Présidentielle malgache : le trio de l’embrouille
Aucun ne devait pouvoir y participer. Lalao Ravalomanana, ex-première dame, Didier Ratsiraka, ancien chef de l’État, et Andry Rajoelina, président de la Transition, sont finalement de la partie. Admis sur la longue liste des candidats à la présidentielle malgache, ils trustent le devant de la scène.
Il y a un mois, Madagascar se préparait à voter pour des seconds couteaux. Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina s’étaient engagés, dans un but d’apaisement, à ne pas se présenter, et les deux autres protagonistes de la crise politique qui paralyse le pays depuis plus de quatre ans, Didier Ratsiraka et Albert Zafy, semblaient hors jeu. Aujourd’hui, tout est différent.
Le 14 avril, Ravalomanana créait la surprise en portant son choix, pour représenter sa mouvance à la prochaine élection présidentielle, sur son épouse, Lalao, tout juste rentrée à Madagascar (et ce en dépit du fait que la loi électorale dispose qu’il faut avoir résidé un minimum de six mois au pays avant la date limite de dépôt des candidatures pour pouvoir se présenter). Le 27 avril, c’est Didier Ratsiraka, un autre revenant de fraîche date, qui se portait lui aussi candidat. Mais la plus grande surprise est celle du 3 mai, quand Rajoelina, le président de la Transition, apparaît sur la liste des candidats dont le dossier a été validé par la Cour électorale (CES). Son nom, pourtant, n’y figurait pas lors de la clôture du dépôt des dossiers, cinq jours plus tôt. La haute juridiction, très critiquée depuis, l’a reconnu : elle a préféré l’apaisement politique au respect de la loi. La victoire pourrait donc se jouer entre ces trois-là. Retour sur une tragicomédie en trois actes dont l’issue reste imprévisible.
Acte I : « Neny » fait son entrée
Une potiche. C’est ainsi que Lalao Ravalomanana (60 ans) est présentée par ses adversaires. C’est exagéré. Mais il est vrai qu’en politique, celle que les Malgaches surnomment Neny (« maman ») a tout d’une femme de paille. Si elle est candidate, c’est uniquement en raison du patronyme que lui a donné l’homme qu’elle a épousé en 1974, et avec lequel elle a eu quatre enfants. Dans l’entourage du président déchu, on l’admet : « Sa force, c’est son nom. »
L’idée d’en faire la candidate de la mouvance Ravalomanana ne vient ni d’elle ni de lui, mais des fidèles de l’ancien président restés au pays. « Quand il a renoncé à se présenter, en décembre, il a fallu chercher un candidat, explique l’un d’eux. Le président ne pensait absolument pas à son épouse. Mais nous qui vivons les réalités du pays, nous avions la certitude qu’elle était la mieux placée pour l’emporter. » Dans les provinces, les proches de Ravalomanana constataient depuis quelque temps qu’après « Dada » (« papa », surnom de Marc) c’est le nom de « Neny » qui revenait le plus souvent.
Dans un premier temps, le président déchu n’y prête pas attention. Pour le convaincre, ses proches commandent des enquêtes d’opinion qui confirment la popularité de son épouse. Début mars, avant même qu’elle ne soit autorisée à rentrer au pays, « il a commencé à prendre en considération notre proposition ». Après son retour sur la Grande Île, le 12 mars, à l’issue de longues négociations, Lalao a consulté tous azimuts, malgré l’interdiction qui lui était faite de mener des activités politiques. Mais ce n’est que le 14 avril, alors que les dirigeants de la mouvance se sont tous réunis aux côtés de Ravalomanana en Afrique du Sud pour s’entendre sur un nom, qu’elle accepte, à l’autre bout du fil. Depuis, elle se montre peu et parle rarement. « Je suis prête », s’est-elle contentée de déclarer lors du dépôt de son dossier de candidature, avant de laisser les cadres de la mouvance répondre à la presse.
Acte II : "DEBA" vaticine.
Quand il a fallu expliquer le pourquoi de sa candidature, Didier Ratsiraka a été fidèle à lui-même : caustique, érudit… et énigmatique. « Je pense que, peut-être, il n’est pas interdit de vaticiner à 76 ans. C’est le lot des vieux schnocks. » Depuis combien de temps « Deba » (« le caïd ») avait-il imaginé ce pied de nez ? Selon son entourage, la décision de se présenter, l’ancien président (de 1975 à 1993, puis de 1997 à 2002) ne l’a prise que le 26 avril au matin, huit jours après son retour définitif à Mada, à l’issue d’un exil de onze longues années en France. « Quand il est parti de Paris, il n’y avait rien de décidé. Une fois sur place, il a constaté trop de gabegie », explique un familier. Faut-il le croire ? Si l’on se fie à son entourage, personne n’était au courant. Mais voilà bien longtemps que Ratsiraka ne consulte plus pour prendre ses décisions. « Il a besoin de quelqu’un pour marcher, pas pour réfléchir », s’amuse l’un de ses proches.
