Centrafrique : Bangui la Roquette

Publié le 13 mai 2013 Lecture : 2 minutes.

Les États faillis présentent des symptômes qui ne trompent jamais. Quand l’ancienne puissance coloniale, puis néocoloniale, la France, « déconseille formellement » tout voyage dans un pays, demande « instamment » à ses ressortissants de le quitter au plus vite et ajoute que ses soldats sur place « se tiennent prêts à toute intervention et éventuellement évacuation », c’est que le bateau coule. Quand l’unique institution internationale présente sur place, la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), abandonne son siège pour s’installer sous des cieux moins orageux, sans intention de revenir, c’est que les voisins ont perdu espoir. Quand les camionneurs qui ravitaillent la capitale en empruntant le seul axe routier menant vers l’extérieur se mettent en grève parce que l’un des leurs et son compagnon ont été tués de quatre balles dans la tête, c’est que l’asphyxie est pour demain. Quand les ONG humanitaires plient bagage, écoeurées par les mises à sac répétées de leurs locaux, c’est qu’il n’y a plus qu’à fermer le ban. La République centrafricaine et ses cinq millions d’habitants peuvent donc sombrer en paix dans le chaos. Il n’y a plus de témoins.

La Centrafrique, ce n’était déjà pas grand-chose lorsque les rebelles de la Séléka ont déclenché, en décembre 2012, leur offensive. Un État bricolé, une économie balbutiante, un pouvoir sourd et muet au point d’avoir été qualifié d’« autiste » par un président français. Cinq mois de guerre puis de pillages pavloviens l’ont réduit à ce que les évêques du diocèse de Bangui qualifient, dans une lettre ouverte, de « pays fantôme ». Le terme est pudique, celui de « néant » étant plus approprié. Dans Bangui la Coquette, rebaptisée « Bangui la Roquette », et partout ailleurs, écoles, hôpitaux, dispensaires, usines, administrations, ministères, hôtels, casernes, prisons, rien ne fonctionne, tout a été désossé, déménagé, exfiltré par les bandes armées. Seul l’aéroport, tenu par les militaires français, est encore sécurisé. Et puis il y a les enfants-soldats, les viols, les meurtres, les profanations d’églises et ce sale air de conflit religieux, musulmans contre chrétiens, aux allures de cauchemar.

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Qui est responsable ? Tout le monde, ou plutôt tous les acteurs de cette tragédie oubanguienne. L’ancien président et sa mal-­gouvernance ; son successeur autoproclamé, incapable de se faire obéir par les soudards ; l’ex-opposition dite démocratique, qui lorgne les élections prévues dans dix-huit mois et, pour cela, se tait sur les exactions quotidiennes ; la communauté internationale, qui ne voit pas que ce pays ivre est aujourd’hui une zone grise par laquelle le virus jihadiste venu du Soudan et du Nigeria s’introduit jusqu’au coeur de l’Afrique centrale. Armes, diamants, prêcheurs salafistes : ce cocktail Molotov inquiète au plus haut point des voisins fragiles, directement menacés tant leurs frontières sont poreuses. Réunis début mai, ces derniers ont lancé « l’appel de Brazzaville », et l’un d’entre eux, le Congo, a mis 5 milliards de F CFA (7,6 millions d’euros) sur la table. Sans doute faut-il saluer le geste, mais aussi ne pas se leurrer : on ne soigne pas un malade qui refuse l’hôpital. Le seul médecin qui vaille désormais pour la Centrafrique a le casque bleu de l’ONU, et l’unique remède s’appelle la mise sous tutelle. Jusqu’où faudra-t-il que ce peuple et ce pays descendent pour qu’enfin on s’en rende compte ?

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