Togo – Investissements, agriculture, industrie : les clés du rebond

Transformation structurelle en marche, investissements soutenus, déficit maîtrisé… Malgré le contexte sécuritaire régional, les conséquences du Covid et, désormais, celles de la guerre en Ukraine, l’économie togolaise tient le cap de la croissance. Elle devrait même atteindre 5,6 % cette année. Est-ce pérenne ? Décryptage.

Le siège du groupe panafricain Ecobank, sur le boulevard du Mono, à Lomé. © Jacques TORREGANO pour JA

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Publié le 7 octobre 2022 Lecture : 7 minutes.

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Togo : le prix de la stabilité

À mi-parcours du quatrième mandat de Faure Essozimna Gnassingbé, Lomé semble résister aux crises régionales et internationales. Jeune Afrique analyse les raisons de cette résilience et décrypte les défis que le pays devra relever, à court et à moyen terme.

Sommaire

Depuis six mois, l’inflation rogne chaque jour un peu plus le panier de la ménagère, et dans le Nord du pays, la région des Savanes, frontalière avec le Burkina Faso, est confrontée aux incursions de groupes jihadistes, lesquels font peser une menace sur les populations comme sur l’économie. Le Togo saura-t-il préserver son attractivité et sa réputation de pays où il fait bon vivre et faire des affaires ?

Les pouvoirs publics semblent en tout cas déterminés à trouver un compromis entre inflation et croissance, ainsi qu’à renforcer la stabilité sécuritaire, économique et sociale. « L’insécurité freine l’élan positif et détourne les autorités des priorités de développement, puisqu’elles doivent consentir davantage de ressources dans les effectifs et équipements militaires. Il est donc primordial de garantir la sécurité, qui attire les investisseurs », reconnaît le patron d’un groupe bancaire établi à Lomé.

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Objectifs contrariés

Face à la situation sécuritaire, force est de constater que l’exécutif togolais a été actif dans sa réponse à l’avancée jihadiste, afin déviter l’endoctrinement des jeunes ou le radicalisme religieux. Pour accompagner la région des Savanes, un plan d’urgence a été mis en place et doté de près de 260 milliards de F CFA (plus de 396 millions d’euros), mobilisés après quelques coupes budgétaires opérées dans les ressources initialement allouées aux secteurs de l’agriculture, de l’eau et de la santé.

Nous avons maintenu une croissance aux alentours de 2 % en 2020

« Nous faisons tout pour contenir la menace, ce qui nous oblige à y consacrer plus de moyens, explique un membre du gouvernement. Le président Faure Gnassingbé est convaincu que les solutions militaires et sécuritaires ne suffiront pas : il faut y associer un élan de mobilisation citoyenne, éveiller une conscience collective et accroître la vigilance de chacun, pour éviter l’enracinement du phénomène. Cela requiert un esprit de dialogue avec les chefs coutumiers, la société civile et les autorités religieuses. »

Dans ce contexte régional également fragilisé par les coups d’État et transitions en cours au Mali, en Guinée et au Burkina Faso, auxquels s’ajoutent les conséquences de la pandémie de Covid-19 et le contrecoup de la guerre en Ukraine, l’exécutif a réajusté son Plan national de développement et tient rigoureusement le cap sur sa feuille de route 2020-2025.

« Nos objectifs ont été contrariés au sortir de la pandémie de Covid-19 mais, malgré tout, nous avons maintenu une croissance aux alentours de 2 % en 2020. Malheureusement, nous sommes confrontés à un double défi. D’abord sécuritaire : même s’il y a des éclaircies sur la situation au Mali et au Burkina, le contexte reste volatil et fragile, confirme Gilbert Bawara, le ministre de la Fonction publique, du Travail et du Dialogue social. Notre pays a subi des attaques et l’on constate que s’opère un glissement des groupes armés vers les pays côtiers. L’autre défi est lié la guerre en Ukraine et à ses corollaires : la flambée des prix des engrais et des céréales, et une inflation galopante, partout. »

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Exposé comme la plupart des pays de la région à la fluctuation des prix, Lomé essaie de prendre des mesures pour en atténuer l’impact. Et, alors que les subventions aux produits pétroliers frôlent la somme « insoutenable » de 20 milliards de F CFA, l’exécutif a procédé à des hausses successives des prix à la pompe et a mis un terme aux aides accordées sur le gaz.

Des projets phares dans l’énergie

Articulée autour des « trois R » (riposte, résilience, relance), la feuille de route du gouvernement togolais se concentre ces derniers mois sur la reprise de la croissance, qui s’est maintenue à 1,8 % en 2020 et, selon le FMI, devrait rebondir à 5,6 % pour 2022 – au lieu des 6,2 % initialement attendus. Principaux objectifs : conforter le pays dans son rôle de plateforme logistique et de hub financier ; développer les pôles manufacturier et de transformation agricole (notamment à travers les investissements publics et privés) ; sans oublier de consolider le développement social, à plus forte raison dans la conjoncture actuelle marquée par la cherté de la vie.

