États-Unis : un business nommé Jay-Z
Rappeur, entrepreneur, mari de Beyoncé… Tout semble réussir à Jay-Z. Son nouveau champ d’action : le management sportif. Son système : vantardise et débrouille. Son objectif : gagner toujours plus d’argent.
Jay-Z roule volontiers les mécaniques. Et, dans le flot des vantardises dont il parsème ses textes, il file la métaphore sportive. Il est le « Michael Jordan du rap », avec un « service à la Pete Sampras ». Il peut « shooter plus vite que Kobe Bryant », « esquiver et bouger ses pieds aussi vite » que Mohammed Ali. Il a plus de « titres que Michael Phelps » – des titres musicaux peut-être, mais pas en brasse papillon… « Je n’ai jamais appris à nager », avait-il avoué en 1999 dans So Ghetto, véritable ode aux gangsters.
Entrepreneur compulsif, Jay-Z a transformé son amour pour le sport en business. Il y a quelques semaines, Roc Nation, sa société de divertissement, a étendu ses activités au management de sportifs. Son premier client : la star du baseball Robinson Cano, en fin de contrat avec les Yankees de New York. Jay-Z qui, enfant, a joué dans la petite ligue de baseball de Brooklyn (quartier de New York), est un fan des Yankees. Mais cet accord est fondé sur le profit, pas sur les sentiments. Il vise à négocier un contrat mirobolant pour Cano. La référence ? Celui signé en 2011 par Albert Pujols, l’autre grande star du baseball, pour 254 millions de dollars (194 millions d’euros) et une durée de dix ans.
Avec sa femme, la chanteuse Beyoncé, ils auraient, dit-on, dépensé 200 000 dollars pour la première fête d’anniversaire de leur fille, Blue Ivy.
« Je ne pense qu’à faire du pognon », rappe Jay-Z. En 2008, lorsqu’il a lancé Roc Nation, avec l’organisateur de concerts Live Nation, il a obtenu près de 150 millions de dollars et l’assurance de toucher 10 millions à la sortie de chacun de ses albums. Ce deal a contribué à forger sa légende. « J’ai déjà claqué les 150 briques que Live Nation m’a filées », s’est-il targué ensuite. La prodigalité est un passe-temps auquel le milieu du hip-hop se livre allègrement. Jay-Z ne déroge pas à la règle. Avec sa femme, la chanteuse Beyoncé, ils auraient, dit-on, dépensé 200 000 dollars pour la première fête d’anniversaire de leur fille, Blue Ivy.
Mais en réalité, le « Warren Buffett noir » – comme il s’est surnommé – est fasciné par l’accumulation des gains, pas par la dépense. Shawn Carter, alias Jay-Z, est l’archétype de l’Américain qui a connu une ascension fulgurante. Son parcours – de dealer de cocaïne au statut de nabab – est certes moins exemplaire que celui de l’industriel philanthrope Andrew Carnegie ou celui de Sam Walton, parti de zéro pour fonder Walmart, aujourd’hui numéro un mondial de la distribution. Mais il y a néanmoins quelques points communs. Ce n’est pas un hasard si Jay-Z a appelé sa maison de disques Roc-A-Fella, en référence à la dynastie des Rockefeller. L’un de ses aphorismes préférés : « Je ne suis pas un businessman. Je suis un business, man. » Mais quel genre de business exactement, M. Jay-Z ?
Cow-boy
Le rappeur se dépeint comme un rebelle noir capitaliste « qui se fait du fric sur votre dos » – le dos en question étant celui de l’establishment blanc. La manière dont il se voit est liée à la notion de hustler : casse-cou, battant. Pour les Africains-Américains, le hustler est un citadin noir, une sorte de cow-boy solitaire vivant de ses exploits dans un O.K. Corral qui se déroulerait à New York, avec voitures de police toutes sirènes hurlantes, coups de feu, quartiers et bandes rivales.
