qui m’a été reproché n’est que pure invention. Le rapport censé m’incriminer est truffé d’erreurs. L’inspecteur qui l’a rédigé s’est permis d’évaluer lui-même les prix du marché, alors qu’une liste des tarifs avait déjà été fixée par son institution, l’Inspection générale d’État [IGE]. À aucun moment nous ne les avons dépassés.
Vous n’avez commis aucune erreur de gestion ?
Non, aucune. On m’a reproché de connaître un fournisseur sur les soixante-quinze du Commissariat. C’était un simple parent. De toute façon, ce n’est pas moi qui accordais les marchés.
Avez-vous été bien traité en prison ?
Les conditions d’incarcération sont difficiles, surtout pour un détenu politique. Je ne parle pas du confort matériel, je peux m’en passer. Mais on a cherché à me briser le moral en me maintenant à l’isolement pendant plus de neuf mois. Hormis deux visites par semaine, j’étais seul.
Vous êtes resté plus de vingt mois derrière les barreaux avant d’être enfin jugé. Vos avocats n’ont cessé de dénoncer votre « détention arbitraire ». La justice mauritanienne serait-elle aux ordres ?
S’agissant de l’illégalité de ma détention, j’ai mandaté mes avocats pour qu’ils portent plainte contre le procureur. Ensuite, je pense que les juges, qui sont des fonctionnaires, ne sont eux-mêmes pas convaincus d’être indépendants. Craignant les affectations administratives, ils cherchent à plaire à ceux qui peuvent les leur éviter. Les présidents de cours devraient être élus par un collège électoral. Ils cesseraient ainsi de s’autocensurer.
Je n’appartiens à aucun parti; je me positionne en fonction d’un pogramme.
Près de deux mois après votre libération, vous avez été reçu par le président Mohamed Ould Abdelaziz. Que vous êtes-vous dit ?
Je garderai ça pour moi.
Vous êtes actuellement en liberté provisoire. Y aura-t-il un nouveau procès ?
C’est à la justice de décider. Mais j’aimerais être acquitté, car je suis innocent. Encore une fois, je peux le prouver.
Dès les années 1990, vous militiez au sein de l’Union des forces démocratiques (UFD, ex-RFD) d’Ahmed Ould Daddah. Pourquoi avez-vous fait campagne contre vos anciens compagnons en soutenant Sidi Ould Cheikh Abdallahi au second tour de la présidentielle de 2007 ?
Entre les deux tours, il y a eu un malentendu entre l’organisation que je dirigeais à l’époque, Conscience et Résistance, et Ahmed Ould Daddah. Par conséquent, j’ai appelé personnellement à voter Sidi Ould Cheikh Abdallahi au second tour.
Êtes-vous toujours en contact avec Ahmed Ould Daddah ?
Je ne suis pas en contact régulier avec lui, mais il est comme un père pour moi. J’ai beaucoup d’estime et de considération pour lui, comme pour les autres personnalités politiques du pays.
Pourquoi avez-vous accepté, en septembre 2008, le poste que vous a proposé « Aziz » ?
Parce qu’on m’offrait la possibilité d’atteindre des objectifs pour lesquels je me suis toujours battu, qui plus est au sein d’un gouvernement qui a réalisé des avancées significatives sur les grandes questions nationales.
À quand remonte votre première rencontre avec le président Aziz ?
Je le connaissais avant 2008. Nous avions des échanges fructueux sur l’avenir du pays.
Soutenez-vous un parti politique ?
Je n’appartiens à aucun parti, ni de la majorité ni de l’opposition. Je suis une personnalité politique nationale qui se positionne par rapport à un programme. En 2009, Aziz a été élu sur la base d’un programme et non pas d’alliances tribales. Ceux qui proposeront des solutions concrètes pour la stabilité et le développement du pays me retrouveront à leurs côtés.
Aziz a-t-il eu raison de décliner la proposition du président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, visant à la formation d’un gouvernement d’union nationale ?
Lors de la présidentielle de 2009, malgré la mise en place d’un tel gouvernement, les protagonistes n’ont pas reconnu le résultat du scrutin. Plutôt que de réitérer l’expérience, mieux vaut renforcer la Ceni [Commission électorale nationale indépendante] pour organiser des élections libres et transparentes.
Comment rétablir le dialogue entre majorité et opposition ?
En démocratie, le seul juge, ce sont les urnes. Qu’ils aillent aux élections et que le meilleur gagne.
Mais la Coordination de l’opposition démocratique (COD) menace de boycotter les élections législatives et municipales, qui devraient se tenir en octobre 2013…
J’ai toujours été contre le boycott. Quand l’UFD a refusé de participer aux élections législatives et municipales en 1994, j’étais parmi ceux qui s’y étaient opposés. C’est d’ailleurs ce qui m’a poussé, avec des amis, à créer le mouvement clandestin Conscience et Résistance. Quand on ne peut pas aller aux élections, rien ne sert de créer un parti politique ! En Mauritanie, un pays démocratique, toutes les institutions ont été mises en place pour que le changement de régime passe par les urnes, et non par un coup d’État militaire ou sous la pression de la rue.
Le pays ne doit pas devenir une pépinière du jihadisme dans la région.
Faites-vous allusion au slogan « Aziz dégage ! » scandé par la COD ?
Je pense que cela ne peut pas tenir lieu de programme. Les hommes politiques devraient s’efforcer de redonner aux Mauritaniens confiance en leurs institutions plutôt que de les diaboliser. Il faut cesser de rejeter en bloc tout ce qui est entrepris.
Justement, la COD conteste la légitimité de la Ceni…
Quel que soit leur bord, les hommes politiques ne doivent pas faire passer leurs différends personnels avant leurs divergences idéologiques. Nous devons parler concrètement de politique.
La Mauritanie devait-elle participer à l’opération Serval (au Mali) ?
La Mauritanie ne doit jamais sortir de son contexte régional. Elle n’est pas membre de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest [Cedeao]. Et l’Union africaine [UA] n’a pas mandaté ses membres pour qu’ils interviennent. Elle devait d’abord, comme elle l’a fait, sécuriser ses frontières. En outre, elle se doit de bien accueillir les réfugiés maliens.
Laurent Fabius, le ministre français des Affaires étrangères, a confirmé que la Mauritanie était prête à participer à la future opération de maintien de la paix de l’ONU. Doit-elle s’engager ?
Oui, la Mauritanie doit y aller. Mais tout en continuant à renforcer la sécurité de ses frontières. Le pays ne doit pas devenir une pépinière du jihadisme dans la région.
Avez-vous servi d’intermédiaire en vue d’une négociation entre Aziz et le député français Noël Mamère, après que celui-ci a présenté le président comme le « parrain d’un trafic de drogue » ?
Pas du tout. Ce ne sont que des rumeurs.
Serez-vous candidat à l’élection présidentielle de 2014 ?
La question ne se pose pas. L’échéance présidentielle n’est pas d’actualité.
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Propos recueillis par Justine Spiegel
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