Afrofuturisme et fantastique noir en images
En marge de son exposition In the Black Fantastic à la Hayward Gallery de Londres, le critique et commissaire Ekow Eshun publie, avec « Black Infinity », un riche catalogue d’images, entre sombre passé et futur onirique.
Le monde de l’édition est de plus en plus friand de ce genre de livre : beaucoup de belles images, quelques textes courts, et le tour est joué. Black infinitiy, l’Art du fantastique noir, de l’écrivain et commissaire Ekow Eshun, n’échappe pas à ce penchant. Publié à l’occasion de l’exposition In the Black Fantastic (jusqu’au 18 septembre 2022) à la Hayward Gallery de Londres, ce beau livre de plus de 300 pages dresse un panorama visuel sans précédent de ce que l’on a coutume d’appeler « Afrofuturisme », sans jamais trop savoir à quoi ce concept correspond.
Et pour cause, les créateurs se référant au « fantastique noir » comme à l’« afrofuturisme » peuvent être aussi bien des auteurs de science-fiction, des plasticiens, des designers, des cinéastes que des musiciens. L’un des grands mérites de Black Infinity est, tout de même, de proposer à la fois une archéologie et une définition de ces concepts en vogue.
Afrofuturisme ou fantastique noir ?
Pour Ekow Eshun, « le terme d’‘afrofuturisme’ a été inventé en 1993 par le critique Mark Dery. Celui-ci définit le genre comme « une fiction spéculative qui traite de thèmes africains-américains et répond à des problématiques africaines-américaines dans le contexte de la technoculture du XXème siècle – et plus généralement, une création africaine-américaine qui s’approprie les images de la technologie et d’un futur prophétiquement amélioré ». » Puis, ce qui n’est pas courant dans les textes publiés récemment, Ekow Eshun dresse la liste des critiques adressées à l’afrofuturisme, comme son caractère souvent phallocentrique, et il fait sienne la pensée de l’écrivaine américaine d’origine ougandaise Hope Wabuke. Pour cette dernière, il manque à l’afrofuturisme « la latitude pour concevoir la blackness en dehors de la diaspora noire américaine, […] une blackness qui soit indépendante de toute relation à la blanchité ».
En toute logique, Eshun préfère donc employer le terme plus générique de fantastique noir. « A contrario, le fantastique noir est moins un genre ou un mouvement qu’une manière de voir, partagée par des artistes qui affrontent l’héritage de l’esclavage et les injustices de la société contemporaine racialisée en créant de nouveaux récits du potentiel noir », écrit-il.
De la renaissance de Harlem à Black Panther
Il date son apparition aux années d’entre-deux-guerres, citant notamment la toile Aspiration, une peinture allégorique réalisée en 1936 par Aaron Douglas, chef de file des artistes visuels de la renaissance de Harlem. « C’est dans l’entre-deux-guerres que le fantastique noir a commencé à se développer en tant que tendance au sein des arts visuels, lorsque les artistes se sont mis, aux quatre coins de la diaspora, à proposer des évocations oniriques de la blackness, nourries de concepts et puissance spirituelles et de souvenirs hérités de l’Afrique antique. »
« Onirique » est peut-être le principal mot à retenir tant les œuvres présentées, qu’il s’agisse de pochettes de disque ou de photographies, renvoient à un monde rêvé où formes et couleurs explosent en toute liberté. Une exubérance imaginative associée, souvent, à des références spirituelles et historique. La plupart du temps, le sous-texte des œuvres renvoient à des pages bien sombres du passé des populations noires : esclavage, déportation, ségrégation, racisme, violence…
Pluralité des démarches
« Déployé sous une multitude de formes par une multitude d’artistes, [le fantastique noir] nous invite à la fois à reconnaître les réalités de la racisation au quotidien et à transcender ses contraires. À donner naissance à de nouveaux paradigmes, de nouvelles visions, de nouveaux possibles par lesquels exprimer le miracle et l’étrangeté d’être noir dans le monde. »
Les pages qui suivent cette introduction illustrent bien la pluralité des démarches, puisqu’on y trouve des peintures du cubiste Wifredo Lam, des sculptures de la Kényane Wangechi Mutu, du Nigerian Yinka Shonibare, de l’Américain Nick Cave, de l’Irlando-Cap-Verdienne Ellen Gallagher, mais aussi des images de films (Get out de Jordan Peele, Black Panther de Ryan Coogler), de nombreuses pochettes de disques (Bitches Brew, de Miles Davis, par Abdul Mati Klarwein), des couvertures de livres (Bïntï, de Nnedi Okorafor), des photographies, des peintures et même des bâtiments ! Le voyage ici proposé, entre sombre passé et futur psychédélique, s’annonce sacrément prometteur.
Black Infinity, L’art du Fantastique noir, d’Ekow Eshun, traduit par Marie Delaby, Textuel, 308 pages, 49 euros.
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