Guillaume Koffi : « Abidjan se construit malheureusement sans les architectes et plus vite que nous ne la pensons »
Avec son associé Issa Diabaté, Guillaume Koffi est l’une des figures de l’architecture ivoirienne dont les bâtiments fleurissent dans tout Abidjan. Préoccupé par les économies d’énergie et l’environnement, il appelle à ne pas multiplier les constructions de grande hauteur.
Né à Gagnoa, fils de fonctionnaire, Guillaume Koffi, 63 ans, a vécu une enfance sans coupe ni croquis, « normale ». Il suit d’abord une partie de sa scolarité à Bouaké avant de déménager à Abidjan pour passer son bac. Son père le rêve en pharmacien, mais l’architecture s’impose naturellement à lui. « Le lycée se trouvait juste à côté de l’hôtel Ivoire. J’avais donc déjà des référents. Je me promenais beaucoup au Plateau, où il y avait des vitrines chics dans de beaux immeubles… J’aimais me balader aussi dans le quartier de Cocody, pour regarder les villas modernes, et à Treichville, où vivait ma grand-mère, pour ses ateliers. »
Diplômé de l’École spéciale d’architecture de Paris en 1984, il travaille quelques années dans l’agence de Jacques Labro, Prix de Rome, connu pour avoir dessiné la station de ski d’Avoriaz (Haute-Savoie). « Mais il y avait davantage de besoins en Côte d’Ivoire », alors Guillaume Koffi rentre à Abidjan en 1985 et fonde son propre cabinet en 1992. Sept ans plus tard, il s’associe avec un de ses plus talentueux employés, Issa Diabaté, pour créer la désormais célèbre agence Koffi & Diabaté.
Récompensé par le World Architecture Awards en 2018, Guillaume Koffi, président de l’ordre des architectes de 2006 à 2014, est à l’origine de la création de la première école d’architecture d’Abidjan, « pour assurer la relève ». Très sensibles à la problématique environnementale, proches des concepts écologiques des Brésiliens Marcio Kogan et Isay Weinfeld ou du Vietnamien Vo Trong Nghia, Koffi et Diabaté élaborent des habitats durables, écoresponsables, et des immeubles tertiaires aux quatre coins de l’Afrique de l’Ouest, ds Résidences Chocolat, à Abidjan, à la Cité ministérielle, à Cotonou. Rencontre.
Jeune Afrique : Comment avez-vous vécu les aléas climatiques de l’été qui s’achève ?
Guillaume Koffi : Je suis très très inquiet, d’autant plus que nous serons les plus touchés par les effets négatifs du réchauffement climatique. La sécheresse, la gestion du cycle de l’eau, c’est évidemment un sujet qui touche particulièrement l’Afrique… Nous avons ici un gros déficit d’infrastructures d’assainissement que le gouvernement tente de résoudre. À Abidjan, il a été conçu pour 1 million et demi d’habitants, et on est près de 7 millions aujourd’hui. Au Bénin, il y a également un programme ambitieux d’assainissement… Sans parler du défi de l’énergie : je suis de la génération qui a vécu sans climatisation dans les années 1960, avant que l’on généralise ces systèmes énergivores pour les édifices publics….
Il est urgent de réfléchir, et de trouver des solutions durables à toutes ces problématiques. À l’époque coloniale, il y a avait des hôpitaux sans climatisation, car l’architecture tenait compte de l’aération naturelle. Il y a également des références d’architecture traditionnelle locale telles que les Tata Somba, qui, par leur organisation spatiale tout en rondeur et leur toiture conique, favorisent les effets de cheminée pour la ventilation naturelle… Cela a été d’ailleurs une source d’inspiration pour concevoir le Musée international du Vaudou, à Porto Novo, au Bénin.
Les Résidences Chocolat, que vous avez inaugurées en 2016 sur la Riviera Golf à Abidjan, intégraient déjà les nouveaux défis du développement urbain dont la rationalisation de l’espace et le respect de l’environnement…
C’était d’abord une réponse à l’étalement urbain. Vu le prix du foncier, nous avions voulu être efficaces en matière d’occupation du sol et mutualiser les équipements de confort, le tout dans une architecture durable.… Depuis, nous avons engagé la construction d’Abatta Village, à 30 minutes du Plateau, sorte de smart city sécurisée. C’est un concept similaire aux Résidences Chocolat, à une échelle différente. Il y a eu les résidences Cacao, avec 6 villas, puis Chocolat, avec 32 logements. Abatta Village possède déjà 216 logements. Abatta II comprendra 600 logements supplémentaires… Ce sont des écoquartier, avec un mixité fonctionnelle… L’eau de pluie est stockée et réutilisée pour l’arrosage des espaces verts, les déchets valorisés, et la verdure présente sur plus de 60 % de la zone.
Avez-vous d’autres projets de ce type en cours ?
Nous travaillons actuellement sur le projet d’Ebrah, petit village lagunaire de la commune de Bassam. C’est un projet porté par la communauté villageoise pour transformer les ambitions individuelles des propriétaires terriens en un projet collectif, structuré et pérenne. Nous évitons ainsi la vente tous azimuts de terrains et permettons de renouer avec la planification urbaine qui fait tant défaut. Mais il faut une forte implication de l’État pour pouvoir réduire les coûts de cession aux populations. C’est une ville nouvelle moderne, une œuvre majeure pour nous qui va permettre à différentes classes sociales de se loger… 30 000 logements sont prévus, dont 90 % d’appartements… À Ebrah, nous essayons aussi de réserver des terres pour l’agriculture urbaine, avec des potagers partagés.
