Les Africains font trop d’enfants
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Béchir Ben Yahmed
Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.
Publié le 25 avril 2013 Lecture : 4 minutes.
Des voix autorisées et les économistes les mieux reconnus nous le répètent mois après mois : l’Afrique est (enfin) bien partie. Depuis près de deux ans, l’afro-optimisme le plus agréable à entendre a donc remplacé cet afro-pessimisme qui nous a « plombés » tout au long des précédentes décennies.
Nicolas Baverez vient, à son tour, de livrer son diagnostic d’économiste et d’historien : pour lui aussi, l’Afrique est en plein décollage économique.
« La croissance économique du continent, qui a été de 5,5 % en moyenne depuis 2000, atteindra 6,2 % en 2013, un rythme deux fois plus élevé que celui de la population. Six des dix pays connaissant la plus forte croissance dans le monde sont en Afrique, dont le Nigeria (7,4 %) et la Côte d’Ivoire (8,5 %).
La richesse par habitant a crû de 3,5 % par an depuis une décennie. Huit « lions » africains affichent un revenu par habitant de 10 000 dollars (7 800 euros), supérieur à celui des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine). L’inflation est contenue à 8 %. La balance commerciale est excédentaire de 4 % du produit intérieur brut (PIB). Le déficit et la dette publics sont limités à 2 % et à 33 % du PIB. […]
La croissance […] est portée par la consommation, avec pour moteurs le recul de la pauvreté de 42 % à 31 % de la population, et la formation d’une classe moyenne de 300 millions d’habitants. […]
Les économies africaines se diversifient et s’émancipent progressivement de leur dépendance aux exportations de matières premières. Dans le même temps, elles se libèrent de la tutelle de pouvoirs publics et des effets pervers de l’aide au développement – sources majeures de corruption – pour laisser surgir une classe d’entrepreneurs dynamiques, forte de 35 milliardaires et de plus de 2 500 millionnaires. Avec à la clé des gains de productivité de 3 % par an depuis 2000. »
Et l’auteur d’énumérer les atouts qui font de l’Afrique « la nouvelle frontière de la mondialisation : la vitalité démographique – la population devrait passer de 860 millions à 1,8 milliard d’habitants d’ici à 2050 ; le doublement de la classe moyenne, qui atteindra 600 millions d’habitants en 2050 ; les richesses en terres arables (80 % des réserves), en eau souterraine, en matières premières et en sources d’énergie ; le potentiel de capital humain et d’épargne ».
Je m’associe à Nicolas Baverez pour souligner cependant « les fragilités de ce décollage soumis à de grands risques » : le continent continue, en effet, d’être le théâtre de trop de conflits, et la gouvernance n’y est pas encore assez bonne. Tant s’en faut.
Le plus handicapant est l’état de l’éducation : dans la plupart des pays, elle accuse un retard alarmant, et nul ne peut citer un seul pays africain qui dispose d’un système éducatif satisfaisant.
À ces fragilités s’ajoute un extraordinaire défi, spécifique à l’Afrique, plus particulièrement sa partie subsaharienne : la bombe démographique.
Un autre économiste, bon connaisseur de l’Afrique lui aussi, le professeur Jeffrey Sachs, nous prévient qu’il faut s’en préoccuper dès aujourd’hui, car il n’y a pas une année à perdre.
Selon les Nations unies, la population africaine pourrait quadrupler au cours de ce siècle, passant de 856 millions d’habitants en 2010 à 3,3 milliards en 2100. C’est là une croissance trop rapide.
Ce serait dévastateur pour ce continent qui sera alors le plus peuplé. Les famines vont se multiplier, la biodiversité sera anéantie et les mouvements de population vont devenir ingérables.
Maîtriser les taux de fécondité, résoudre le problème du planning familial et celui du droit à l’avortement devient impératif.
« Il faut briser le tabou de la démographie, nous dit Jeffrey Sachs, car notre génération ne peut plus attendre comme on le fait sur ce sujet, à tort, depuis quarante ans. »
Le continent compte plus de 200 millions d’Africains âgés de 15 à 24 ans, et ce nombre aura doublé d’ici à 2045 : c’est à la fois un atout et une bombe à retardement.
Comment a évolué la part de chaque continent dans la population mondiale depuis 1900, et où elle en sera en 2050 ?
Le tableau de la page suivante montre que les autres continents, dont l’Asie, se maintiennent ou progressent un peu, tandis que l’Europe (Russie incluse) s’effondre et que l’Afrique, elle, s’envole.
En un siècle et demi, sa part va quadrupler et, en 2050, un être humain sur quatre sera africain Cet accroissement est bienvenu mais trop rapide.
Dans dix pays africains, la croissance démographique est supérieure à 3 % par an ; à l’échelle du continent, elle se situe autour de 2,5 %.
Le taux de fertilité des Africaines est le plus élevé au monde : 4,7 enfants par femme, contre 2,2 en Asie.
Il découle de ces taux très élevés que la population africaine franchira la barre des 2 milliards à l’horizon de 2050, le nombre de personnes désoeuvrées ou mal scolarisées augmentera trop vite, l’urbanisation sera trop rapide et le surplus migratoire potentiel difficile à absorber.
Le phénomène de la démographie africaine est bien l’une des caractéristiques de ce XXIe siècle : un énorme problème et un défi.
Pour l’Afrique en premier lieu et, au-delà, pour les continents voisins et même pour le monde.
Je voudrais terminer le Ce que je crois de cette semaine sur une note optimiste.
Avec ses 167 millions d’habitants, le Nigeria est trois fois plus peuplé que l’Afrique du Sud ; son PIB était cependant deux fois moins élevé il y a encore dix ans.
Mais son économie s’est mise à croître à un taux égal ou supérieur à 7 % par an, alors que celle de l’Afrique du Sud n’a augmenté chaque année que de 2 % à 3 % : le Nigeria a entrepris de rattraper son rival sud-africain.
Avec l’accord du Fonds monétaire international (FMI), il vient de réévaluer son PIB en y incluant de nouveaux produits : il s’est élevé à 350 milliards de dollars, contre un peu plus de 400 milliards pour l’Afrique du Sud.
Pour peu qu’il garde le même rythme de croissance, le Nigeria dépassera l’Afrique du Sud d’ici à la fin de la décennie : le pays le plus peuplé d’Afrique deviendra alors sa première économie.
Les deux premières économies du continent sont toutes les deux des démocraties : elles sont subsahariennes et, ensemble, totalisent 50 % du PIB de l’Afrique subsaharienne.
Je rappelle que dans cette même décennie, la Chine, pays le plus peuplé de la planète, devrait supplanter les États-Unis pour devenir la première économie du monde.
Le XXIe siècle sera donc celui du rattrapage.
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