Livres : et il est comment le dernier… Marie NDiaye ?
L’Afrique, dans Ladivine, le dernier roman de Marie NDiaye, n’est pas citée. Mais elle est là, palpitante dans le corps de cette femme qui la refuse et qui a troqué son prénom, Malinka, contre un autre aux sonorités plus hexagonales : Clarisse.
Ses origines, que l’on imagine soninkées puisqu’elle s’appelle en réalité Sylla, sont cachées dans un coin de sa vie dont elle ne parlera jamais, ni avec son mari Richard Rivière ni avec sa fille Ladivine Rivière. Et pourtant, cette fille porte le même prénom que sa propre mère, cette Ladivine Sylla qu’enfant il lui arrivait de surnommer « la servante » et qu’elle voit aujourd’hui en cachette…
Mensonge primordial
Comme souvent chez Marie NDiaye, le roman se développe autour d’un mensonge primordial qui va contaminer plusieurs générations d’une même famille. Culpabilité, non-dits, violence contenue, l’auteure de Trois Femmes puissantes (prix Goncourt 2009) explore avec une stupéfiante acuité le huis clos familial, ses tiraillements douloureux tus face aux exigences du « vivre ensemble », ses bonheurs étouffants, ses angoisses quotidiennes. Mais surtout, Marie NDiaye – qui reconnaît n’avoir de l’Afrique qu’une vision fantasmée – dissèque à sa manière la problématique raciale. Vivante et menaçante, belle et complexe, magique et troublante, l’Afrique – enfin, un pays qu’on imagine africain – se rappelle à ceux qui voudraient en nier l’existence comme à ceux qui la portent sans le savoir. Le sang coule en abondance dans ce livre, comme une métaphore de l’incompréhension et de la méfiance qui gangrènent les rapports humains. « Les gens, ici, reprit-il, tu vois comme ils sont dans ce pays. Si on appelle les secours, si on raconte ce qui s’est passé… ils pourraient nous tuer, tu sais bien », déclare l’un des personnages en vacances dans ledit pays.
De vacances, il n’y en a guère pour des personnages la plupart du temps dominés par des forces sociales, familiales, culturelles, que leur libre arbitre ne peut vaincre qu’en cédant à l’appel de sa nature profonde. Pour le lecteur aussi, peu d’échappatoire. Envoûtante, noueuse, parfois un peu trop lyrique, la phrase de Marie NDiaye enlace et, inexorablement, resserre son implacable étreinte, donnant à ce gros roman toute la puissance d’une nouvelle fantastique.
Ladivine, de Marie Ndiaye, Gallimard, 408 pages, 21,50 euros
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