Éthiopie : vivre à Addis-Abeba, dans la capitale de l’Afrique
Siège de l’Union africaine et de nombre d’organisations internationales, Addis-Abeba est l’une des villes qui comptent le plus de diplomates au monde.
La nouvelle Éthiopie
Impossible de rater ce chantier titanesque. Entre l’aéroport international de Bole et Meskel Square, la grande place au coeur d’Addis-Abeba, des centaines d’ouvriers chinois et éthiopiens se démènent sept jours sur sept en cette fin du mois d’avril. Les célébrations du cinquantenaire de la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), organisées le 25 mai, approchent et il faut que cette nouvelle route, dont de larges portions sont creusées dans le sol, soit prête à temps.
C’est que la ville prend ce grand rendez-vous au sérieux. Il sera l’occasion de rappeler à tous le rôle diplomatique central de l’Éthiopie, lorsque, seul pays du continent à avoir résisté à la colonisation, elle a obtenu d’accueillir les institutions d’une Afrique nouvellement indépendante, en 1963. Depuis, Addis-Abeba est la capitale politique du continent. Et ce n’est pas sans répercussions sur la vie de la cité.
Elle est la troisième ville du monde par le nombre de diplomates qui y résident, derrière New York et Genève, où sont implantées la plupart des institutions de l’Organisation des Nations unies (ONU). Siège de l’Union africaine (UA, qui a succédé à l’OUA en 2002), avec ses quelque 800 fonctionnaires internationaux, Addis-Abeba accueille aussi une centaine d’ambassades ainsi que la Commission économique pour l’Afrique (CEA), institution de l’ONU qui compte plus de 1 500 salariés. Si l’on ajoute le siège de plusieurs ONG et autres organisations internationales (la coopération allemande, GIZ, emploie par exemple quelque 750 personnes, dont plus d’une centaine d’Allemands), il devient évident que la présence des expatriés n’est pas un détail pour l’économie.
Expatriés
D’après les barèmes de l’ONU (qui s’appliquent aussi à l’UA), le salaire d’un fonctionnaire international varie, à Addis-Abeba, entre 6 000 et 15 000 dollars (entre 4 600 et 11 500 euros) par mois, sans compter les aides diverses (logement et famille). De quoi employer, vu la faiblesse des salaires locaux, un personnel de maison pléthorique, dont des gardes pas toujours indispensables dans cette métropole plutôt sûre.
En 2011, Addis-Abeba était encore considérée comme l’une des villes les moins chères du monde pour les expatriés (211e sur 214 selon le classement du cabinet de conseil Mercer). « Il y a des désagréments, comme la xénophobie de certains Éthiopiens, explique une jeune fonctionnaire ouest-africaine. Mais étant donné le coût de la vie, c’est vrai que nous nous en sortons très bien. Surtout ceux d’entre nous qui n’ont pas d’enfants. »
Pour les francophones qui en ont, la présence du lycée franco-éthiopien Guebre-Mariam est une aubaine. Fondé sous Haïlé Sélassié, en 1947, c’est l’un des rares lycées français agréés en Afrique non francophone et l’un des établissements internationaux les moins chers de la ville. Les Éthiopiens, qui ont accès à des tarifs préférentiels (environ trois fois moins élevés que pour les autres), sont, de très loin, les plus nombreux. Hormis eux et les Français, les élèves sénégalais et burkinabè sont les mieux représentés. Et les deux tiers des élèves étrangers sont des Africains francophones.
"Les loyers peuvent aller jusqu’à 20 000 dollars par mois"
La présence de cette communauté d’expatriés n’est toutefois pas sans effet pervers. L’imposante superficie des ambassades les plus anciennes (celles des États-Unis, de la France et de l’Italie notamment, qui couvrent l’équivalent de plusieurs quartiers), héritage de l’Éthiopie impériale, paraît de plus en plus anachronique dans une ville dont l’expansion est limitée par le relief et dont la population explose (la capitale aurait gagné 1 million d’habitants depuis 2007, approchant les 4 millions).
Les innombrables immeubles en cours de construction, pour la plupart destinés à un usage commercial, n’ont pas enrayé la flambée des prix de l’immobilier. « Les loyers peuvent aller jusqu’à 20 000 dollars par mois pour les résidences de luxe, pour un ambassadeur par exemple, assure Bruk Abera, l’un des associés du courtier en location Homenet. Mais pour des maisons normales, les prix varient entre 400 et 2 500 dollars, selon la taille et la localisation. Ils sont en forte augmentation parce que nous voyons arriver à Addis des gens qui viennent d’un autre monde, avec des moyens sans comparaison. »
Deux tableaux
« Lorsque je suis arrivée il y a trois ans, les prix des locations étaient encore raisonnables, confirme notre jeune Ouest-Africaine, qui habite dans le quartier de Old Airport (l’un des plus prisés des expatriés, avec celui de Bole). Mais, avec les dévaluations du gouvernement éthiopien, les prix ont doublé depuis, et pas seulement dans l’immobilier. »
Les employés éthiopiens des institutions internationales perdent, eux, sur les deux tableaux : victimes de l’inflation, ils perçoivent des revenus très inférieurs à ceux de leurs collègues étrangers. « Je comprends qu’ils aient des primes d’expatriation. Mais qu’ils gagnent à ce point plus que nous pour le même travail, c’est vraiment injuste », s’insurge une jeune Éthiopienne diplômée d’une prestigieuse université américaine et revenue vivre dans sa ville natale.
Le Jolly bar joue les phénix
Dans le monde de la nuit à Addis-Abeba, les succès sont souvent éphémères. Dès qu’un nouveau bar, restaurant ou club ouvre ses portes, il est immédiatement pris d’assaut… avant d’être délaissé, quelques mois plus tard, pour le nouvel endroit à la mode. Qui a connu la ville dans les années 1960-1970 serait donc surpris de constater que le Jolly Bar, petite institution de l’Empire finissant, est encore ouvert un demi-siècle plus tard. Mieux : la terrasse et les deux salles du bar de nuit – l’un des rares dans le quartier historique d’Arat Kilo – sont souvent bondées, accueillant bien plus que les 250 personnes de sa capacité théorique.
L’histoire de ce lieu est cependant tout sauf linéaire. « Mon père l’avait ouvert en 1959, confie Yehdego Abeselom, dit Bobby, 33 ans, le gérant. C’était le lieu de l’intelligentsia de l’époque. Le défunt Premier ministre éthiopien Mélès Zenawi et le président érythréen Issayas Afewerki le fréquentaient quand ils étaient étudiants. Mais lorsque mon père est devenu protestant évangélique, au début des années 1980, il a cessé de vendre de l’alcool et l’endroit a fermé peu après. » Le Jolly Bar est brièvement réapparu sous la forme d’un restaurant en 2010 et, depuis le début de cette année, il est devenu un bar, ouvert de 22 heures à 2 heures du matin. S’il n’a plus grand-chose à voir avec le lieu d’antan, une grande toile ornant l’un de ses murs rappelle son passé en réunissant les icônes éthiopiennes – de l’empereur Haïlé Sélassié au chanteur de variété Teddy Afro, en passant par l’athlète Abebe Bikila – dans une improbable Cène. Il arrive aussi, exceptionnellement, que le DJ passe de la musique traditionnelle éthiopienne dans une ambiance de franche rigolade. Le reste du temps, jeunes aisés issus de la diaspora, expatriés et beautés abyssines se déhanchent sur les derniers tubes afro-américains. Et, cinq mois après sa réouverture, le Jolly Bar fait encore le plein. P.B
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Par Pierre Boisselet, envoyé spécial
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