Gabon : l’émergence du Brésil à Libreville

Investi le 16 octobre 2009, le chef de l’état gabonais arrive à mi-parcours de son septennat. Et à l’heure d’un bilan d’étape de son programme.

Le 23 février, premier carnaval dans la capitale gabonaise. © Olivier Ebanga/Afrikimages

Le 23 février, premier carnaval dans la capitale gabonaise. © Olivier Ebanga/Afrikimages

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Publié le 26 avril 2013 Lecture : 6 minutes.

Le Gabon change-t-il vraiment ?
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Le Gabon change-t-il vraiment ?

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Le tableau a quelque chose de surréaliste. Une troupe de danseuses brésiliennes se déhanchent sur le fameux boulevard du bord de mer. Et voilà le tronçon de route le plus fréquenté du Gabon transformé en sambodrome, le temps d’un carnaval, le tout premier en terre gabonaise. La parade internationale a commencé au crépuscule, ce 23 février, avec le défilé des chars, des groupes de danseurs et de musiciens aux costumes aussi légers que flamboyants, se trémoussant sur des rythmes syncopés. À la tribune officielle, Ali Bongo Ondimba (ABO), dont on ignorait jusqu’à présent le goût pour ces danses exotiques – lui, le grand amateur de jazz -, semble apprécier ce show à la saveur carioca, ponctué de mascarades inspirées de rituels bantous, tels que le bwiti ou le ndjobi.

On imagine l’idée qui a poussé le président gabonais à patronner l’événement. Pour ouvrir et oxygéner son pays, pour qu’il soit irradié par l’enchanteresse magie de la réussite, pourquoi ne pas lui insuffler un peu de samba, symbole culturel du grand modèle d’émergence qu’est le Brésil ? L’usage veut que, pendant le carnaval, chaque école de samba ait droit à 90 minutes pour présenter sa parade, le temps de montrer les résultats du travail accompli en un an. Élu à la tête du Gabon le 30 août 2009 et investi le 16 octobre suivant, Ali arrive, lui, à mi-septennat. L’heure d’un premier bilan de son projet d’émergence. 

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Blocs partisans

Campées sur leurs positions, l’opposition et une partie de la société civile dressent un tableau tout en négatif des trois ans et demi du « Gabon émergent ». Leurs flèches n’épargnent rien ni personne. Prenons le festival : « Nous vivons avec des coupures d’eau et d’électricité à Libreville, mais on dépense de l’argent pour faire venir des danseuses brésiliennes », râle Georges Mpaga, un activiste de la société civile. Prenons la loi de finances 2013 : « A-t-on besoin de deux parcours de golf à près de 4 milliards de F CFA [6 millions d’euros, NDLR] ? » interroge Marc Ona Essangui, autre poil à gratter du Palais du bord de mer. Pour eux, le pays est au bord de la crise de nerfs : les syndicats grondent, les étudiants cassent, et les élèves dont les classes sont en sureffectif à Libreville pourraient bientôt les rejoindre dans la rue…

Du côté des partisans du camp présidentiel, on ne compte que les bons points. Le pays est en chantier ; le Gabon a le meilleur risque pays de la sous-région, comme l’attestent les 4 milliards de dollars d’investissements directs étrangers engrangés hors secteurs pétrolier et minier depuis 2010. On cite des passages choisis du dernier rapport du Fonds monétaire international (FMI) : « L’activité économique a été robuste en 2012 [en partie grâce à l’accueil de la Coupe d’Afrique des nations, NDLR]. Elle devrait rester soutenue par le plan d’investissement public, tandis que l’inflation reste modérée […]. Le crédit au secteur privé a augmenté de 45 % au cours de la même période », signe d’un vrai dynamisme dans la création des richesses. Et les prévisions sont encore meilleures avec, notamment, un taux de croissance attendu de 7 % en 2013 et la probable accession du Gabon au rang de premier producteur mondial de manganèse en 2015. Que demander de plus ?

Quand les premiers noircissent le bilan, critiquant à l’excès toute initiative de l’exécutif, les autres répètent que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes dans une unanimité peu féconde en idées neuves. Entre les deux camps règnent la méfiance, les doutes, l’incertitude. Des fissures qui n’épargnent pas ces blocs eux-mêmes. Une partie de l’Union du peuple gabonais (UPG), le plus ancien des partis d’opposition, bascule progressivement vers la majorité, tandis que l’autre faction se radicalise. Quant à l’Union nationale (UN), la coalition de l’opposition dissoute par le ministère de l’Intérieur en janvier 2011, elle ne parvient plus à dissimuler les dissensions de ses leaders. 