Les Résidences Chocolat tout comme Abatta Village ne sont pas des bâtiments très élevés. Faut-il en déduire que l’architecture verticale n’est plus l’avenir à Abidjan parce qu’elle n’est pas compatible avec les préoccupations environnementales ?
Non ce n’est pas forcément contradictoire, nous avons des résidences de cinq à six étages pour rester à échelle humaine et éviter les coûts prohibitifs d’entretien des immeubles de grande hauteur. Il est vrai qu’Abidjan, dans les années 1970, ressemblait à une ville sud-américaine avec sa concentration d’immeubles tertiaires et d’affaire de grande hauteur sur le Plateau. Aujourd’hui, il faut favoriser la mixité fonctionnelle des quartiers, qui fonctionne avec une mobilité plus douce. Malheureusement, certains décideurs rêvent encore d’un « Dubaï sous les tropiques ». Personnellement, je ne suis pas féru de ce type d’urbanisme. Nous militons pour une ville à échelle humaine, avec des espaces verts, des équipements communautaires à partager. Le beau ne se traduit pas forcément en terme de verticalité. Nous pensons que la solution architecturale doit pouvoir bénéficier justement d’un taux carbone bas.
Le gouvernement ivoirien a lancé un vaste plan de construction de logements sociaux, pourquoi n’en construisez vous pas plus ?
Nous apportons un appui significatif au programme des logements sociaux à Ouèdo, à Parakou et à Porto Novo, au Bénin. Naturellement, nous aimerions pouvoir participer davantage au logement social à Abidjan… Nous restons à l’écoute et à la disposition des donneurs d’ordre. Il faut également expérimenter la densification des villes africaines sur le tissu urbain existant tout en préservant leur identité culturelle. Mais attention, je suis contre les lotissements “Soweto” du tout parcellaire qui favorisent le mitage urbain et gangrènent les villes africaines. Il faut privilégier des styles d’habitats intermédiaires, construire plus dense et mettre un frein à l’étalement urbain.
Comment voyez-vous l’évolution récente d’Abidjan ?
Il faut impérativement la maîtriser. À notre niveau, nous essayons de professionnaliser son développement avec les exemples de Chocolat, d’Abatta et d’Ebrah. Certes, un schéma directeur a été actualisé il y a une dizaine d’années par les autorités, mais la ville se construit malheureusement sans les architectes et plus vite que nous la pensons… Certains quartiers développent de façon anarchique une mixité fonctionnelle, comme Youpougon, possèdent leur propre centre d’affaires et commercial, fonctionnent en autarcie… Or il faudrait de vrais professionnels pour accompagner cette évolution et éviter notamment les accidents de parcours, comme les effondrements d’immeubles. Il faudrait plus d’architectes et d’urbanistes pour accompagner cette évolution notamment dans les administrations publiques, conduire la planification et le contrôle du développement urbain. Nous ne sommes pas assez nombreux.… Il y a une prise de conscience collective qui s’opère mais pour qu’elle puisse s’installer de façon durable, il faudrait plus d’architectes locaux.
Où habitez-vous ?
J’habite aux Résidences Chocolat, et bientôt à la résidence Les Flamboyants, conçue par Koffi & Diabaté et en cours d’achèvement. Vous savez, l’architecte est d’abord un animateur social… Nous organisons même des pots entre voisins pour échanger, discuter notamment des problèmes de la résidence… Par exemple, quand on a conçu Chocolat, on a prévu une grande esplanade pour que les enfants puissent jouer. Or nous n’avions pas imaginé que la population de la résidence n’aurait pas d’enfants en bas âge… L’espace est vide, pas un seul cri d’enfants ! Alors, on réfléchit à sa reconversion.
Nous sommes face à une société, et une population, en pleine mutation. Les jeunes couples vivent à l’heure de la mondialisation. Nous devons leur offrir des espaces connectés et cela influence tout : le mode de vie, le mode alimentaire… La cuisine, qui était autrefois le poumon de la maison en Afrique, se réduit aujourd’hui comme peau de chagrin. Les gens ne rentrent plus chez eux déjeuner, ils mangent le foutou en livraison. L’architecte doit accompagner ce changement, et c’est une lourde responsabilité. On produit d’abord de l’architecture pour que les gens s’y sentent bien.
Grâce à des agences comme la vôtre, Abidjan n’est-elle pas en train de redevenir la capitale de l’architecture moderne de l’Afrique ?
J’espère que nous contribuons à écrire cette page de l’architecture ivoirienne. Nous n’avons pas encore de commandes sur d’autres continents mais nous espérons que cela viendra… Les architectes africains installés en Afrique ne bénéficient malheureusement pas de la même publicité que les architectes africains installés en Europe… Ça ne m’empêche pas de saluer au passage leur remarquable travail, qui favorise l’émulation de jeunes architectes et crée des vocations. Ils font notre fierté. Pour l’heure, nous nous concentrons sur une production locale.
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