Ratsiraka a la certitude d’être le seul à avoir une solution pour sortir le pays de la crise.
En réalité, Ratsiraka n’a jamais douté de son destin, même lorsqu’il était au fond du trou. En 2009, la chute de Ravalomanana, son tombeur, lui avait redonné espoir. Aujourd’hui, « il a la certitude d’être le seul à avoir une solution pour sortir le pays de la crise ». Il y avait bien eu quelques signes annonciateurs. Comme l’inattendu désistement de Tantely Andrianarivo, son bras droit, en février. Ou cette interview accordée à Radio France Internationale (RFI) avant son retour, dans laquelle il rappelait que l’âge n’est pas un problème : « Posez la question à Robert Mugabe. Posez la question au président Biya. Ou encore à Nelson Mandela. À quel âge est-il arrivé au pouvoir ? »
Acte III : "TGV" déboule
En janvier, Andry Rajoelina avait déclaré avec la plus grande solennité qu’il ne se présenterait pas à cette élection : « Ce qui est important, ce n’est pas d’être élu, c’est, en tant qu’homme d’État, de respecter sa parole. » Si pour un certain nombre d’observateurs il était évident que ce jeune homme pressé – chef d’entreprise à 24 ans, maire de la capitale à 32 ans, il a pris le pouvoir à l’âge de 34 ans – finirait par être candidat, dans son entourage, on assure qu’il avait tourné la page : « Il pensait déjà à l’élection de 2018. »
Premier déclic le 14 avril, à l’annonce de la candidature de Lalao Ravalomanana. « À partir de ce moment, le principe du "ni-ni" (ni Rajoelina candidat ni Ravalomanana candidat) n’était plus d’actualité », indique un proche. Il restait cependant un espoir : que la candidature de « Neny » ne soit pas validée par la CES. Deuxième déclic le 20 avril. Ce jour-là, « TGV » (surnom que lui ont donné ses partisans en raison de son ascension fulgurante et de son caractère fonceur) se rend pour la première fois depuis qu’il a pris le pouvoir à Fort-Dauphin et à Ambovombe. Foule en liesse, accueil triomphal. « Les gens lui disaient qu’il devait se présenter, raconte un collaborateur. Dans l’avion, il était tourmenté, ça se voyait. » La veille, son ancien Premier ministre, Camille Vital, était venu s’ajouter à la longue liste des candidats issus de son propre camp. Avec toutes ces divisions, la défaite était inéluctable. Quelques jours plus tard, le voilà à Rome. Le pape François doit le recevoir en audience quand l’un de ses conseillers l’informe que Ratsiraka, aussi, se présente. Après la stupéfaction, le calcul : « La Cour ne pourra pas invalider sa candidature et Lalao passera aussi. » Sa décision est prise : lui aussi va y aller. Tant pis si son parti a déjà investi Edgard Razafindravahy, un ami.
Tout va alors très vite. À Tana, des collaborateurs ficellent son dossier. Le 2 mai, Rajoelina rentre à Madagascar et s’attaque à Ratsiraka et à Neny – il sait alors que la CES a décidé de les accepter sur la liste. En guise d’explication avant l’heure, et en bon catholique, il cite, en référence à la candidature de Lalao, le verset 2:24 de la Genèse : « C’est pourquoi l’homme laissera son père et sa mère, et se joindra à sa femme, et ils seront une seule chair. » Le lendemain, son dossier est transmis à la CES, quelques heures seulement avant que la juridiction dévoile la liste définitive des candidats. Rajoelina file en Tanzanie pour expliquer sa volte-face au président Jakaya Kikwete, celui-là même qui avait obtenu de Ravalomanana et de Rajoelina qu’ils ne se présentent pas.
On ne sait pas comment le président tanzanien a réagi. Mais il y a fort à parier qu’il ne contredirait pas cet observateur de la vie politique malgache, qui voit dans ces dernières péripéties « un énorme foutage de gueule ».
Favoris et "cocus"
Sauf désistements, les Malgaches auront à trancher dans l’isoloir entre 41 noms sur le bulletin de vote unique pour le premier tour. Sur 50 dossiers déposés, la Cour électorale spéciale n’en a invalidé que 9. Mais le doute subsiste sur certains candidats. Que vont faire par exemple ceux que l’on appelle à Tana les « cocus de Rajoelina », des proches du président de la Transition qui s’étaient lancés dans la bataille et avaient leurs chances ? Il s’agit, entre autres, de Camille Vital, Hajo Andrianainarivelo et Edgard Razafindravahy – qui a reçu le soutien du parti de Rajoelina. Un autre favori a vu ses plans chamboulés par la candidature de Didier Ratsiraka : Pierrot Rajaonarivelo, l’un de ses anciens lieutenants, qui espérait compter sur les voix du parti de l’Amiral. Dans l’avalanche de noms, on note également les candidatures de Roland Ratsiraka, neveu de Didier, ainsi que de Monja Roindefo et Jean Lahiniriko, respectivement ancien Premier ministre et ex-soutien de Rajoelina. R.C.
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