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Cette stratégie repose sur des projets phares, en particulier dans le secteur de l’énergie, à commencer par le parc solaire de Blitta, dans le centre du pays, inauguré en juin 2021. Réalisée dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP) et porté par Amea Togo Solar, filiale locale du groupe dubaïote Amea Power, cette centrale d’une puissance installée de 50 mégawatts (MW) a nécessité un investissement de 21,5 milliards de F CFA.

Située sur la zone du port de Lomé, la centrale à cycle combiné (gaz-vapeur) Kékéli Efficient Power a elle aussi commencé à tourner en 2021. Elle est développée et détenue à 75 % par le groupe panafricain Eranove, avec l’État togolais pour coactionnaire (25 %), à travers la société d’investissement Kiféma Capital. Un investissement de 85 milliards de F CFA, pour une capacité de 65,5 MW – la plus importante du pays. Ces deux projets permettent d’alimenter en électricité quelque 400 000 foyers.

Forte valeur ajoutée

Autres principaux moteurs de la reprise : les investissements, qui doivent permettre de développer les capacités du pays et d’engager une transformation structurelle de son économie, avec des projets à forte valeur ajoutée et à même de créer des emplois locaux.

On retiendra en particulier l’acquisition, à la fin de 2021, de 90 % des parts de la Banque togolaise pour le commerce et l’industrie (BTCI) par IB Holding, du géant burkinabè du BTP Mahamadou Bonkoungou. Au-delà de cette opération de plus de 6,4 milliards de F CFA – de quoi renflouer les finances publiques –, la capitale togolaise continue de renforcer sa position de hub financier. Ecobank, Oragroup, la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) et la Banque d’investissement et de développement de la Cedeao (BIDC) y ont établi leur siège depuis plusieurs années, et de nombreux groupes y sont désormais présents, comme la Banque de développement du Mali (BDM), qui a ouvert une filiale à Lomé à la fin de 2021.

Une agence de transformation agricole au rôle stratégique clé a vu le jour

Le développement du numérique a aussi permis d’accélérer la croissance de ce secteur, comme de bien d’autres. En effet, la digitalisation des services de l’État et la dématérialisation des procédures administratives engagées depuis le début des années 2010 portent leurs fruits, aussi bien pour ce qui est de « faciliter le business » que pour la formation et, plus généralement, les démarches de la vie quotidienne des entreprises comme des particuliers : services de la sécurité sociale, paiement des impôts et formalités de douanes en ligne, carte de séjour numérique, etc.

De leur côté, les investissements drainés par la plateforme industrielle Adétikopé (PIA) sont déjà estimés à 140 milliards de F CFA. Et, sous l’effet des investissements qui y sont prévus, les crédits à l’économie ont franchi la barre des 3 000 milliards de F CFA à la fin du premier semestre 2022. Inaugurée en juin 2021 à une vingtaine de kilomètre de Lomé, la PIA est née d’un PPP entre l’État Togolais (35 %) et Arise IIP, filiale du groupe Arise (65 %). Son financement, d’un coût global de 247 millions d’euros, dont 175 millions de prêts, est désormais bouclé. En effet, Arise IIP, qui avait déjà obtenu un financement de 30,5 millions d’euros de la Banque ouest africaine de développement (BOAD), a signé le 16 août une convention de prêts de 145 millions d’euros avec un pool de banques mené par Afreximbank (85 millions d’euros), Ecobank (45 millions) et la Banque internationale pour l’Afrique (BIA-Togo, 15 millions).

Nouveau parc textile

Dans le domaine de l’agriculture, le Mécanisme incitatif de financement agricole (Mifa) a été privatisé, afin de muscler le dispositif d’accompagnement des producteurs ruraux par la mise en place de fermes modernes (semences, engrais bio, etc.). Une agence de transformation agricole, qui doit tenir un rôle clé dans la stratégie de mécanisation et pour l’irrigation des plaines agricoles aménagées, a également vu le jour.

Pour relancer la production cotonnière, engluée dans un cycle de contreperformance liée à la désorganisation de la filière, l’État mise sur les PPP. La prise de participation à hauteur de 51 % du géant singapourien Olam dans le capital de la Nouvelle société cotonnière du Togo (NSCT) – ex-Société togolaise de coton (Sotoco) – devrait permettre, dès la campagne 2022-2023, d’atteindre une production de 200 000 tonnes (t) de coton. Laquelle devrait trouver un transformateur au sein du nouveau parc textile développé par Togo Clothing Company (TCC), implanté sur la PIA. Spécialiste mondial de la confection, le groupe a déjà recruté plus de 1 000 employés pour démarrer la production et prévoit d’investir un total de 20 milliards de F CFA pour transformer quelque 56 000 t de coton par an.

Enfin, dans une tout autre filière industrielle, la Cimenterie de la Côte ouest-africaine (Cimco) – filiale de Cim Metal Group, de l’homme d’affaires burkinabè, Inoussa Kanazoé – a construit dans la zone portuaire de Lomé une usine dotée d’une capacité de production de 2 millions de t de ciment par an. Un investissement de 65 milliards de F CFA, appuyé à hauteur de 25 milliards par la BOAD. La cimenterie devrait bientôt tourner à plein régime, au vu des aménagements en cours et, en particulier, du programme de construction de 3 000 logements lancé en 2021 par l’État et Shelter Afrique.

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