Syrie : elle court, elle court, la rumeur

Fuite de la famille Assad, mort de Bachar, défection de personnalités… Le flot des informations les plus folles – et le plus souvent mensongères – est ininterrompu.

Le président et son épouse avec des familles de victimes du terrorisme. © AFP

Le président et son épouse avec des familles de victimes du terrorisme. © AFP

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 13 mai 2013 Lecture : 5 minutes.

Jamais un tel flot d’informations n’était parvenu d’un champ de bataille. Vidéos, photos, textes, messages audio : des gigaoctets de données sont émis quotidiennement de Syrie. Inévitablement s’y mêle un torrent de rumeurs qui submerge des rédactions internationales bien en peine de trier les nouvelles d’un front presque hermétique aux médias étrangers. Intentionnels ou spontanés, mensongers ou avérés, ces bruits sont décuplés par les nouvelles technologies de l’information et, au mieux, placés sous l’autorité de sources « sécuritaires » ou « diplomatiques », « familières du régime » ou encore « proches de l’opposition ».

Le 24 mars, le web s’affolait : évoquant « des sources médiatiques arabes », le site israélien Eltira annonçait la mort du président Bachar, abattu la veille dans son bureau par son garde du corps iranien Mehdi Jakoby. Au pas de charge, les rédactions mettaient à jour les nécros déjà prêtes. Gardez-les dans vos tiroirs, a rassuré la supposée victime, en chair et en os, devant la caméra de la chaîne turque Ulusal, le 5 avril. Déjà annoncée ici ou là, la nouvelle du tyrannicide n’avait jamais débordé les bas-fonds de la Toile partisane. Le 6 août 2012, un tweet du ministre russe de l’Intérieur l’avait annoncé « blessé ou tué ». Gros buzz, mais le compte était un faux. Mais, en mars, le chef de la diplomatie française lui-même était interrogé : pour la première fois, la rumeur avait tué Bachar. D’autres, comme son beau-frère Assef Chawkat, avaient mordu plusieurs fois la poussière avant d’être refroidis pour de bon.

AssefChawkat, beau-frère de Bachar, est mort deux fois… avant d’être tué pour de bon.

la suite après cette publicité

Entourés de secret, cibles prioritaires des insurgés et vivant dans une quasi-clandestinité, les premiers cercles du pouvoir font l’objet des rumeurs les plus insistantes. Avant que ne soit annoncée sa mort, Bachar se serait ainsi réfugié à Lattaquié en juillet 2012 et sur un navire de guerre russe en janvier 2013. Aux dernières nouvelles, il serait bien à Damas, mais, craignant pour sa vie, ne dormirait plus deux nuits dans le même lit. Fabrice Balanche, directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo), ironise : « Bachar à Lattaquié, Bachar au Congo et Bachar au Tibet, tout cela est faux. Il est bien installé à Damas où il contrôle l’appareil. Il est même plus optimiste en ce printemps pour se permettre de lancer des contre-offensives. »

Asma enceinte

Sa femme, Asma, la « rose du désert », plus très en vogue, avait été la première à faire fleurir les hypothèses. Trop belle et trop occidentale pour adhérer à la barbarie Assad, elle aurait d’abord été l’avocate des protestataires pacifiques avant d’être ramenée à la « raison » par le clan. Début mai 2011, la presse anglaise avait cru la voir en fuite à Londres avec ses enfants, et les spéculations allaient bon train jusqu’à sa réapparition, en février 2012, à une manifestation prorégime en plein Damas. Mais cinq mois plus tard, on la dit à nouveau sur la côte syrienne ou en Russie, et en janvier 2013, le quotidien libanais Al-Akhbar l’annonce même enceinte. Le 16 mars, lorsqu’elle se montre à nouveau à l’opéra de Damas, aucune rondeur ne trahit un heureux événement que plus personne n’évoque.

Certaines rumeurs récurrentes finissent toutefois par se concrétiser. Beau-frère de Bachar et puissant vice-ministre de la Défense, Assef Chawkat est mort une première fois, en décembre 2011, abattu par un garde du corps, puis une deuxième fois, en mai 2012, empoisonné avec quatre autres dignitaires membres de la cellule de crise. Il mourra réellement le 18 juillet 2012 dans un attentat organisé par l’Armée syrienne libre (ASL).

la suite après cette publicité

Guerre de communication. Cette estocade entraîne une explosion des rumeurs. On dit alors Bachar blessé par la bombe, mais il parade vingt-quatre heures plus tard, fringant, à Damas. À Paris, l’ambassadeur de Russie le déclare prêt à partir « d’une façon civilisée », mais le porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères dément. Le sort de Maher, frère de Bachar et bras armé de la répression, reste plus mystérieux : ses apparitions ont toujours été très rares. Le Watan saoudien cite le vice-ministre russe des Affaires étrangères Bogdanov : grièvement blessé dans l’attentat du 18 juillet, il a été amputé d’une jambe et se fait soigner en Russie. Bogdanov nie catégoriquement les propos qu’on lui a attribués, mais un « diplomate occidental basé dans le Golfe » soutient à Reuters que le frère batailleur a effectivement perdu une jambe. On n’a pas davantage vu Maher après le 18 juillet qu’avant.

On a alors annoncé de terribles représailles : des sites syriens prorégime avancent que Bandar Ibn Sultan, qui venait d’être nommé à la tête des services de renseignements saoudiens, a été assassiné quelques jours après l’attentat de Damas. Et la rumeur enfle pendant plusieurs semaines avant que Bandar donne enfin signe de vie. Une autre énigme a fait tweeter en canon : « Mais où est donc passé le vice-président syrien Farouk al-Chareh ? » titre le billet posté le 4 juin 2012 sur son blog par l’ancien diplomate Ignace Leverrier. La très grande discrétion du vice-président syrien depuis le début des événements avait vite fait soupçonner une fugue. Et le 16 août, l’ASL annonçait triomphalement la défection. Mais dix jours plus tard, le présumé déserteur se rendait, devant des journalistes, à une réunion avec un responsable iranien au coeur de la capitale.

la suite après cette publicité

Fuite de la famille présidentielle, mort de Bachar, défection de puissantes personnalités : avérées, de telles rumeurs de palais pourraient donner le signal de la débandade à un régime aux abois. Elles sont des armes potentiellement mortelles dans la guerre de communication que livre l’opposition au clan Assad. Sur les champs de bataille, elles sont également amorcées pour discréditer ou démoraliser l’adversaire. Souvent fausses, elles trouvent parfois confirmation avec le temps. Ainsi, le fantasme des jihadistes insurgés immédiatement brandi par Assad a fini par se concrétiser tandis que le Hezbollah libanais ne s’acharne plus à nier sa présence prouvée au côté du régime en Syrie. Après avoir, dans un premier temps, accusé ce dernier d’opérer des attentats en zone urbaine, l’opposition s’est résolue à condamner les actes des intégristes. Car, dans le désordre total où se trouve la Syrie, tout ce qui pourrait arriver finit un jour par arriver. Longtemps resté rumeur, le recours aux armes chimiques, « ligne jaune » tracée par la Maison Blanche, commence à être attesté par des enquêtes concordantes. Mais Washington voudra-t-il laisser faire de cette rumeur une certitude ?

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires