Algérie : Abderrezak Mokri, le Frère nouveau est arrivé
Élu à la tête du Mouvement de la société pour la paix (MSP, islamiste), Abderrezak Mokri incarne la rupture avec la stratégie de l’entrisme chère à son prédécesseur Bouguerra Soltani.
Aux premières lueurs de ce samedi 4 mai, dernier jour du cinquième congrès du Mouvement de la société pour la paix (MSP, se réclamant des Frères musulmans), Boualem, 37 ans, technicien dans une société de forage pétrolier, militant « depuis toujours » au sein du parti, a les traits tirés mais la mine radieuse. « Nous avons donné une leçon de démocratie à toute la classe politique et prouvé qu’alternance et rajeunissement sont possibles sans drame ni déchirement », se félicite-t-il. Boualem fait référence à l’élection d’Abderrezak Mokri, 53 ans, à la présidence du MSP. Il succède ainsi à Bouguerra Soltani, 59 ans, arrivé à la tête du parti après la disparition, en 2003, de Mahfoud Nahnah, leader charismatique des Frères musulmans algériens.
On pourrait faire la fine bouche en observant que l’heureux élu était vice-président depuis le quatrième congrès, en 2008, mais ce serait oublier un peu vite que la personnalité, le parcours et la constance du nouvel homme fort du MSP marquent une rupture avec les pratiques d’allégeance au pouvoir qui ont caractérisé le parti au cours des quinze dernières années : membre de la coalition gouvernementale depuis 1996 et rouage essentiel dans l’Alliance présidentielle (avec le Front de libération nationale, FLN, et le Rassemblement national démocratique, RND) depuis 2004. Abderrezak Mokri n’a jamais fait mystère de son opposition à cette stratégie « participationniste ». Plus jeune membre fondateur, en 1990, du Hamas (présidé par feu Mahfoud Nahnah), devenu MSP en 1996, il a toujours été hostile à l’idée de soutenir le pouvoir en échange de quelques ministères.
Éternel opposant
Charismatique, éminent représentant de la technocratie au sein des instances du parti (il est titulaire d’un diplôme en sciences physiques obtenu dans une université américaine), parfaitement trilingue (arabe, français, anglais), Abderrezak Mokri a décliné toutes les offres de maroquin dans les gouvernements successifs auxquels le MSP a participé. Mieux : chef du groupe parlementaire au cours de la législature 2002-2007, il tenait presque un discours d’opposant. Membre du Madjlis el-Choura (conseil consultatif faisant office de comité central) depuis la création du parti, il a toujours été constant dans son rejet de « l’entrisme », concept cher aux héritiers de l’Égyptien Hassan al-Banna, fondateur de l’organisation des Frères musulmans en 1928.
Incarnation du courant radical au sein du MSP, Mokri n’a cependant jamais fait preuve d’indiscipline. « Je me suis toujours plié à la décision du plus grand nombre tout en faisant part de mon désaccord », rappelle-t-il. Il aura d’ailleurs attendu neuf ans avant de voir le parti quitter l’Alliance présidentielle, mais il ne s’attribue pas la paternité d’un tel virage. « Ce n’est pas moi qui ai gagné cette bataille, ce sont les événements dans la région [en référence au Printemps arabe, NDLR] qui ont imposé notre retrait d’un partenariat politique qui n’avait plus de sens. » En revanche, dès son élection à la tête du MSP, il a annoncé la rupture : « Désormais, notre action s’inscrit dans l’opposition. Pas question de revenir au gouvernement sans victoire électorale, ni de soutenir un programme politique et économique qui n’aura pas été discuté en toute transparence avec des partenaires crédibles. » Son ambition à court terme ? « Devenir le leader de l’opposition en réunifiant le courant islamiste, aujourd’hui éclaté en plusieurs micropartis. » À commencer par la grande famille des Frères musulmans, qui, outre le MSP, est représentée par TAJ, d’Amar Ghoul, toujours ministre des Travaux publics, et par le Front du changement (FC), du refuznik Abdelmadjid Menasra. Mokri entend même fédérer l’ensemble des partis de l’opposition, notamment le doyen d’entre eux : le Front des forces socialistes (FFS, de Hocine Aït Ahmed), même si ce dernier vit des heures difficiles avec les tiraillements que provoque la succession annoncée de son leader (86 ans).
Son ambition : fédérer l’ensemble de l’opposition dans la perspective de la présidentielle de 2014.
Tropisme américain
En élisant Mokri par 177 voix contre 65 pour son rival Abderrahmane Saïdi, chef du Madjlis el-Choura sortant, le MSP a fait le choix d’une rupture assumée et se place déjà dans la perspective de 2014. Pour la première fois depuis la présidentielle de novembre 1995, à laquelle Mahfoud Nahnah était arrivé deuxième (derrière Liamine Zéroual), le MSP devra avoir son propre candidat à la magistrature suprême, « malgré le flou qui entoure cette échéance quant à la participation ou non d’Abdelaziz Bouteflika », précise Mokri. Sera-t-il investi par le MSP ? « Ce n’est pas moi qui décide mais les instances du parti », répond-il.
Plus technocrate que guide, Mokri ressemble davantage à l’Égyptien Mohamed Morsi qu’au Tunisien Rached Ghannouchi. Même profil scientifique que le président égyptien et même tropisme américain. Le congrès du MSP qui l’a consacré s’est d’ailleurs tenu en présence de Robert Ford, ancien ambassadeur des États-Unis à Alger, célèbre depuis que WikiLeaks a révélé que l’un de ses câbles faisait état du cancer d’Abdelaziz Bouteflika. Autre présence américaine : une délégation du National Democratic Institute (NDI). « Ce n’étaient pas les seuls invités étrangers à nos assises, balaie d’un revers de main le nouvel homme fort des Frères. D’ailleurs, c’est l’ancien ministre de l’Intérieur Yazid Zerhouni qui, le premier, a invité cette ONG en Algérie. » À la différence de Morsi, qui a connu la prison sous Moubarak, Mokri n’a jamais été inquiété par la justice de son pays. Son plus haut « fait d’armes » ? Quelques heures d’interrogatoire dans les geôles israéliennes, en 2010, quand le Mavi Marmara, un navire turc acheminant de l’aide alimentaire à Gaza, a été arraisonné par Tsahal. Abderrezak Mokri était alors à bord, à la tête d’une délégation du MSP, aux côtés de l’épouse de Bouguerra Soltani, qui, elle, conduisait la délégation d’El-Islah wal Irchad, une association caritative. Si Abderrezak Mokri ne s’est jamais prévalu de cet acte de gloire, il ne se prive pas d’en faire état quand son tropisme américain est évoqué avec trop d’insistance.
Convaincus que leurs récentes défaites électorales sont le résultat de fraudes massives, les Frères musulmans algériens préparent les prochaines échéances avec une certitude : le changement en Algérie se fera à travers les urnes et non par une révolution. En attendant le Printemps, le MSP tient déjà son hirondelle.
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