Télécoms : frais d’itinérance des données, et si c’était la fin ?
Alors que le Gabon et le Togo ont mutuellement officialisé la fin des frais d’itinérance des données, cette réforme sur laquelle planchent depuis quinze ans opérateurs et régulateurs fait encore l’objet, malgré de nombreux succès régionaux, de divers blocages sur le continent.
Télécoms : la revanche des outsiders africains
MTN, Orange, Vodacom, Airtel… Parce qu’ils sont présents sur de nombreux maillons de la chaîne de valeur des télécoms, les mastodontes africains font parfois oublier que d’autres acteurs plus modestes comme Axian, Tizeti ou N+One font tout autant bouger les lignes du secteur et pourraient, à terme, rivaliser d’égal à égal avec le quatuor dominant.
Le 8 août, à Lomé, Lin Mombo, le président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) du Gabon, a volontiers serré la main de Michel Yaovi Galley, son homologue togolais. Les deux pays ont, à cette date, acté la fin des frais d’itinérance (roaming). Cette décision permet aux Gabonais et aux Togolais amenés à voyager dans l’autre pays de profiter, selon les institutions de chacun des États, d’« une baisse drastique des prix sur les communications mobiles (voix, data et SMS) ».
C’est un accord bilatéral de plus pour Libreville, pionnier en la matière, qui a déjà conclu des partenariats avec le Congo et le Rwanda. L’initiative est rare à l’échelle du continent, où la fin des frais d’itinérance entre les pays se profile encore en pointillé. À ce jour, la seule réussite régionale se trouve en Afrique de l’Est, avec le One Network, amorcé en 2014 et adopté par le Kenya, le Rwanda, le Soudan du Sud, l’Ouganda, le Burundi et la Tanzanie.
En Afrique centrale, la Cemac devait acter la fin du roaming en 2021. Mais, en pratique, les prix n’ont pas bougé. En Afrique de l’Ouest, la Cedeao a rallié en 2017 certains pays à des principes communs, sans parvenir à réunir tous ses membres dans une phase d’expérimentation. Elle a finalement réuni le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali, la Guinée, le Togo, le Sénégal et le Bénin, en 2021, autour d’un texte commun encore non appliqué.
Blocages politiques et pertes de recettes
À l’échelle du continent, le projet phare dans le domaine s’inspire du modèle est-africain. Lancé en 2016, One Africa Network est un projet de marché unique piloté par l’initiative Smart Africa, qui regroupe 32 pays signataires. « C’est un plan qui se met en place par paliers, souligne Lacina Koné, son directeur général. Il y a d’abord des initiatives bilatérales, sous-régionales puis régionales. L’adoption de lignes directrices harmonisées permettra ensuite une véritable intégration continentale. »
Si une alliance réunissant États africains et acteurs privés des télécoms et de la tech africaine et mondiale prend en charge ce chantier, c’est parce que les blocages politiques demeurent nombreux. « L’accès à internet dans les pays africains est un droit régalien, ce qui implique des négociations sur le trafic de gros, entre les pays », souligne par exemple Giuseppe Renzo D’Aronco, économiste à la Commission économique pour l’Afrique (CEA) des Nations unies.
Le roaming fera diminuer le chiffre d’affaires des opérateurs, qui sert d’assiette aux calculs de nombreuses taxes
Le roaming n’est pas non plus vu comme une priorité pour certains États, et ce pour des raisons fiscales. Outre la taxation des surcoûts, « le roaming fera diminuer le chiffre d’affaires des opérateurs, qui sert d’assiette aux calculs de nombreuses taxes, dont une partie non négligeable de surtaxes sectorielles », analyse un porte-parole du groupe Orange interrogé par Jeune Afrique.
Un autre problème repose aussi sur la structure de la clientèle africaine. « Le roaming est lié aux abonnements, mais 95 % des gens consomment des abonnements prépayés. Cela pose un souci d’identification de ces clients à l’étranger », explique Aissatou Dieng Diop, ancienne directrice des opérations internationales de Sonatel et consultante chez Africa Telecoms Consulting. Le prépaiement impose donc de légiférer et de mieux coordonner la récolte et l’échange d’informations. En Afrique de l’Ouest, la gratuité du roaming a par exemple été limitée à trois cents minutes sur trente jours pour éviter les fraudes.
Les opérateurs à qui perd gagne
Bien qu’ils s’y préparent, les opérateurs restent réticents à l’adoption de la mesure en raison des potentielles pertes financières. « Les opérateurs étaient hésitants il y a quelques années, du fait de la perte de revenus et des investissements à réaliser dans les réseaux terrestres nécessaires à l’interconnexion », souligne Aissatou Dieng Diop.
Les opérateurs ont intérêt à faciliter le voyage : cela fidélise les clients et ralentit l’essor des plateformes
Mais, aujourd’hui, les infrastructures ne posent plus de problème. « Il n’y aura pas de souci à court terme, précise Thomas King, CTO du fournisseur d’interconnexions DE-CIX. Même si des investissements pourraient être requis sur le long terme, notamment du fait de l’usage croissant des données. » Quant aux pertes de revenus, elles pourraient être associées à une explosion des usages, qui les surcompenseraient. « Les pays d’Afrique de l’Est ont vu leur trafic augmenter jusqu’à 150 % » après la disparition des frais liés au roaming, soutient Giuseppe Renzo D’Aronco.
La fin des frais à l’international motiverait l’essor de nouvelles offres commerciales. Aissatou Dieng Diop observe déjà des dynamiques positives, avec des forfaits internationaux qui se démocratisent. « Les opérateurs ont intérêt à faciliter le voyage : cela fidélise les clients et ralentit l’essor des plateformes », estime-t-elle. Encore faudra-t-il régler le casse-tête comptable qu’implique cette décision, qui nécessite une surveillance à l’international. Orange a par exemple mis en place une chambre de compensation, à la manière des financiers internationaux, pour faciliter les transactions.
Sur le plan pratique, la fin des frais d’itinérance n’est pas une idée révolutionnaire. Les opérateurs l’appliquent déjà entre leurs filiales, voire entre eux. Et la physionomie du marché africain n’est pas non plus très complexe. « Une demi-douzaine de grands opérateurs contrôlent la quasi-totalité du marché, rappelle Lacina Koné. Il est donc possible de trouver un compromis. »
La fin des frais d’itinérance semble d’autant plus logique que des plateformes comme WhatsApp représentent déjà des alternatives pour les communications à l’international. « Le roaming téléphonique n’a déjà plus d’intérêts économiques, il faut donc privilégier le roaming des données internet, c’est là que se trouve encore la valeur », soutient Giuseppe Renzo D’Aronco. Et l’horizon de la Zone de libre-échange continentale africiane (Zlecaf) laisse entrevoir un effet catalyseur supplémentaire. « La Zlecaf et One Africa Network visent tous deux l’intégration continentale, laquelle ne sera pas possible sans de véritables outils de communication », résume ainsi Lacina Koné.
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Télécoms : la revanche des outsiders africains
MTN, Orange, Vodacom, Airtel… Parce qu’ils sont présents sur de nombreux maillons de la chaîne de valeur des télécoms, les mastodontes africains font parfois oublier que d’autres acteurs plus modestes comme Axian, Tizeti ou N+One font tout autant bouger les lignes du secteur et pourraient, à terme, rivaliser d’égal à égal avec le quatuor dominant.
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