Tchad : retour sur le complot présumé contre Idriss Déby Itno

Se disant persuadé qu’un complot se tramait contre lui, le président Idriss Déby Itno a fait procéder à une série d’arrestations. Pour ses opposants, il s’agit d’un prétexte pour lancer une purge et régler quelques comptes.

Le président tchadien Idriss Déby Itno, en décembre 2012. © Martin Bureau/AFP

Le président tchadien Idriss Déby Itno, en décembre 2012. © Martin Bureau/AFP

Christophe Boisbouvier

Publié le 21 mai 2013 Lecture : 4 minutes.

« L’été tchadien »… Le président Idriss Déby Itno accuse ses ennemis d’avoir voulu provoquer un « été tchadien », autrement dit un soulèvement populaire. Rien de moins. « C’est une très grande conspiration, qu’on peut appeler peut-être l’été tchadien, à l’image du Printemps arabe. C’est cela qu’on a voulu faire », a-t-il lancé le 8 mai à N’Djamena.

Qui est dans le viseur ? « Les conspirateurs ont leur bras armé à Korbol », accuse le chef de l’État. Korbol, dans le Moyen-Chari, à quelque 380 km au sud de N’Djamena, c’est le fief du Mouvement pour la paix, la réconciliation et le développement (MPRD), un groupe rebelle assez confidentiel créé il y a huit ans par Djibrine Dassert. Cet ancien compagnon d’armes d’Idriss Déby Itno est aujourd’hui décédé, mais son mouvement survit sous la direction de Djedouboum Sadoum, un Tchadien réfugié en France. Le président a fait allusion à lui lors de son intervention du 8 mai.

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Autre opposant dans le collimateur, Moussa Tao Mahamat. Originaire du Chari-Baguirmi, la région limitrophe de la capitale, il a été l’un des cadres de l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD), le mouvement rebelle de Mahamat Nouri, qui, aux côtés de l’Union des forces de la résistance (UFR) de Timan Erdimi, a failli faire tomber N’Djamena en février 2008. Rallié au régime en 2010, il est rentré au pays dans l’espoir d’obtenir un poste et n’a rien eu. A-t-il conspiré ces derniers mois ? Quand le ministre des Affaires étrangères déclare : « Un groupe d’individus préparait un complot contre les institutions de l’État, mais il était suivi depuis décembre dernier par les services de sécurité », sans doute pense-t-il notamment à Moussa Tao Mahamat.

Moussa Tao Mahamat : ancien rebelle, rallié au régime en 2010, il est aujourd’hui soupçonné par le pouvoir. Et a été arrêté le 1er mai.

© Exclusivité du blog de Makaila

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Braconnage

Cette année à N’Djamena, le 1er mai a été beaucoup plus agité que d’habitude. À partir de 17 heures, les forces de sécurité ont procédé à une vague d’arrestations. Dans une concession proche de la caserne de Gassi et d’une église évangélique, des affrontements ont éclaté. Bilan : entre trois et huit morts, selon les sources. Outre Moussa Tao Mahamat, une vingtaine de personnes auraient été arrêtées. Dans les heures qui ont suivi, plusieurs personnalités ont été appréhendées – la plupart à leur domicile. Il s’agit de deux députés, Mahamat Malloum Kadre, de la majorité, et Saleh Makki, de l’opposition – sans que le bureau de l’Assemblée nationale ait été préalablement informé -, et de trois officiers supérieurs : le général Weiding Assi Assoue, ex-ministre de la Défense, le général David Beadmadji Gomine, directeur de la justice militaire, et le colonel Ngaro Ahmadou Ahidjo, actuel gouverneur du Salamat, dans le sud-est du Tchad.

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Où était le chef de l’État pendant ces événements ? Dans le fief de la très puissante communauté zaghawa, à Iriba, dans le nord-est du pays, où il a révoqué le sultan du Dar Zaghawa pour « mauvaise manière de servir ». Après son retour à N’Djamena, une seconde vague d’arrestations a eu lieu. Le 8 mai, deux députés ont encore été arrêtés : Routouang Yoma Golom, de la majorité, et Gali Ngothé Gatta, de l’opposition. La prison, Gali connaît bien. Sous le régime Hissène Habré, il n’avait dû la vie sauve qu’à l’intervention expresse de François Mitterrand. Et l’an dernier, il a passé six semaines au cachot pour une sombre histoire de « complicité de braconnage de phacochère »…

Le pouvoir a-t-il la main lourde ? « On parle de chasse aux sorcières, mais il ne faut pas qu’on se trompe. Personne n’est au-dessus de la loi, et la justice fera la part des choses », affirme Idriss Déby Itno. « Je ne crois pas qu’il y a eu complot. Le pouvoir veut casser l’opposition avant les législatives de 2015 et la présidentielle de 2016 », répond le leader d’opposition Saleh Kebzabo.

Mercenaires

De son côté, la société civile s’alarme. D’autant qu’au même moment deux journalistes ont été arrêtés : Éric Topona, le secrétaire général de l’Union des journalistes tchadiens, et Avenir Moussey de la Tchiré, le directeur du bimensuel Abba Garde. Et que le blogueur tchadien Makaila Nguebla, qui vivait au Sénégal depuis huit ans, a été expulsé de ce pays vers la Guinée-Conakry, trois jours après la visite du ministre tchadien de la Justice à Dakar. Commentaire de la Tunisienne Souhayr Belhassen, présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) : « Même si nous condamnons toutes les tentatives de coup d’État, l’histoire récente du Tchad nous a montré que celles-ci, avérées ou non, servaient le plus souvent à des purges ou à des règlements de comptes. Je pense à l’opposant Ibni Oumar Mahamat Saleh, qui est porté disparu depuis cinq ans. »

Depuis plus de deux mois, la tension remonte au Tchad. Fin mars, à partir de Doha, au Qatar, le rebelle Timan Erdimi a annoncé qu’il voulait reprendre les armes. Fin avril, Idriss Déby Itno a reproché à la Libye d’abriter, à Benghazi, un camp de mercenaires tchadiens. « Je connais ceux qui pilotent ces hommes », a-t-il ajouté. Au moment où 2 000 membres de ses troupes d’élite sont engagés dans le Nord-Mali, le chef de l’État tchadien renforce sa garde à N’Djamena. Au prix de plusieurs dizaines d’arrestations. 

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