Naissance d’une plume

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  • Alain Mabanckou

    Alain Mabanckou est écrivain et professeur de littérature francophone à UCLA (États-Unis). Depuis 2016, il occupe la chaire de création artistique au Collège de France.

Publié le 26 avril 2013 Lecture : 2 minutes.

L’année 2013 est une année faste pour les éditions Mémoire d’encrier dirigées par l’écrivain haïtien Rodney Saint-Éloi. Créée en 2003, basée à Montréal, la maison fête son dixième anniversaire. L’occasion pour elle de publier, entre autres, un poids lourd de la littérature contemporaine, Dany Laferrière (Journal d’un écrivain en pyjama) et un premier roman signé par Céline Nannini, Jeune Fille vue de dos.

Si le livre de Laferrière est une réflexion, un regard sur la création et la marche de notre époque, qui consolide une oeuvre déjà célébrée dans le monde entier, il faudrait ici saluer la parution de Jeune Fille vue de dos comme un tournant dans les choix éditoriaux de Mémoire d’encrier. L’éditeur affirme là sa volonté de publier « le monde », de ne pas laisser ce champ aux anciennes capitales coloniales. Céline Nannini est française, née à Paris, ne se « sent chez elle nulle part » et « circule entre les gares et les livres ».

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Ce premier roman est à l’image de cette errance des origines. Écriture brève, élégante, à la fois poétique et « vulgaire » dans le sens le plus noble de ce terme. La narratrice « n’arrive à faire face à rien ». On ne peut la voir que de dos alors qu’elle nous livre le journal de cette « incapacité ». En tout, 119 chapitres courts, pérégrinations d’une jeune femme dont la liberté éclate dans le ton, les amitiés, les amours – même les plus éphémères comme avec ce type rencontré dans un concert : « Au fond je me demande bien ce qu’on aurait pu échanger à part quelques joints et peut-être du sexe. » La solitude de la narratrice est manifeste, souvent enveloppée par ses voyages en littérature, voire avec la littérature : « Je pars à Barcelone, avec Salinger encore, et mon carnet. » Les êtres humains qui l’entourent s’effacent, l’ennuient : « Je pars avec Emmanuel, il ne connaît pas la ville. Il dessine, alors on passera du temps assis dans la rue, à regarder. C’était comme ça à Palerme. »

Jeune Fille vue de dos c’est aussi et avant tout une promenade littéraire (Lydie Salvayre, Alexis Jenni, Deleuze, Jean Genet…), des sons musicaux, des bruits de train et d’avion, une définition de ce que devrait être la littérature, avec cette grande interrogation posée par l’auteure : qu’est-ce qu’écrire ? Et la vie quotidienne, catapultée dans les livres, devient une fiction. « C’est pour cette raison que les histoires occupent une si grande place dans nos vies. » Une véritable réussite qui annonce la naissance d’une plume qui comptera dans le paysage littéraire français et l’importance que prend désormais une maison d’édition aux choix courageux.

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