Du Canada à l’Algérie, sur les traces des soldats perdus du jihad
Deux terroristes abattus en janvier sur le site gazier algérien d’In Amenas étaient originaires de London, dans l’Ontario. Ils ne sont pas les seuls islamistes radicaux dans ce cas.
Fin janvier, quelques heures après la sanglante prise d’otages sur le site gazier d’In Amenas, en Algérie, certains survivants avaient évoqué un détail curieux : l’un des jihadistes était « un grand blond » parlant « couramment l’anglais nord-américain ». L’homme a fini par être identifié grâce à des échantillons d’ADN prélevés sur sa dépouille. Il s’agissait de Xristos Katsiroubas, 24 ans, de nationalité canadienne. Parmi les corps des 29 assaillants tués, les enquêteurs vont aussi retrouver celui d’un certain Ali Medlej, même âge, même nationalité, et surtout, même ville d’origine : London, dans la province de l’Ontario (Centre-Est).
Comment ces deux amis a priori sans histoire ont-ils pu se retrouver au coeur d’une opération terroriste d’une telle ampleur ? « Il y a des liens avérés entre une partie de la communauté somalienne de Toronto et certains groupes islamistes somaliens comme les Shebab, explique Aurélie Campana, professeure de sciences politiques à l’université de Laval. Mais avec des jihadistes du Sahel, c’est beaucoup plus surprenant. »
Une dizaine de jours après la prise d’otages, les médias révèlent que deux autres jeunes de London, Aaron Yoon et Mujahid Enderi, seraient eux aussi liés à des groupes terroristes nord-africains.
Tous dans le même lycée
L’islam radical n’est pas une découverte au Canada, où l’on recense près de 1 million de musulmans. Ces dernières années, plusieurs groupes ont été démantelés. D’autres restent sous étroite surveillance. La semaine dernière, deux suspects liés à Al-Qaïda ont été arrêtés alors qu’ils préparaient un attentat dans un train. Certaines cellules facilitent le voyage de candidats au jihad à l’étranger. Depuis le 11 septembre 2001, les services de renseignements canadiens estiment ainsi qu’une cinquantaine d’individus ont rejoint différents groupes à travers le monde, surtout en Afghanistan, au Pakistan et en Afrique.
Les quatre jeunes de London ont-ils bénéficié d’un tel soutien ? Selon une source proche du dossier, le doute n’est guère permis : « Ces garçons parlaient très mal le français et ne baragouinaient que quelques mots d’arabe. Ils ont forcément été encadrés tout au long de leur parcours. » Cet itinéraire, justement, reste mal connu. Issus de la classe moyenne, les futurs jihadistes ont fréquenté la London South Secondary School, un établissement public. Medlej, Katsiroubas et Yoon avaient le même niveau scolaire. Pas forcément brillants en classe, ils n’étaient pas pour autant des caïds. D’origine libanaise, le premier était musulman. C’est sous son influence que Katsiroubas, un Grec orthodoxe, et Yoon, un Coréen catholique, se seraient convertis vers l’âge de 16 ans. Mujahid Enderi, alias Ryan, a quant à lui quelques années de moins et des racines libyennes.
Surveillés par les services
En 2007, les services de renseignements s’intéressent brièvement à Ali et à Xristos, puis relâchent leur surveillance. À tort, car les jeunes se radicalisent peu à peu. Ils fréquentent sans conviction la mosquée de la ville, dont l’imam est loin d’être un radical, mais aussi, semble-t-il, des mosquées islamistes clandestines.
Les autorités canadiennes, qui ne contrôlent pas les sorties du territoire national de leurs ressortissants, ignorent la date exacte de leur départ pour l’Afrique. D’après les premiers éléments de l’enquête, c’était sans doute à la mi-2011. Aaron aurait rejoint Xristos et Ali au Maroc, avant de gagner la Mauritanie. C’est là qu’il est arrêté, en décembre 2011, accusé d’entretenir des liens avec des terroristes et d’être sur le point de rejoindre un camp d’entraînement. En juillet 2012, à Nouakchott, il est condamné à deux ans de prison. Quant à Ali et Xristos, on perd leur trace. On ne les retrouvera qu’en janvier 2013, à In Amenas. Mujahid Enderi, le plus jeune de la bande, s’est, lui, évaporé. Il est activement recherché.
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Benjamin Roger
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