Ludovic-Mohamed Zahed : gay et musulman, il garde le prêche
Premier musulman français à s’être marié religieusement avec un homme, ce croyant frondeur né en Algérie a ouvert la première mosquée accueillant gays et lesbiennes.
Un moulin à paroles. Lancé sur l’incompatibilité supposée entre l’homosexualité et le Coran, Ludovic-Mohamed Zahed ne s’arrête plus. Ce n’est plus seulement un monologue érudit revenant sur la « turpitude » des membres du peuple de Loth (les premiers à avoir commis le « péché » de l’homosexualité). C’est un prêche enflammé dans lequel le trentenaire au teint pâle, au visage émacié et à la barbe soigneusement taillée soutient qu’aucun hadith authentique remontant au Prophète ne condamne les hommes qui aiment les hommes. Ses doigts fins volent, appuient l’argument, pointent les détracteurs. Tout de sombre vêtu, avec son qamis et son pantalon noir, le tout seulement égayé par un foulard vert islam, Ludovic-Mohamed a tout du bon salafiste. Sauf qu’il porte une alliance, qui trahit son union… avec un homme. Et qu’il s’apprête à accueillir des gays et des lesbiennes dans la mosquée « progressiste » qu’il a ouverte il y a quelques semaines à Paris. Où ? Le lieu doit rester secret. « Nous tenons à ce que ceux qui nous rencontrent se sentent en sécurité. Il faut contacter notre association, HM2F*, pour connaître l’adresse. »
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Ludovic-Mohamed Zahed est devenu le porte-parole très médiatique de ces « muslims gays » dont beaucoup ne soupçonnaient pas l’existence. Il y a un an, il publiait Le Coran et la Chair (éd. Max Milo), un livre qui mêle souvenirs d’enfance à « Alger la blanc cassé », confessions homos et réflexion sur l’islam. Les fragments autobiographiques qu’il égrène dans son ouvrage décrivent un douloureux chemin de croix. Né à Alger en 1978, Ludovic-Mohamed part rapidement avec ses parents s’installer à Paris, dans le 17e arrondissement. À l’école, molesté et traité de « sale rebeu », ce gamin introverti a bien du mal à se sentir français. Dans sa famille non plus, tout ne se passe pas très bien : ses manières féminines déplaisent à son père et à son frère, qui ne veulent pas qu’il devienne comme « ça », c’est-à-dire homosexuel, un mot selon lui toujours tabou dans sa communauté.
À l’âge de 16 ans, il retourne avec ses parents en Algérie. Avec humour, il décrit le pays comme sa « Terre sainte », « qui génère paix et oubli ». Il aime flâner le long des grandes artères haussmanniennes, se ressourcer dans les ruelles écrasées de soleil, se rafraîchir aux portes de la Casbah. Pourtant, le jeune homme n’est pas au bout de ses questionnements. Vu comme un Arabe en France, il est un « zmigré », un « émigré », dans son pays natal. Surtout, Ludovic-Mohamed étouffe son désir pour les hommes. Issu d’une famille peu croyante (« mon père ne fait même pas ramadan »), il cherche ses repères dans l’islam, prie des journées entières, apprend l’arabe pour décrypter le Coran. Et rejoint ses « frères » salafistes de Kouba, quartier agité de la banlieue d’Alger. Rapidement, la communauté lui fait comprendre que sa proximité avec certains frères est mal perçue.
Tiraillé entre son amour de Dieu et son amour des hommes (encore platonique), Ludovic-Mohamed traverse une crise identitaire et spirituelle, tandis que la violence se déchaîne à Alger. Nous sommes en 1997, et Zahed fait une nouvelle fois ses valises pour se rendre à Marseille.
« J’avais 20 ans, j’étais complètement perdu. Je me suis donné cinq années pour trouver une solution en me disant : si après ça ne va toujours pas, tu te suicides. » Sa reconstruction va prendre plus de temps. Il rompt brutalement avec l’islam, multiplie les histoires d’un soir, entame une relation avec un homme, qui lui révèle adhérer aux thèses du Front national… et qui lui transmet le sida. Mais bientôt, l’écorché vif se réconcilie avec lui-même. À 21 ans, il fait son coming out auprès de sa famille, qui encaisse plutôt bien. Y compris son père, qui, à sa grande surprise, promet de le soutenir « jusqu’au bout ». Il revient aussi à l’islam ainsi qu’aux études, et poursuit aujourd’hui deux doctorats, l’un en psychologie, l’autre en anthropologie. Surtout, il s’implique dans le combat militant en créant une nébuleuse d’associations, dont la dernière en date, HM2F.
« Cette structure répond à un vrai désarroi, précise-t-il. Des gens qui se tailladent les veines, qui n’ont pas de vie sexuelle… J’essaie de leur apporter l’aide que j’aurais aimé recevoir. » Et le voilà qui montre une série de textos sur son portable. « J’ai reçu ces messages d’un jeune du Togo qui avait peur : lors d’une émission sur une radio de Lomé, des auditeurs appelaient à brûler les homos. » Mais habité, rayonnant, le trentenaire garde la foi : « Je reste optimiste. Je suis sûr que nous allons vers moins de stigmatisation. » La fin du prêche s’adresse-t-elle à lui-même ? Aujourd’hui, Ludovic-Mohamed s’est trouvé. Gay, musulman et souriant.
* Homosexuels musulmans de France : homosexuels-musulmans.org
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