Aïssa Maïga : « Sortons du ghetto noir »

Après avoir joué pour Michael Haneke, Claude Berri ou encore Cédric Klapisch, cette boulimique de projets confirme son grand talent dans le nouveau film de Michel Gondry.

Aïssa Maïga à Cannes, en 2010. © AFP

Aïssa Maïga à Cannes, en 2010. © AFP

Publié le 23 avril 2013 Lecture : 6 minutes.

Elle déboule dans le bar, méconnaissable sous son gros manteau, son bonnet, son foulard… et très fatiguée. Aïssa Maïga revient ce matin-là d’Ouganda. Marraine de l’Association pour la médecine et la recherche en Afrique, elle a pris une petite dizaine d’avions en quatre jours. À son retour, c’est une autre tâche qui l’attend : la promotion du dernier film de Michel Gondry, L’Écume des jours (voir la bande annonce ci-dessous). Elle joue aux côtés de Romain Duris, Omar Sy et Audrey Tautou dans cette adaptation du roman de Boris Vian racontant la merveilleuse histoire d’amour entre Colin et Chloé. 

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Une romance qui tourne à la tragédie lorsque la jeune fille apprend qu’elle est atteinte par une mystérieuse maladie. Et l’un des films où Aïssa Maïga a pu exploiter la plus large palette d’émotions. L’actrice garde « un disque dur africain » mais ne veut pas qu’on la résume à une artiste noire : elle élude souvent les questions quand on lui parle de son rapport à l’Afrique et à sa communauté d’origine. Entretien.

Jeune Afrique : Née à Dakar en 1975, vous êtes rapidement venue vous installer en France avec votre père. Quels sont vos premiers souvenirs d’enfance ?

AÏSSA MAÏGA : Je me souviens des discussions très animées, interminables, qu’il y avait à la maison. Mon père, journaliste de formation, qui a travaillé pour Jeune Afrique à la fin des années 1970 et au début des années 1980, était entouré d’intellectuels africains. J’ai baigné dans une atmosphère anti-impérialiste. Lorsqu’il est mort dans des conditions troubles, empoisonné en 1984 lors d’un voyage au Burkina, j’avais 8 ans et demi. C’est en héros qu’il est parti. J’ai été témoin de la manière dont les gens l’adulaient pour les convictions qu’il portait haut et fort.

Qu’avez-vous ressenti lors de sa disparition ?

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C’était et c’est toujours un traumatisme, une plaie qui ne cicatrisera jamais. Toutes les personnes qui ont perdu quelqu’un très jeune font face à un gouffre. Mais je ne suis pas d’un tempérament mortifère, j’avance, dans une forme de résilience, en tentant de construire quelque chose à partir de ce chaos, presque en remerciant le destin. Presque.

Votre père était malien, votre mère est sénégambienne, quel était votre lien avec l’Afrique ?

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Enfant, je voyageais souvent au Mali, à Ansongo, une petite ville proche de Gao, dans ma famille paternelle. Cela a dû me marquer, parce qu’une amie m’a dit récemment qu’on voyait que j’avais « un disque dur africain ». Mais mes influences sont restées métisses : à la maison, on écoutait du takamba comme du Michael Jackson. Surtout, j’étais avant tout une petite Française qui a eu la chance de grandir dans un milieu où l’on soignait son expression. Je me souviens qu’un jour, dans le RER, une inconnue a félicité mon père, elle était impressionnée par sa maîtrise du français !

Quand avez-vous fait vos premiers pas sur les planches ?

Au collège. Ma professeure de français nous orientait vers le théâtre classique. Il se trouve qu’elle a quitté l’enseignement et monté une comédie musicale dans laquelle elle m’a demandé de jouer et de chanter. C’était un spectacle semi-professionnel et j’ai pu rapidement jouer aux Folies Bergère, au Théâtre de Paris le mercredi et les week-ends. Par la suite, j’ai suivi ma tante, qui faisait du théâtre amateur. Très vite, cette activité est devenue autre chose qu’un loisir. Et puis j’ai découvert le cinéma un peu par hasard. J’avais 19 ans et je suivais des cours de danse… Je correspondais au profil recherché par un chorégraphe pour un film, Le Royaume du passage, une sorte de découverte de l’Afrique à travers les arts et les siècles.

Qu’avez-vous ressenti face à la caméra ?

À part la terreur ? [rires] C’est un peu la même chose qu’au moment de l’accouchement, on a peur, on se demande pourquoi on est là, et en même temps on a la certitude que c’est là qu’on doit être.

Avez-vous des modèles d’actrice ?

