Chronique katangaise
La province cultive encore, cinquante ans après son retour dans le giron congolais, des velléités d’autonomie. De là à parler de fièvre séparatiste, il y a un pas.
Le Katanga, au-delà des mines
« Des bêtises ! » répondait début mars le gouverneur Moïse Katumbi à Jeune Afrique (no 2723, du 17 au 23 mars 2013) qui l’interrogeait sur les supposées résurgences indépendantistes dans la province. « La sécession du Katanga a été préparée à un autre niveau, en Belgique. Nous avons besoin d’unité nationale. Les sécessionnistes purs et durs, chez nous, sont des vieux de la vieille, des nostalgiques d’une autre époque, âgés de 80 ou 90 ans. » Pourtant, le 23 mars, quelque 250 miliciens armés se réclamant du groupuscule Kata Katanga (« Détachez le Katanga », en swahili, lire p. 80) marchent jusqu’à la place Moïse-Tshombe, dans le centre de Lubumbashi, descendent le drapeau national et hissent celui de l’ancien Katanga sécessionniste. Tout un symbole.
À deux reprises déjà, le 4 février 2011 et le 7 août 2012, des hommes armés de la Coordination pour le référendum de l’autodétermination du Katanga (Corak) avaient attaqué l’aéroport international de la Luano, à une dizaine de kilomètres du centre de la capitale provinciale, avant d’être maîtrisés par la garde républicaine après de longues heures de violents combats. L’attaque du camp militaire de Kimbembe, près de Lubumbashi, le 11 juillet 2011, était également attribuée à un commando de la Corak, qui avait écrit aux autorités provinciales pour demander le départ des « occupants du régime congolais » avant le 11 juillet (date anniversaire de la sécession de la province).
L’an dernier, un autre mouvement, le Conseil national de transition du Katanga (CTK), faisait circuler des tracts pour annoncer « une marche de réclamation de l’indépendance ». Ce sont là les épisodes les plus visibles, parce qu’ils se sont déroulés près de la capitale provinciale, de ces « réclamations ». Mais depuis le début de l’année, les exactions de groupes de miliciens Maï-Maï, aux motivations souvent confuses, se répètent dans le Nord-Katanga.
Faut-il en conclure que le sécessionnisme est toujours d’actualité dans la plus riche et la plus méridionale des provinces de la République démocratique du Congo ? Rien n’est moins sûr (lire p. 78). Il y a plutôt, pour certains partis politiques, une aspiration au fédéralisme. Fer de lance de ce combat, Gabriel Kyungu wa Kumwanza, le président de l’assemblée provinciale du Katanga et chef de file de l’Union nationale des fédéralistes du Congo (Unafec, lire p. 79). Depuis un an, son parti a lancé une pétition en faveur d’une révision constitutionnelle visant l’instauration du fédéralisme, qu’il compte soumettre au Parlement en 2016, à la fin du second mandat de Joseph Kabila.
Fin de sécession
Mais reprenons le fil et la mesure de l’Histoire. Celle qui s’est écrite le 15 janvier 1963. Moïse Kapenda Tshombe, président du Katanga indépendant, se trouve alors à Kolwezi, ville minière située à quelque 240 km d’Élisabethville (aujourd’hui Lubumbashi). Contre toute attente pour ses partisans, Tshombe y fait une importante déclaration. Il se dit prêt à mettre fin à la sécession et à regagner Élisabethville afin d’y superviser les modalités de mise en oeuvre du plan Thant (du nom du secrétaire général des Nations unies) impliquant la liberté de mouvement des troupes de l’ONU à travers la province.
L’homme fort du Katanga demande au chef du gouvernement central, Cyrille Adoula, d’accorder sans délai une amnistie garantissant la sécurité et la liberté au gouvernement katangais, à lui-même ainsi qu’à tous leurs collaborateurs. Soufflant le chaud et le froid, Tshombe reconnaît sa défaite, mais dénie à quiconque le droit de priver le peuple katangais de son aspiration à l’autodétermination. Pour lui, cette autodétermination doit s’exercer dans le cadre d’un Congo fédéral. C’est la fin officielle de la sécession du Katanga. Deux jours plus tard, Tshombe se rend à Élisabethville. Sa reddition est l’épilogue de la première grande crise du jeune État congolais, la sécession katangaise, qui aura duré vingt-neuf mois et quinze jours.
Partie d’échecs
Tout a commencé dès le lendemain de l’indépendance de l’ex-Congo belge, le 30 juin 1960. À Léopoldville (rebaptisé Kinshasa en 1966), les choses commencent à se gâter pour le jeune gouvernement de Patrice Lumumba, avec des mutineries dans les casernes, qui précipitent le départ massif des Belges restés au Congo. Deuxième épreuve : le 11 juillet, avec la proclamation de l’indépendance de l’État du Katanga par Moïse Tshombe, à Élisabethville. Un « État » que personne ne reconnaîtra jamais en tant que tel sur le plan international, malgré le soutien affiché ou officieux de certains pays, mais qui en prend tous les attributs : un drapeau (rouge et blanc barré de vert et marqué de trois croisettes, ces croix en cuivre utilisées depuis le XIXe siècle comme monnaie et restées, jusqu’à aujourd’hui, les emblèmes de la province), un hymne (La Katangaise), une devise (« Force, espoir et paix dans la prospérité ») et même une monnaie (le franc katangais, frappé symboliquement de croisettes).
Quelles étaient alors les motivations de Tshombe ? Dire qu’il détestait Lumumba est un euphémisme. Au-delà de cette exécration viscérale se jouait une partie d’échecs diplomatique et économique. Avec, derrière Tshombe, la Belgique officielle, qui n’a pas digéré le discours prononcé le 30 juin par le Premier ministre Lumumba devant le roi Baudouin. Et, surtout, des intérêts financiers, les Belges détenant la plus grande entreprise du pays : la toute-puissante Union minière du Haut-Katanga.
Pour eux, il n’était pas question de laisser le Katanga et ses mines dans le giron congolais. Et ils poussèrent Tshombe à aller jusqu’au bout d’une aventure dans laquelle deux personnalités perdront la vie : Patrice Lumumba, livré à Tshombe par le gouvernement central le 17 janvier 1961 et assassiné le même jour, ainsi que le Suédois Dag Hammarskjöld, secrétaire général de l’ONU, mort le 17 septembre 1961 dans le crash, resté inexpliqué, de l’avion qui le conduisait à Ndola, en Rhodésie du Nord (actuelle Zambie), où il avait rendez-vous avec Tshombe.
Populaire
La capitulation de Tshombe, le 15 janvier 1963, résulte d’un ensemble d’actions qui ont bénéficié du soutien quasi unanime de la communauté internationale, soucieuse, dès février 1961, de préserver le Congo d’une guerre civile. Ce qui explique pourquoi les Casques bleus de l’ONU obtinrent du Conseil de sécurité un mandat leur permettant de recourir à la force pour écraser la sécession et restaurer l’unité du Congo. Les Katangais étaient pris entre deux feux, celui des opérations onusiennes et celui de l’Armée nationale congolaise (ANC).
Isolé diplomatiquement, Tshombe ne pouvait pas résister longtemps. Après sa reddition, il s’exilera en Espagne. Un exil de courte durée puisqu’il revint, dès 1964, dans un Congo unifié mais en quête de stabilisation. Il sera nommé Premier ministre du gouvernement central de coalition… à Léopoldville. Et tout le monde de se surprendre à découvrir à quel point l’homme est populaire, jusqu’à Stanleyville (aujourd’hui Kisangani), l’ancien fief de Lumumba.
Le président Joseph Kasa-Vubu, en fin de mandat, en prit ombrage et le révoqua le 13 octobre 1965, alors que Tshombe venait de remporter haut la main les élections législatives avec sa coalition, la Convention nationale congolaise (Conaco). S’ensuivit entre Kasa-Vubu et Tshombe une crise qui poussa le lieutenant général Joseph-Désiré Mobutu, chef de l’armée, à prendre le pouvoir, le 24 novembre 1965.
D’une indépendance à l’autre
30 juin 1960 Indépendance du Congo belge. Joseph Kasa-Vubu devient le premier président et Patrice Lumumba le premier Premier ministre de la République du Congo.
11 juillet 1960 Moïse Tshombe proclame l’indépendance de l’État du Katanga, dont il est élu président le mois suivant.
17 janvier 1961 Lumumba est transféré au Katanga, où il est assassiné.
21 février 1961 Le Conseil de sécurité de l’ONU décide, à la demande du gouvernement congolais, d’envoyer des Casques bleus au Katanga.
Décembre 1962 Tshombe se réfugie à Kolwezi après la prise d’Élisabethville par les forces de l’ONU.
15 janvier 1963 Tshombe capitule, proclame la fin de la sécession et accepte de se rendre à Élisabethville, le 17 janvier, pour la mise en place d’un plan de conciliation nationale.
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Le Katanga, au-delà des mines
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