Lamine Touré : l’Afrique au coeur des nuits montréalaises

Lamine Touré, Guinéen installé au Canada depuis les années 1970, a réussi dans les affaires tout en devenant une figure incontournable de la vie nocturne à Montréal. Portrait du fondateur du Festival international Nuits d’Afrique.

Lamine Touré, Guinéen installé au Canada depuis les années 1970 a réussi dans les affaires avant de devenir une figure incontournable de la vie nocturne à Montréal. ICI comme directeur du « bal à tout le monde » lors du festival Nuits d’Afrique, qu’il a créé. Le 21 juillet 2011. Canada, Montréal © Emilie Régnier/J.A.

Lamine Touré, Guinéen installé au Canada depuis les années 1970 a réussi dans les affaires avant de devenir une figure incontournable de la vie nocturne à Montréal. ICI comme directeur du « bal à tout le monde » lors du festival Nuits d’Afrique, qu’il a créé. Le 21 juillet 2011. Canada, Montréal © Emilie Régnier/J.A.

Publié le 14 mai 2013 Lecture : 4 minutes.

« En 1974, après avoir sillonné l’Europe pendant dix ans, j’ai pris un billet d’avion pour visiter Montréal. Je ne devais rester qu’un mois, mais la veille de mon retour j’ai croisé un vieil ami guinéen à la terrasse d’un café. Celui-ci, me voyant, s’est mis à pleurer car cela faisait quatre ans qu’il n’avait pas parlé notre langue. Il m’a alors demandé de ne pas partir, de « ne pas le laisser seul dans le désert ». J’ai accepté. » Une décision qui vaut vocation. Lamine Touré a désormais passé quelque quarante années à s’investir dans ce « désert » culturel qui plonge tout exilé dans un profond désarroi.

Ce qui déconcerte dans la personnalité de ce sexagénaire élégant au physique élancé, arborant une fine barbe grisonnante, c’est le contraste étrange entre son aura de personnage public et son immense réserve lorsqu’il s’agit de parler de lui. « Touré a sa part de mystère, ce n’est pas quelqu’un qui se dévoile », confie Éric Marchais, ex-collaborateur et manageur du groupe guinéen Les Espoirs de Coronthie.

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Fondateur et directeur depuis vingt-six ans du premier club africain-tropical de Montréal, le Balattou, et du Festival international Nuits d’Afrique, qui a habituellement lieu en juillet, « Touré » est devenu une figure incontournable de la diaspora africaine au Québec. Une diaspora dont il a tissé les liens culturels, année après année. Car en 1974 les choses étaient bien différentes. « À cette époque, nous étions cinquante migrants africains, raconte-t-il. J’ai vite compris qu’un jour nous serions plus nombreux. Il m’est alors apparu important de pouvoir bien accueillir les nouveaux. J’ai créé le Café créole en 1976, un lieu où l’on se retrouvait pour échanger, boire, manger, mais aussi où l’on pouvait trouver une aide pour effectuer des démarches administratives. » Quand l’aventure du Café créole touche à sa fin, un réseau s’est mis en place, certains ouvrant même à leur tour des établissements de nuit. « Mes motivations n’étaient pas commerciales, explique Touré. Il était donc temps de tourner la page. »

Mais en 1985, alors que ses amis s’étonnent de le voir absent de la vie culturelle montréalaise, il se décide à racheter un espace inoccupé sur le boulevard Saint-Laurent et ouvre le Club Balattou, contraction de « bal à tout le monde ». « Je voulais qu’il existe un lieu de rencontre ouvert à tous, pas seulement à une communauté africaine en particulier, comme c’était le cas des autres établissements, mais à toutes les communautés, africaines, antillaises, latinos comme aux Québécois ! » Et ça a fonctionné dès le premier soir. Le club est désormais une petite entreprise qui emploie une dizaine de personnes. L’année suivante, Touré applique avec succès la même recette pour la création du festival Nuits d’Afrique, qui voit défiler tous les grands noms de la world music, des Mahotella Queens à Tiken Jah Fakoly. Les portraits épinglés sous les néons de la vitrine du club qui illuminent le trottoir du 4372, boulevard Saint-Laurent rappellent au public que le lieu écrit son histoire depuis bientôt trente ans.

« C’était inédit, raconte Suzanne Rousseau, la directrice générale du festival. Inédit parce que, jusqu’alors, les communautés ne se mélangeaient pas. La communauté haïtienne, par exemple, était très refermée sur elle-même. Ce qui était normal, au regard de son son passé douloureux. Le festival a réussi à fédérer tout le monde. »

En observant Touré arpenter paisiblement le parterre du Quartier des spectacles, où se tient la partie en plein air du festival – signe qu’il est entré dans la cour des grands* -, on peut imaginer sa fierté. Cette réussite, il la doit à ses qualités d’entrepreneur mises à profit dès son arrivée à Montréal, notamment dans le secteur du textile. À l’époque, avec deux associés français et un marocain, il importe des « jeans serrés » et parvient à lancer la mode dans le prêt-à-porter féminin. Il ouvre une usine rue Mont-Royal et travaille pendant plusieurs années avec la griffe Newman. Une aventure qui lui permettra d’accumuler suffisamment de capital pour quitter le monde du textile et investir dans la promotion de la culture.

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Ce sens des affaires, Touré le tient certainement de son père, grand commerçant guinéen qui fut parmi les premiers à organiser des voyages de pèlerinage à La Mecque. « Il lui a enseigné la patience et la persévérance pour réussir dans ce milieu, confie Suzanne Rousseau. Mais, destiné au commerce, il s’est découvert une passion pour la danse et a intégré dans le secret Les Ballets africains, la compagnie nationale de danse de Guinée, et a quitté très tôt son pays. »

La suite de l’histoire est parsemée de zones d’ombre, peut-être douloureuses. Comme de nombreux exilés, il a été interdit de territoire jusqu’en 1984. Et aujourd’hui ? Rentre-t-il de temps en temps au pays ? « Je n’ai pas le temps, je dois être là pour serrer la main à chaque client du Balattou. Cela fait vingt-cinq ans que je le fais. Je ne peux pas rater une semaine, ils ne comprendraient pas. Quand quelqu’un vient chez toi, tu te lèves pour le saluer, c’est ainsi. »

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Jean Sébastien Josset

27e édition du Festival international Nuits d’Afrique, du 9 au 21 juillet 2013 à Montréal.

* Le 6 juin, Lamine Touré a été nommé chevalier de l’Ordre national du Québec par la première ministre, Pauline Marois.

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