Corée du Nord : de l’art de jouer avec le feu
Kim Jong-un est loin d’être fou. Mais sa menace de déclencher des frappes nucléaires contre les États-Unis et la Corée du Sud le met à la merci du moindre dérapage. Et le monde entier avec lui.
« Vous vous alarmez trop vite, vous autres en Europe. Ici, nous sommes habitués aux menaces de Pyongyang. Séoul est pourtant à moins de 50 km de la frontière ! » Tandis que, le 9 avril, le Japon déployait ses missiles Patriot en plein coeur de Tokyo, les habitants de la capitale sud-coréenne restaient zen. « Que risque-t-on ? De toute façon, si la Corée du Nord déclenche une offensive, elle signe son arrêt de mort. » Flegme ? Bon sens ? Cette désinvolture tranche avec la poussée de fièvre internationale qui, le 8 avril, a fait délirer jusqu’à Vladimir Poutine. En cas de conflit nucléaire dans la péninsule, a estimé le président russe, « la catastrophe de Tchernobyl apparaîtrait comme un simple conte pour enfants ».
Ce n’est certes pas la première fois que la Corée du Nord s’adonne à la provocation, mais jamais elle n’était allée aussi loin. Tout a commencé à la mi-décembre 2012 avec le lancement réussi d’une fusée Unha-3, que les Américains ont aussitôt soupçonné d’être un tir déguisé de missile balistique à longue portée. Il y a eu ensuite, le 12 février, un troisième essai nucléaire. Sans doute un engin à l’uranium d’une puissance de 6 ou 7 kilotonnes, soit la moitié de la puissance de la bombe de Hiroshima, preuve d’une réelle avancée en ce domaine. Ces deux succès vont littéralement galvaniser le régime. Un an et demi après la mort de Kim Jong-il, son père, Kim Jong-un montre à son peuple qu’il est le digne descendant de la dynastie au pouvoir à Pyongyang depuis 1945.
Du même coup, il adresse un message clair à la communauté internationale et, en premier lieu, aux dirigeants asiatiques arrivés récemment au pouvoir : Xi Jinping en Chine, Shinzo Abe au Japon, Park Geun-hye en Corée du Sud ; désormais, il faudra compter avec la Corée du Nord, l’accepter comme puissance nucléaire et dialoguer avec elle.
Car au fond, même si cela semble paradoxal, Kim ne veut rien d’autre qu’une normalisation des relations de son pays avec le reste du monde, la conclusion d’un traité de paix concernant la péninsule, l’assurance de pouvoir poursuivre son programme nucléaire, et la signature d’un pacte de non-agression avec les États-Unis.
Escalade
La vérité est que son régime s’est senti directement agressé par les États-Unis et la Corée du Sud – avec laquelle il est toujours techniquement en guerre puisque ce n’est pas un traité de paix mais un simple armistice qui a été signé en 1953, à Panmunjeom. Les manoeuvres américano-sud-coréennes qui ont débuté le 11 mars et se poursuivront jusqu’au 30 avril ont provoqué à Pyongyang une série de réactions nullement impulsives, mais au contraire planifiées avec soin : coupure du téléphone rouge reliant le Nord au Sud, annonce de l’état de guerre avec Séoul, dénonciation de l’armistice de 1953, menace d’une frappe nucléaire contre les États-Unis, redémarrage du réacteur nucléaire de Yongbyon (arrêté en 2007), évacuation progressive puis fermeture de la zone économique de Kaesong, complexe industriel emblématique de la coopération entre les deux Corées… Le 6 avril, les personnels des missions diplomatiques étrangères ont reçu le conseil d’évacuer Pyongyang… Trois jours plus tard, une nouvelle menace de guerre thermonucléaire a été lancée contre Séoul, tandis que les expatriés se voyaient invités à quitter la Corée du Sud… Une escalade mûrement pensée et parfaitement orchestrée.
