Anticorruption : les indélicats risquent de déchanter
Longtemps prise à la légère, la Commission de lutte contre l’enrichissement illicite a déjà instruit des dizaines de dossiers et ne compte pas s’arrêter en si bon chemin.
Le Gabon change-t-il vraiment ?
Des ministres s’y rendent en catimini, généralement à la fermeture des bureaux. En un coup de fil, ils prennent discrètement rendez-vous avec Vincent Lebondo Le-Mali, le magistrat président de la Commission nationale de lutte contre l’enrichissement illicite (CNLCEI). En effet, un gestionnaire d’argent public aperçu dans cet immeuble du quartier Glass à Libreville, où siège la commission, déclenche immanquablement de vilaines rumeurs. Peu importe que certains responsables publics fassent le déplacement pour une simple formalité de routine, comme récupérer un récépissé de déclaration de biens, la sentence populaire tombe, implacable : « Encore un voleur qui vient se justifier ! »
Depuis 2004, la loi oblige tous ceux qui travaillent pour l’État gabonais à déclarer leurs biens lorsqu’ils prennent leurs fonctions et lorsqu’ils les quittent. À commencer par le premier d’entre eux, le président de la République. « En mars 2004, Omar Bongo a fait sa déclaration. Nous lui avons délivré le récépissé n° 542, se félicite Lebondo Le-Mali. Et l’actuel président aussi a fait la sienne. » Du chef de service au directeur général, aucun fonctionnaire nommé à un poste à responsabilité n’y échappe, encore moins les ministres, dont on dit que les retardataires sont visés par un rappel lors de chaque Conseil des ministres.
Fléau
Au départ, l’activisme de Lebondo Le-Mali et de sa commission avait fait sourire ceux qui ne leur accordaient aucune crédibilité et ne croyaient pas en la volonté politique du gouvernement de lutter contre les détournements d’argent public. Aujourd’hui, ils en rient de moins en moins. Surtout quand les journaux locaux se délectent des rapports d’enquêtes de la CNLCEI, dont quatre-vingt-dix peuvent d’ores et déjà aboutir à une saisine de la justice. À tel point que, mi-février, Lebondo Le-Mali a dû publier une mise au point avec des menaces de poursuites judiciaires à l’encontre de toute personne soupçonnée de livrer aux journaux les documents confidentiels élaborés par sa commission. Il faut dire que la dernière « fuite » épinglait plusieurs hautes personnalités de l’État dans une affaire de détournement de 20 milliards de F CFA (près de 30,5 millions d’euros) au ministère des Mines.
Sans doute les autorités ont-elles pris la mesure du fléau. Selon des estimations de la CNLCEI, la corruption coûterait au Gabon entre 25 et 50 milliards de F CFA chaque année. Le Fonds monétaire international (FMI) déplore que le niveau de corruption demeure élevé, le pays occupant encore le 102e rang sur 174 pays dans le classement mondial 2012 de Transparency International. Les mesures adoptées en 2009-2010 semblent cependant avoir permis une légère amélioration sur le plan structurel, avec d’une part cette application du principe de déclaration des biens des membres du gouvernement et responsables de l’administration, qui a mis en exergue l’existence de fonctionnaires fictifs, et d’autre part l’annonce, en avril 2010, de la conduite d’un audit du secteur pétrolier afin de mieux en cerner les flux financiers. Mais de gros efforts restent manifestement à fournir dans les domaines minier et pétrolier puisque le pays, qui avait adhéré en 2004 à l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE), vient d’en être exclu pour non-respect des règles édictées, après s’être pourtant vu conférer en octobre 2010 le statut de pays « proche de la conformité ». Dans un Gabon où l’on croyait ne rien risquer à confondre caisses de l’État et cassette personnelle, le défi est de changer radicalement les mentalités. Et si, pour l’instant, les indélicats ne sont pas jetés en prison par dizaines, les dossiers seront prêts si vient un jour l’heure des comptes…
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