Gabon : crimes rituels, le prix du sang

Jamais encore la rue gabonaise ne s’était ainsi mobilisée contre les crimes rituels. Les hommes politiques sont montrés du doigt. Enquête sur une horreur devenue quasi hebdomadaire.

L’Association de lutte contre les crimes rituels (ALCR) a recensé 24 assassinats depuis janvier. © Célia Lebur/AFP

L’Association de lutte contre les crimes rituels (ALCR) a recensé 24 assassinats depuis janvier. © Célia Lebur/AFP

GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 28 mai 2013 Lecture : 5 minutes.

Libreville, le 11 mai dernier. Dans la capitale gabonaise, le fond de l’air est humide, comme le veut la saison, et étrangement anxiogène. Ce matin-là, la population est descendue dans la rue pour manifester sa colère contre les crimes rituels, cette horreur devenue quasi hebdomadaire. Depuis des mois, les morts se succèdent et la presse locale ne cache rien à ses lecteurs du martyre des victimes. L’Association de lutte contre les crimes rituels (ALCR) a recensé 24 assassinats depuis janvier 2013, pour la plupart perpétrés dans la région de Libreville.

En tête de cortège, ce 11 mai, la première dame, Sylvia Bongo, « parce qu[‘elle] veu[t] exprimer [sa] révolte, [sa] compassion et [sa] solidarité, mais aussi parce qu[‘elle] veu[t] pouvoir être en parfaite adéquation avec [ses] convictions personnelles et les valeurs morales et sociétales auxquelles [elle] adhère. » Un peu plus tard, c’est le chef de l’État, Ali Bongo Ondimba, qui promet que « les barbares ne l’emporteront pas ». « Il n’y aura pour les assassins, comme pour les commanditaires, aucune forme de clémence, poursuit-il. Nous devons bouter l’impunité hors de nos mentalités et hors de notre pays. »

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Mutilé

Longtemps niés, souvent relativisés, timidement réprimés, les crimes rituels ont fini par susciter une indignation générale jusque sur les réseaux sociaux. Le comble de l’horreur a été atteint avec la découverte du corps affreusement mutilé de la jeune Yollye Babaghéla, retrouvé le 20 janvier à Libreville. Sept adolescentes ont par la suite connu un sort similaire. Le 17 mars, le corps sans vie de la petite Astride Atsame a été retrouvé sur une plage de la capitale. Elle n’avait que 7 ans. La police a saisi des glacières dont le contenu serait destiné à approvisionner l’écoeurant marché dit des « pièces détachées ». Mais ce trafic d’organes n’est pas destiné à quelque malade en attente de greffe : les organes (langues, yeux, coeurs, oreilles et sexes…) servent à élaborer des fétiches et, même s’il est impossible de le prouver, la rue gabonaise est convaincue que les instigateurs de ce commerce macabre sont issus du marigot politique et des beaux bureaux de la haute fonction publique. Ce serait le prix à payer pour accéder au sommet. « Dans l’imaginaire collectif, pouvoir et sorcellerie sont synonymes, explique l’anthropologue Joseph Tonda, professeur à l’université Omar-Bongo de Libreville. Il y a cette idée que, pour être puissant, il faut posséder un organe de plus, notamment dans le ventre. Comme si on ne pouvait exercer le pouvoir sans l’existence et la mise en activité de cet organe. »

Dans ce procès en sorcellerie, les hommes politiques sont donc pointés du doigt. Dans leurs prêches, les nouvelles Églises évangélistes entretiennent les amalgames, assimilant sans nuance sorcellerie, satanisme et ordres initiatiques. Même les francs-maçons en ont fait les frais. « En 2009, lorsque la vidéo de l’intronisation du chef de l’État comme grand maître de la Grande Loge du Gabon a été diffusée, j’ai eu beaucoup de mal à expliquer à mes enfants que nous n’y buvions pas de sang humain », soupire un cadre d’Airtel Gabon que sa famille a, à cette occasion, découvert en tablier maçonnique.

