Bande dessinée : « Kongo », la matrice des ténèbres
Dans un album fort réussi, « Kongo », Tom Tirabosco et Christian Perrissin retracent le voyage de Joseph Conrad en Afrique.
Ce n’est pas une bande dessinée en noir et blanc, c’est une bande dessinée charbonneuse qui se déploie sur 168 pages en dégradés de gris. Kongo, signé par Christian Perrissin (au scénario) et Tom Tirabosco (au dessin), raconte « le ténébreux voyage de Józef Teodor Konrad Korzeniowski », connu quelques années plus tard sous le nom de plume de Joseph Conrad, dans l’atmosphère asphyxiante du Congo exploité par la Belgique. L’expédition se déroule en 1890, et celui qui est alors capitaine de marine en reviendra traumatisé et malade, mais aussi transformé par cette expérience violente et fondatrice qui servira de matrice au chef-d’oeuvre qu’est Au coeur des ténèbres.
« J’ai voulu raconter ce qu’a vécu Conrad, ce qu’il a pu découvrir sur place pour en revenir avec un roman pareil », explique Perrissin. Contrairement à ce que l’on pourrait attendre d’un écrivain-voyageur, Conrad n’a pas rapporté de compte rendu précis de son périple sur les traces de l’explorateur Henry Morton Stanley. « L’arrivée à Boma, la découverte de Matadi et la marche jusqu’à Kinshasa décrites dans Au coeur des ténèbres sont fiables, car Conrad tenait une sorte de journal, qui a été publié, affirme Perrissin. Ensuite, il faut aller chercher des indications ailleurs, notamment dans sa correspondance, où il explique les mauvais rapports qu’il entretenait avec les hommes à bord du bateau… Il existe bien sûr des biographies assez complètes, mais elles ne donnent pas beaucoup de détails sur la remontée du fleuve. »
Pour pallier ce manque d’informations, Perrissin s’est rabattu sur le livre Vingt Années de vie africaine, d’Alexandre Delcommune, publié en 1922. L’homme raconte le cabotage à bord du Roi des Belges, deux ans avant Conrad, et décrit dans le détail les paysages entre Kinshasa et Stanley Falls. « Cela m’a donné une idée plus précise de la géographie des lieux et de la mentalité des colonisateurs établis le long du fleuve », confie Perrissin. À savoir, des « Stanley en carton bouilli » recrutés « parmi les souteneurs, les sous-offs, les maquereaux, les petites frappes et les ratés de tout bord ! » pour reprendre les mots de Conrad.
Sordide
Lequel, de retour à Bruxelles et à Londres, est bouleversé par ce qu’il a constaté sur place. L’homme, à l’origine, n’est pas un opposant à la colonisation. Il est même ouvertement favorable à l’impérialisme et, comme le dit Perrissin, convaincu de se mettre au service du roi Léopold pour « apporter les lumières au continent noir ». « Mais sur place, ajoute le scénariste, il découvre que les méthodes employées sont atroces, notamment sur le chantier du chemin de fer. Rien n’arrête les colons, tout leur est permis du moment où ils peuvent récupérer de l’ivoire et, plus tard, du caoutchouc. » C’est cela que condamnera Conrad : plus que l’idéologie, les méthodes de la colonisation.
À l’instar de Perrissin, Tom Tirabosco ne s’est pas rendu au Congo : « J’ai travaillé sur la base de documents d’époque, sur des photos de la fin du XIXe siècle et sur les portraits réalisés dans le Haut-Congo par un photographe belge des années 1930, Casimir Zagourski. J’ai aussi utilisé les souvenirs d’un voyage en Amazonie péruvienne au cours duquel j’ai navigué sur le fleuve à bord d’un bateau à fond plat. » Utilisant une technique très personnelle de monotype à l’encre rehaussé au pastel blanc, Tirabosco obtient d’étonnants résultats graphiques « en termes de vibrations et de profondeur de champ ». Fond et forme s’accordent ici à la perfection pour restituer tout le sordide d’un passé d’exploitations et de massacres que le présent, dans la région, est loin d’avoir effacé.
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– "Kongo, le ténébreux voyage de Józef Teodor Konrad Korzeniowski", de Tom Tirabosco et Christian Perrissin, Futuropolis, 180 pages, 24 euros.
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