Dans ses Mémoires, Decoded, Jay-Z a décrit son idéal : « L’indépendance, la richesse et le succès, obtenus en dehors des codes de la société. » Il y a beaucoup de forfanterie dans son autoportrait en hustler qui s’est hissé jusqu’aux conseils d’administration des entreprises de Manhattan, et son amitié avec Barack Obama ne le situe pas précisément en dehors de ces codes… Mais il y a tout de même une part de vérité dans cet autoportrait.
Les meilleurs hustlers sont maîtres dans l’art de jeter de la poudre aux yeux. « Ils connaissent la valeur d’une feinte », écrit-il. C’est la même chose dans le rap, où « plein de gens ne se rendent pas compte qu’un grand rappeur n’est pas seulement un grand documentariste, mais aussi un escroc ».
La carrière de Jay-Z est jalonnée de feintes, comme ses faux adieux à la scène ou la sortie du tube Empire State of Mind (2009) pour masquer la banalité de son dernier album solo. Pourtant, à l’en croire, tout ce qu’il touche se change en or. Il arrive toutefois que la main de Midas tremble. Ses trois années passées à la tête du label Def Jam Recordings ont été mitigées, avec l’émergence de deux superstars, Rihanna et Kanye West, mais aussi bon nombre de flops. En 2007, la vente à 204 millions de dollars de Rocawear, la marque de vêtements qu’il a cofondée, l’a propulsé parmi les personnalités les plus riches de la pop. Jay-Z pesait 500 millions de dollars, disait-on. Cependant, l’entreprise n’a pas prospéré. L’an dernier, elle a même dû licencier la moitié de ses employés.
Sa participation à l’équipe de basketball des Brooklyn Nets, censée atteindre 1 million de dollars, ne représente qu’une infime fraction de la valeur réelle du club. On a beaucoup parlé de son investissement dans le Centre Barclays, la nouvelle salle omnisports où évoluent les Brooklyn Nets, alors qu’il ne s’élève qu’à 0,2 % (sur le milliard de dollars qu’a coûté la construction). Le véritable apport est venu de l’oligarque russe Mikhaïl Prokhorov, qui a payé 200 millions de dollars pour les Nets et possède 45 % du Barclays.
Batailles
La stratégie de Jay-Z, qui consiste à s’allier à de plus gros partenaires, s’étend aujourd’hui au sport et à cette fameuse nouvelle agence de management sportif, fondée avec Creative Artists Agency, un géant du secteur. Sa participation fait le buzz, mais reste peu claire. À quelle hauteur est-il impliqué financièrement ? Toujours plus de ruses ?
Le rappeur a ses pourfendeurs. Chuck D, le leader du groupe Public Enemy, qui appartient à une génération plus ancienne de rappeurs new-yorkais, laisse entendre que Jay-Z ne fait guère qu’occuper le devant de la scène. « Il y a des gens derrière lui, qui ont massivement parié et investi sur lui », a-t-il commenté. En réalité, Jay-Z s’inscrit dans la tradition du capitalisme noir qui, confronté à une forte hostilité, lutte pour assurer son indépendance financière. Comme il le rappe lui-même : « Bats-toi à fond dans chacune des batailles que tu t’es choisies ».
Sous les cocotiers de la Havane
Les médias américains l’appellent « the Beyoncé effect ». Autrement dit, l’art de donner une importance démesurée au moindre battement de cils de la chanteuse. Dernier exemple en date : le voyage du couple « Bey » et « Jay » à Cuba, en avril, a provoqué une polémique, des élus républicains accusant les deux stars d’avoir profité de leurs relations amicales avec Barack Obama pour se rendre en touristes sur l’île – ce qui est interdit aux Américains depuis l’embargo instauré en 1962. Si le rappeur a aussitôt dégainé une chanson, Open Letter, pour faire taire les critiques, il a fallu que le président intervienne en personne pour clore l’épisode. « Je n’étais pas au courant, a-t-il précisé. J’ai cru comprendre que Beyoncé et Jay-Z étaient allés à Cuba grâce à un groupe [habilité, NDLR] qui organise des programmes d’échanges éducatifs. La Maison Blanche ne s’est mêlée de rien. Nous avons mieux à faire. » On s’en doute… Haby Niakaté
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