Patrimoine des ministres français : le grand déballage

Pour conjurer les effets dévastateurs de l’affaire Cahuzac, le président français, François Hollande, souhaite provoquer un « choc de moralisation ». Mais contraindre ses ministres à rendre public leur patrimoine, est-ce vraiment une bonne idée ?

Le président français François Hollande et Jérôme Cahuzac (à dr.). © AFP

Le président français François Hollande et Jérôme Cahuzac (à dr.). © AFP

Publié le 23 avril 2013 Lecture : 5 minutes.

Immeubles, appartements, comptes bancaires, automobiles, bateaux et même ­avions… Le questionnaire que les ministres français ont dû remplir concernant leur patrimoine est encore loin des quelque cinquante pages d’investigation auxquelles les commissions sénatoriales américaines soumettent tout candidat à un poste gouvernemental. L’initiative de François Hollande a néanmoins provoqué le « choc de moralisation » prévu. Mais peut-être pas celui qu’il en attendait. Question tout d’abord de culture. Aux États-Unis, où la valeur humaine s’apprécie d’abord en dollars, il est normal de demander « combien gagnez-vous ? ». En France, c’est une grave indélicatesse. Ce tabou de l’argent hérité du bon vieux bas de laine paysan explique la virulence (à droite) et l’embarras gauche) des réactions de la classe politique à l’instauration de la nouvelle transparence.

Oui, nouvelle, car l’actuelle n’a pas fonctionné, ce qui est une autre raison du scepticisme des partis comme de l’opinion. On approuve le principe sans croire à son application, faute jusqu’ici de contrôles efficaces et de sanctions dissuasives ; sans non plus d’ailleurs considérer les politiques comme des privilégiés de la fortune, ce que confirment la plupart des déclarations ministérielles, qui se situent dans la moyenne nationale des revenus.

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Serpillière

La méfiance reste cependant vive chez les élus. À droite, où Christian Jacob, le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, refuse de « servir de serpillière », Alain Juppé met en garde contre l’excitation malsaine d’un « déballage grotesque ». À lire effectivement le détail des patrimoines abondamment reproduits dans la presse, on tombe sur des inventaires à la Prévert, où les trois vélos de Christiane Taubira, la ministre de la Justice, rejoignent – ironie ou dérision – le camping-car des vacances de la famille Ayrault.

À gauche, Claude Bartolone, l’influent président de l’Assemblée nationale, définit le mieux la difficulté du débat qui va s’engager au Palais-Bourbon. Débat de politique et de conscience, avec tous les sujets sensibles qui avaient déjà failli provoquer un pugilat dans l’Hémicycle lorsque Jean-Marc Ayrault avait exposé les grandes lignes de son projet. « Déclarer, contrôler, sanctionner, c’est de la transparence ; rendre public, c’est du voyeurisme », remarque Claude Bartolone, sans craindre de justifier par ce vilain mot les critiques de l’opposition.

Pour assurer à son texte une majorité décente, le Premier ministre devra se garder tout autant des tentatives d’édulcoration, au prétexte de ne pas alimenter les populismes, que des amendements « boîte de Pandore », qui substitueraient à la présomption d’innocence une suspicion générale de culpabilité – ce serait le cas, par exemple, si les élus se voyaient interdire d’exercer toute activité d’entrepreneur ou de profession libérale pendant la durée de leur mandat, au risque d’installer une République des fonctionnaires et de compromettre un peu plus la laborieuse réduction des déficits publics. Ayrault n’échappera aux pièges et aux dilemmes que s’il parvient à rendre crédible, au-delà des effets dévastateurs du scandale Cahuzac, le vaste programme annoncé de lutte contre la grande délinquance financière, la fraude fiscale organisée et les paradis qui l’accueillent. Tant de promesses semblables ont été faites dans le passé que les pouvoirs en place n’ont jamais pu, ou voulu, tenir ! La fraude fiscale en est l’exemple le plus accablant. Alors que les pertes qu’elle provoque sont estimées à 60 milliards d’euros par an – soit le triple du montant supplémentaire d’économies (14 milliards) et d’impôts (6 milliards) que le gouvernement devra douloureusement trouver pour boucler son budget 2014 -, on apprend que seulement un millier de plaintes sont lancées chaque année par Bercy.

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Rébellion

Ayrault devra enfin répondre à la seule question qui compte plus que jamais pour l’opinion comme pour sa vacillante majorité : le maintien assoupli ou le changement radical de la politique économique et sociale. Il en a eu la démonstration et le houleux spectacle au dernier conseil national du Parti socialiste, où le procès de l’austérité est désormais ouvert par une importante minorité de députés, avec le soutien plus ou moins explicite de plusieurs ministres. En rupture avec la nouvelle ligne social-démocrate du PS, les contestataires refusent de garder le « cap du redressement » inlassablement réaffirmé à l’Élysée comme à Matignon. Quand Manuel Valls les adjure de jouer « collectif », ils répliquent qu’une rébellion des élus vaut mieux qu’une révolte des électeurs.

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La première semble pour longtemps exclue, autant que l’autre est encore incertaine. Habitué à ces frondes épisodiques, Hollande se rassure avec les mêmes arguments : le sérieux budgétaire n’est pas l’austérité, il est même son contraire s’il permet le redressement ; l’hostilité à sa politique n’entraîne pas jusqu’ici d’animosité envers sa personne ni envers celle de son Premier ministre ; malgré les doutes des experts sur ses prévisions de croissance, les réformes engagées depuis dix mois finiront bien par produire leurs effets. Impavide face à l’écroulement des sondages, c’est tout juste si l’Élysée ne voit pas dans la constance de son impopularité la confirmation de ses bons choix !

François Hollande a en tout cas eu le temps de se préparer aux épreuves qu’il subit aujourd’hui. « Quand, dans un moment critique difficile, écrivait-il en novembre 2009 dans Droit d’inventaires (Seuil), on n’a pas de cohérence institutionnelle, pas d’unité au sein du parti majoritaire et une conjoncture économique défavorable, rien ne peut tenir. »

Sauf lui-même, à en croire son entourage, « sur qui tout glisse et que rien n’atteint ».

Cosette et Crésus

Quel ministre du gouvernement Ayrault a le moins de souci à se faire pour ses vieux jours ? Laurent Fabius, bien sûr. Personne ne s’en étonnera : il est à la fois le plus expérimenté – trente ans qu’il occupe le devant de la scène politique ! – et l’héritier d’une illustre famille de marchands d’art. En 2011, la collection de la galerie Fabius frères a été vendue aux enchères chez Sotheby’s France pour 9,6 millions d’euros. Avec un patrimoine déclaré de 6,04 millions d’euros dans lequel on est un peu surpris de ne voir figurer aucune oeuvre d’art, le ministre des Affaires étrangères surclasse ses petits camarades.

À l’autre extrémité de cet indiscret palmarès, Najat Vallaud-Belkacem fait un peu pâle figure avec ses 106 740 euros. Il est vrai que, née dans une famille d’ouvriers marocains établis en Picardie, la ministre des Droits des femmes (et porte-parole du gouvernement) a la vie devant elle : elle n’a que 35 ans.

Ces chiffres sont de toute façon sujets à caution. Homme d’affaires, ancien ministre, repris de justice et provocateur patenté, Bernard Tapie les juge carrément « bidons ». « Vous voulez faire fortune ? feint-il de s’interroger. Proposez aux ministres de leur racheter leurs biens immobiliers 30 % plus cher que ce qu’ils déclarent. Vous n’allez pas en trouver beaucoup qui accepteront. » Mauvaise langue, va ! J.-M.A.

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