Justice : le droit du plus fort
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 22 avril 2013 Lecture : 3 minutes.
L’affaire Karim Wade, à laquelle nous consacrons cette semaine un dossier exhaustif, met à nouveau en question et au centre des débats le rôle et la place de la justice telle qu’elle s’exerce sur le continent. Sans préjuger du fond du dossier, de sa crédibilité ni de son devenir – le fils d’un ancien chef d’État est un justiciable comme un autre -, il est clair que ce feuilleton judiciaire ne se déroule pas dans les meilleures conditions de sérénité. Il suffit d’écouter la rue dakaroise pour s’en apercevoir : une majorité des Sénégalais estime qu’il est urgent de faire rendre gorge à l’ancien « ministre du Ciel et de la Terre », une minorité qu’il s’agit là d’un règlement de comptes orchestré par le président Sall contre son prédécesseur, sur fond de délit de patronyme. Dans un cas comme dans l’autre, la justice, à tout le moins l’image et l’idée qu’en ont les citoyens, est perdante. Encore faut-il préciser que cette affaire se déroule dans le pays d’Afrique francophone où l’État de droit est le mieux respecté. Partout ailleurs, et même si le principe de séparation des pouvoirs est scrupuleusement inscrit dans toutes les constitutions, la justice est à la fois la grande malade, la grande muette et la grande absente des gouvernances africaines.
Sans volonté politique de la part de l’exécutif, les textes garantissant l’indépendance des magistrats restent lettre morte, c’est une évidence. Mais tant que ces derniers n’auront pas opéré leur propre révolution culturelle, ces mêmes textes n’ont aucune chance de s’imposer. Trop souvent, en effet, les juges demeurent prisonniers d’une triple culture : celle de la dépendance vis-à-vis du pouvoir en place, celle de la corruption et celle de la peur. Du nord au sud du continent, très rares sont les procès sensibles à connotation politique de ces dernières années où les grands principes d’équité des débats, de protection des témoins et d’équilibre des sentences ont été appliqués.
Ce n’est pas du Nord, et de l’exemple en la matière qu’est censée représenter la Cour pénale internationale (CPI), que viendra le salut. Onze ans après sa création, la CPI est de plus en plus critiquée pour son approche séquentielle dans les procès Gbagbo et Bemba – laquelle revient à mener d’abord à son terme l’enquête sur un seul camp avant éventuellement d’engager une procédure contre l’autre -, et de plus en plus soupçonnée de se livrer à un jeu politique. Au Kenya, les révélations d’un ancien enquêteur de la Cour indiquant que le département d’État américain avait désigné « ses cibles » au bureau du procureur, épargnant ainsi son allié Raila Odinga, ont eu un effet désastreux. Inculpé par la CPI, son rival Uhuru Kenyatta s’en est largement servi pour transformer ce handicap apparemment rédhibitoire en atout décisif pour une élection irréprochable. L’échec de Luis Moreno-Ocampo et de son successeur, Fatou Bensouda, face à un politicien rompu à l’exploitation du sentiment de méfiance de ses compatriotes à l’égard de l’Occident est cinglant. Le 9 avril, lors de la prestation de serment de Kenyatta à Nairobi, l’Ougandais Museveni se faisait longuement applaudir par la quinzaine de chefs d’État présents avec cette petite phrase : « Ils utilisent la CPI pour mettre en place les dirigeants de leur choix et éliminer ceux qu’ils n’aiment pas. » Pour les juges de la cour de La Haye comme pour ceux des palais de justice de Dakar, de Yaoundé, de Tunis ou du Caire, le défi à relever est donc le même : celui de la crédibilité.
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