Impunité

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Les crimes rituels ne sont pas nouveaux. Ils existaient déjà quand Omar Bongo Ondimba régnait sur le Gabon et ils ne sont même pas le seul fait des hommes politiques. Mais ils se sont multipliés ces derniers mois à mesure que le nouveau chef de l’État mettait de l’ordre dans le système hérité de son père, taillant dans les prébendes et dans certains des privilèges indus. Désormais, les places sont chères et, pour les courtisans, tous les moyens sont bons pour faire partie de l’entourage présidentiel. Le fétichisme est devenu l’indispensable ingrédient des intrigues de cour. Le catalyseur réel ou fantasmé des promotions et les disgrâces via les gangas, qui sont tout à la fois voyants, soignants et féticheurs. Amulettes, talismans et poudres de perlimpinpin, disent-ils, auraient le pouvoir de forcer le destin en favorisant une nomination à un poste juteux en influant sur l’issue d’une élection législative ou municipale ou en jetant un mauvais sort à un ennemi. Rien n’est prouvé, mais, au pays de l’iboga, les croyances ont la peau dure.

Pour exorciser ses démons, le Gabon envisage d’adapter son code pénal et de créer, ainsi que le souhaitent les associations de familles des victimes, « une infraction relative aux crimes à but fétichiste ». Le chef de l’État a évoqué la possibilité d’alourdir les sanctions encourues pour ne retenir, dans le cas de crimes rituels, que l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de remise de peine. Un voeu pieux ? Rares sont les suspects à se retrouver devant la justice, regrette Elvis Ebang Ondo de l’ALCR. « D’ailleurs, aucun commanditaire n’a jusqu’à présent été jugé. » Elvis Ebang Ondo, dont le propre fils a été assassiné (son corps mutilé a été retrouvé sur la plage de Libreville), a participé à la création de l’ALCR en 2005. Il dénonce un manque de volonté politique et affirme que les prédateurs en col blanc agissent en toute impunité, protégés qu’ils sont par le mur de la puissance et de l’argent. Le vrai chantier, renchérit l’avocate Paulette Oyane Ondo, « c’est la modernisation de tout l’appareil judiciaire ». « Il faut lui donner plus d’indépendance, créer une vraie police scientifique et former des enquêteurs spécialisés, préconise-t-elle. Alors qu’ailleurs la police scientifique peut prélever l’ADN pour confondre un criminel, au Gabon nous ne sommes même pas capables de relever des empreintes digitales. » Reste que les crimes rituels continueront d’endeuiller le Gabon aussi longtemps que certains seront convaincus que l’ascenseur social passe par l’étage du féticheur.

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Georges Dougueli, envoyé spécial

Au Gabon, mais pas seulement

Les crimes rituels ne sont pas une spécificité gabonaise. En janvier 2013, le Cameroun est sous le choc d’une série d’assassinats survenus au quartier Mimboman, à Yaoundé. Une dizaine de victimes, toutes de sexe féminin et âgées de 15 à 25 ans, sont recensées. La police soupçonne un trafic d’organes entre le Cameroun et le Gabon voisin. Sous la pression de la presse, une enquête est ouverte. Elle débouchera sur plusieurs arrestations. Au Burundi, ce sont les albinos qui sont pris pour cible. En cinq ans, une vingtaine d’entre eux ont été tués. Même chose en Tanzanie, où les meurtres rituels sont en recrudescence, selon Navi Pillay, la haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme : depuis 2000, 72 meurtres de ce genre ont été recensés, mais seuls cinq ont abouti à des poursuites judiciaires. Les mutilations se font le plus souvent à vif, parce que leurs auteurs sont convaincus que l’organe prélevé sera plus puissant si la victime hurle pendant l’attaque… Autre exemple : le Ghana, où, pendant des années, des enfants handicapés, soupçonnés d’être des sorciers, ont été « sacrifiés ». L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’un quart des morts d’enfants survenues au Ghana dans les années 1990 étaient des infanticides rituels. L’ONG AfriKids a travaillé pendant près d’une décennie à l’éducation et à la sensibilisation des populations. Elle a annoncé, début mai, la fin des crimes rituels au Ghana. G.D.

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