Romy Schneider compte beaucoup. Dans L’important c’est d’aimer, elle montre que l’essentiel pour un acteur c’est de donner à voir quelque chose d’authentique, de sincère, une partie de soi. Ce que j’aime au cinéma, c’est l’idée de transmettre une émotion. Quand j’étais jeune, je voulais aussi faire de la sociologie, avoir les outils analytiques pour décortiquer, et pourquoi pas déconstruire, la société. Les jeunes acteurs que j’ai croisés sur le tournage du Royaume du passage, qui faisaient du théâtre d’intervention, très engagé, plein de vitalité et d’humour, m’ont prouvé que le spectacle permettait aussi d’avoir un impact politique sur la société.

Vous avez rapidement tourné dans beaucoup de films et de téléfilms. Vos débuts ont été faciles ?

Pas vraiment. D’abord, j’ai fait une fac de théâtre… pendant un quart de trimestre. Je suis partie car j’avais peur de ronronner. Je suis devenue serveuse en cherchant des rôles à côté. Il y en a très peu dignes de ce nom pour des filles noires, mais quand il y en a, ce sont des beaux rôles. Je ne voulais pas rester dans le ghetto des personnages noirs. J’étais déterminée et prête à encaisser.

Les castings se passaient mal ?

Parfois, dès que j’apparaissais, on me disait que ce n’était pas la peine. Au début, je ne comprenais pas. Mais certaines lectures m’ont fait du bien, notamment Du Noir au nègre, l’image du Noir au théâtre, de Sylvie Chalaye. J’ai compris qu’on avait hérité d’un imaginaire qui datait de plusieurs siècles. Aujourd’hui, je ne suis plus dans le « pourquoi », mais dans le « comment », et j’aimerais faire bouger les choses.

Vous avez été nominée meilleur espoir féminin pour Bamako d’Abderrahmane Sissako, qu’avez-vous ressenti ?

De l’étonnement ! Car pour moi le film était un peu à la marge et pouvait difficilement se faire remarquer par le public et l’académie des Césars. Je pense que mon apparition dans Les Poupées russes, de Klapisch, et le débat sur la discrimination, alors très présent, ont pu compter.

À part Sissako et Klapisch, quels réalisateurs ont particulièrement compté dans votre parcours ?

Claude Berri. Dans L’Un reste, l’autre part, j’ai pu jouer aux côtés de Pierre Arditi, Charlotte Gainsbourg… Soudain, j’étais sur la photo de famille.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans le rôle d’Alise, que vous interprétez dans le nouveau film de Gondry ?

D’abord, c’est un rôle très riche : comme les autres comédiens, je passe d’un registre très enfantin, merveilleux, à quelque chose de sombre, d’inquiétant. Le roman donne peu d’indications sur Alise : elle existe par rapport à son amoureux Chick, joué par Gad Elmaleh, obsédé par le personnage de Jean-Sol Partre. Il n’y a qu’une mise à mort qui pourra la libérer du poids de sa propre existence. Alise est aussi une sorte de double de Chloé [l’héroïne de l’histoire, interprétée par Audrey Tautou, NDLR]. Et lorsque cette dernière tombe malade, elle glisse vers la part la plus sombre d’elle-même.

Comment s’est déroulé votre travail avec Michel Gondry ?

C’était très déstabilisant ! Il crée du chaos, casse les habitudes. Par exemple, sur scène, il n’y a jamais de « Coupez ! », il filme en continue et oblige les acteurs à reprendre en permanence. Il est aussi au coeur d’un dispositif qu’il est le seul à connaître. Beaucoup d’effets qui apparaissent dans le film ne sont pas présents sur le plateau au moment du tournage, il y a donc toute une dimension qui nous échappe. Mais paradoxalement, malgré le poids de la technique, il accorde une très grande marge de manoeuvre aux acteurs.

Comment avez-vous vécu cette immersion dans l’univers bricolé de Gondry ?

Le tournage était une déferlante d’images et d’idées. Le moindre accessoire était minutieusement pensé et réalisé. L’appartement du héros, créé en studio, nous donnait l’impression d’entrer dans une boutique merveilleuse avec de la magie, de l’intelligence partout. L’appartement, vivant, évolue avec l’intrigue et devient « malade », se transformant en une sorte de jungle que nous découvrions au fur et à mesure du tournage.

Quels sont vos projets ?

Un téléfilm de Denis Malleval, Mortel Été, primé au festival de Luchon, bientôt diffusé sur France 2. Et bientôt Max le millionnaire, une comédie romantique très sympa, avec Max Boublil.

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