Faut-il regretter Mme Thatcher ?

La politique de l’ancienne Première ministre, Margaret Thatcher, décédée le 8 avril à l’âge de 87 ans, suscite un flot de commentaires le plus souvent louangeurs…

La dame de fer en 1984. © AFP

La dame de fer en 1984. © AFP

Fouad Laroui © DR

Publié le 18 avril 2013 Lecture : 5 minutes.

Des morts, il ne faut dire que du bien, dit le dicton. Certes. Mais quand il s’agit d’hommes politiques – en l’occurrence, de la première femme à occuper le poste de Premier ministre du Royaume-Uni -, le meilleur hommage qu’on puisse leur rendre est peut-être d’essayer de faire objectivement le bilan de leur action. Sauf qu’il est difficile d’être objectif quand il s’agit de Margaret Thatcher. Au cours des années que j’ai passées en Grande-Bretagne, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui n’eût pas une opinion tranchée sur elle. Il y avait ceux qui l’adoraient littéralement et ceux pour qui elle était l’incarnation du diable. Tout dépendait de la place que les uns et les autres occupaient dans l’échelle sociale. En gros, sous Thatcher, les pauvres devinrent plus pauvres et les riches plus riches. C’était conforme à son idéologie : « la société », ça n’existe pas, il n’y a que des individus. Que les plus talentueux, les plus audacieux, les plus chanceux, ou simplement ceux qui sont bien nés, s’enrichissent. Tant pis pour les autres.

Big bang

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Pour concrétiser cette vision froide et égoïste des choses, Thatcher, conseillée par son éminence grise, Keith Joseph – le vrai inventeur du « thatchérisme » -, se fit l’apôtre de l’ultralibéralisme. Elle encouragea Ronald Reagan dans cette voie, et Reagan se fit une douce violence de suivre les conseils de cette femme qui lui en imposait. Ce fut le couple Thatcher-Joseph qui adopta un monétarisme brutal contre le keynésianisme, plus social, et qui fit ainsi exploser le taux de chômage. Ce fut le couple Thatcher-Joseph qui déréglementa, en 1986, la finance. Ce Big Bang de la City créa cette culture du bonus, du profit, de l’avidité, de l’arrogance et de l’irresponsabilité des golden boys dont nous payons encore le prix aujourd’hui. Au fond, la crise de 2007-2008 et les calamités qui s’ensuivirent, c’est d’abord à la Dame de fer que nous les devons.

En 1982, le drapeau argentin fut hissé sur les Malouines. Tout le monde – ses conseillers, ses ministres et même son ami Reagan – lui conseillait l’attente, le compromis, les négociations, la diplomatie. Thatcher balaya tout cela d’un revers de la main et envoya la Royal Navy faire la guerre aux antipodes. On comprend que beaucoup d’Anglais (oublions les Écossais, ils la détestaient) furent bluffés par le panache de leur Prime Minister. Dans la foulée, elle gagna les élections législatives. Mais, pour qui n’est pas anglais, qu’était-ce cela, sinon une guerre inutile avec son cortège de morts, de blessés, de mutilés ?

Qu’a-t-elle fait pour les femmes ? Strictement rien. À une exception près, elle n’a nommé aucune femme dans son cabinet, c’est-à-dire dans le groupe des ministres les plus importants. Quant au féminisme, elle l’abhorrait, sous toutes ses formes. L’Europe, elle n’y croyait pas, ou elle n’en voulait qu’en tant que marché commun et surtout pas comme union politique. La vraie union, à ses yeux, c’était l’Otan. Son monde, c’était celui de la guerre froide.

Un jour, à Harrogate, j’eus l’occasion de bavarder avec quelqu’un qui la connaissait bien – c’était un collaborateur de son ministre Norman Lamont. Je lui demandai : « Elle pense quoi des Arabes, des Africains ? » Il éclata de rire. « Tous des wogs ["bougnoules"] ! » me répondit-il. C’est toujours triste, une personne qui meurt. Mais la femme politique, la Dame de fer, seuls les Anglais – et encore, pas tous – ont une bonne raison de la regretter.

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Mandela, Babangida, Hassan II et elle

« En dehors de la question rhodésienne, je crois qu’à son époque il n’a guère été question de l’Afrique au 10 Downing Street », estime un historien. Arrivée au pouvoir en mai 1979, Margaret Thatcher s’emploie très vite à favoriser la tenue d’une rencontre à Lusaka entre les leaders du Commonwealth pour mettre fin à la guerre en Rhodésie du Sud, puis d’une conférence à Londres. Le 21 décembre, les accords de Lancaster House sont signés. Ils jettent les bases d’un futur État indépendant, le Zimbabwe. Un an plus tard, un certain Robert Mugabe est porté au pouvoir par les urnes. Il y est toujours.

Terroriste

Pour le reste, son manque d’implication africaine est patent. À preuve, bien peu de dirigeants du continent ont réagi à son décès. Parmi eux, le Sud-Africain Jacob Zuma et le Nigérian Goodluck Jonathan. Dans leurs deux pays, la Dame de fer a laissé un souvenir contrasté. En Afrique du Sud, elle s’est opposée avec la dernière énergie aux sanctions internationales visant à isoler le régime de l’apartheid, qu’elle jugeait nécessaire de ménager pour des raisons commerciales, mais aussi parce qu’il constituait un allié de poids dans la lutte contre le camp soviétique. C’était le temps de la guerre froide… Elle qualifia un jour le Congrès national africain (ANC) d’« organisation terroriste » et estimait que « ceux qui pensent que ce parti dirigera un jour l’Afrique du Sud planent complètement ». En réponse, les dirigeants de l’ANC s’opposèrent, en avril 1990, à une rencontre Mandela-Thatcher, qui aura néanmoins lieu trois mois plus tard. Mais la politique sud-africaine de la Dame de fer empoisonnera les relations du Royaume-Uni avec nombre de pays africains.

Dans ses Mémoires, Thatcher évoque sa rencontre à Lagos, en 1988, avec le dictateur nigérian Ibrahim Babangida. « C’était un homme énergique et intelligent, écrit-elle. Il semblait ouvert à mes suggestions sur la nécessité de combler le déficit budgétaire, de lutter contre l’inflation et de fournir de meilleures assurances aux investisseurs étrangers. Nous partagions aussi l’idée que l’implication de l’URSS et de Cuba en Afrique était un danger. »

Le journaliste Richard Dowden raconte qu’au cours de sa visite elle fut reçue par l’émir de Kano. « À l’époque, écrit-il, les cérémonies traditionnelles se terminaient par une fantasia avec des chevaux cabrés. Les invités étaient censés remercier les cavaliers en levant un poing serré – comme les membres du Black Panther Party. Mrs Thatcher tenta d’esquiver, mais l’émir insista. J’ai vu son visage consterné alors qu’elle regardait sa main se lever et ses doigts se replier. Mais elle n’acheva jamais son geste ! »

Cultivé

Un autre dirigeant trouvait grâce à ses yeux : Hassan II, qu’elle jugeait « admirablement cultivé et capable de discourir en six langues ». Quant à Mouammar Kadhafi, elle fut outrée quand, en 2011, elle le découvrit en compagnie de Tony Blair. En 1986, elle avait soutenu le bombardement de Tripoli par Reagan… « Pour ma part, commenta-t-elle sèchement, je n’ai jamais embrassé Kadhafi, je l’ai bombardé ! ». Haby Niakate

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