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Consulting étranger

Le pays n’est pas rassemblé, et l’absence de confiance le fragilise. Le premier à en tirer les conséquences, c’est le chef de l’État lui-même. Pour concevoir et faire avancer ses projets, ABO se tourne en priorité vers des think tanks et vers des cabinets privés étrangers. Le plus influent d’entre eux est le cabinet dakarois Performances Management Consulting, dirigé par Victor Ndiaye. En mai 2011, il a rendu la copie définitive du plan stratégique « Gabon émergent » (PSGE). Encore faut-il disposer d’un appareil administratif capable de mettre en oeuvre les programmes envisagés.

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À l’évidence, la fonction publique n’a pas de problèmes d’effectifs. Ces deux dernières années, l’État a recruté 15 000 fonctionnaires. En attendant, le chef de l’État a créé des agences directement rattachées à la présidence, dont la plus importante est l’Agence nationale des grands travaux (ANGT, lire p. 91). Cette dernière a pour mission de mettre en oeuvre le Plan directeur national d’infrastructures élaboré par un autre partenaire étranger, l’américain Bechtel. Jim Dutton, l’ex-directeur des programmes de ce géant du BTP, qui pilotait le projet depuis deux ans, a d’ailleurs pris la tête de l’ANGT en novembre. Autant raccourcir le processus de décisions. Les éminences des agences ne se gênant d’ailleurs pas pour court-circuiter les ministères, ce qui fait régulièrement enrager les cadres de l’administration « normale », tenus à l’écart des dossiers.

Le nouvel exécutif a donc tissé sa toile et placé ses hommes dans les centres névralgiques de l’État. Reste l’équation du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir), au sein duquel le chef de l’État marche encore sur des oeufs. Selon des familiers du Palais, il a un temps envisagé un nouveau « tsunami » pour rafraîchir le PDG, en écarter les barons et faire de la place aux jeunes. « La présidentielle arrive dans trois ans, est-ce qu’il n’est pas déjà trop tard pour s’attaquer aux barons ? » s’interroge l’un de ses conseillers. Résultat : pas de révolution.

Qu’importe, avec ou sans les « vieux » du PDG, Ali a un boulevard devant lui : la longue et tumultueuse contestation de sa victoire d’août 2009 n’est plus qu’un lointain souvenir ; le procès en illégitimité intenté par ses adversaires de l’UN ne gêne plus sa présidence ; les législatives de décembre 2011 lui ont offert une écrasante majorité à l’Assemblée nationale, avec 114 députés sur 120. 

Hyper-présidence

Mais attention aux inconvénients d’une hyper-présidence, sans autre instrument de régulation que le Palais du bord de mer lui-même. Une poignée de collaborateurs, aussi compétents soient-ils, ne peuvent prendre en charge les mille et un chantiers dont le Gabon a besoin après une décennie de léthargie. Sans parler de la déperdition d’énergie et des problèmes de susceptibilités. « Si le chef de l’État décide de tout, que reste-t-il des attributions de son Premier ministre, des administrations, des autres pouvoirs ? » déplore un haut fonctionnaire. Qu’un ministre profite de ses entrées au Palais pour défier le chef du gouvernement n’émeut plus personne.

Nommé à la primature en février 2012, Raymond Ndong Sima, diplômé d’économétrie et ancien patron, était censé apporter l’impulsion attendue. Il s’épuise encore aujourd’hui à affirmer son autorité rudoyée par les fortes têtes de son gouvernement. Vaines querelles d’ego ou guerres de positionnement ? Le président devra tôt ou tard trancher, car, comme les écoles de samba, il sera jugé sur ses performances.

Biya, son meilleur ami

Il est le dernier à avoir été élu et le plus jeune des chefs d’État de la sous-région, un club au sein duquel son intégration s’est relativement bien passée. Ali Bongo Ondimba connaissait déjà fort bien son voisin congolais, Denis Sassou Nguesso, dont la fille Édith Lucie, décédée en mars 2009, fut sa belle-mère et la première dame du Gabon après qu’Omar Bongo Ondimba l’eut épousée en seconde noce, en août 1990. Mais c’est avec le Camerounais Paul Biya que ses relations sont les plus chaleureuses. Ce dernier, qu’Ali avait déjà rencontré à plusieurs reprises lorsqu’il était ministre de la Défense, s’est abstenu de toute ingérence lors de la présidentielle de 2009 et il semble qu’ils s’apprécient de plus en plus. Ces trois dernières années, les deux pays ont d’ailleurs nettement amélioré leurs relations bilatérales. En septembre dernier, ils ont même entamé une réflexion visant à mettre en place une zone de coprospérité censée jouer un rôle moteur au sein de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centralE. Elle permettrait de renforcer l’interconnexion des réseaux de transports, d’électricité et de télécoms entre les deux pays, qui comptent par ailleurs créer un centre commun de prévisions météorologiques, ainsi que des territoires transfrontaliers à mutualité commerciale, industrielle, touristique, sanitaire et intellectuelle. G.B

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Par Georges Dougueli, envoyé spécial

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