Car la prétendue « folie » des dirigeants nord-coréens n’est qu’un mythe complaisamment entretenu par les médias occidentaux. En dépit de son jeune âge (30 ans), Kim Jong-un n’est pas imprévisible. Comme son père, c’est un stratège qui connaît à fond ses dossiers, et qui, avec sa garde rapprochée (notamment Jang Song-thaek, son oncle, et Kim Kyong-hui, sa tante) et le cercle de ses conseillers, a envisagé tous les scénarios de crise. Sur le plan stratégique et militaire, mais aussi sur celui de la communication. D’où ces mises en scène théâtrales prêtant parfois à sourire – les images du Pentagone en feu ! -, destinées avant tout au peuple nord-coréen, qu’il s’agit d’unir comme un seul homme contre l’impérialisme américain. Kim Jong-un joue avec le feu, mais, selon toute vraisemblance, ne franchira pas la ligne rouge et n’utilisera pas l’arme nucléaire. Sauf en cas de dissensions au sein de son gouvernement (hypothèse que rien, à ce jour, n’est venu conforter) ou d’une mauvaise interprétation d’un mouvement militaire sud-coréen ou américain…
Et c’est justement, selon les termes de Chuck Hagel, le ministre américain de la Défense, pour « éviter d’exacerber la crise en cours » que, le 7 avril, les États-Unis ont reporté le tir d’un missile balistique intercontinental (Minuteman 3) depuis la Californie. Il aurait pu être interprété par Pyongyang comme une agression délibérée et déclencher une riposte armée.
Cette décision a été saluée par la Chine, que les récentes provocations de la Corée du Nord, son alliée historique, mettent dans l’embarras. « Personne ne devrait prendre le risque, par égoïsme, de précipiter une région, encore moins le monde entier, dans le chaos », a estimé, le 7 avril, le président Xi Jinping, avec un art consommé de l’ambiguïté puisqu’il omet de préciser si l’avertissement s’adresse à Pyongyang ou à Washington !
Accrochages
Bref, les risques de dérapage sont réels. Les accrochages frontaliers ne sont certes pas rares entre les deux Corées. Les plus récents remontent à 2010 : torpillage d’une corvette sud-coréenne (46 victimes), puis bombardement de l’île de Yeongpyeong (4 morts et une vingtaine de blessés). Mais le contexte a changé. Désormais, un incident de ce type provoquerait à n’en pas douter une violente réaction sud-coréenne ou américaine. D’un autre côté, Pyongyang est allé si loin dans la surenchère qu’il lui est difficile de faire machine arrière sans perdre la face. Plus le temps passe, plus le danger grandit.
Que peut-il se passer dans les prochains jours ? Un nouveau tir de missile balistique à moyenne portée ? Un nouvel essai nucléaire ? Un attentat contre des intérêts sud-coréens ou américains, comme le prédisent certains transfuges nord-coréens ? À l’inverse, on peut espérer que la fin des manoeuvres américano-sud-coréennes, le 30 avril, marquera le début de la sortie de crise. Et, qui sait, le retour de la Corée du Nord à la table des négociations, en échange d’une aide alimentaire, d’un assouplissement des sanctions onusiennes, ou de la promesse d’une aide au développement du nucléaire civil. On saura alors si, comme le dit un proverbe nord-coréen, Kim Jong-un a « sorti l’artillerie lourde pour tuer un moineau ».
Pak Pong-ju, l’homme des réformes ?
En nommant, début avril, l’économiste Pak Pong-ju (74 ans) au poste de Premier ministre, Kim Jong-un a adressé à la communauté internationale un message… passé totalement inaperçu. Pak est pourtant loin d’être un inconnu : entre 2003 et 2007, au temps de Kim Jong-il, il fut déjà à la tête du gouvernement. Partisan déclaré des réformes, il rêve de restructurer l’économie nord-coréenne sur le modèle chinois : transformation des circuits de distribution alimentaire, libéralisation des prix, création de marchés privés « capitalistes », autonomisation progressive des entreprises d’État, semi-privatisation de petites entreprises « autogérées »… Il s’est d’ailleurs rendu à maintes reprises dans ce pays, notamment dans la province du Guangdong. Tombé en disgrâce, Pak avait été rappelé aux affaires en 2010 par un Kim Jong-il de plus en plus conscient de la nécessité des réformes. Il va devoir à présent s’efforcer de relancer le processus d’ouverture. Son meilleur atout ? Kim Kyong-hui, tante de l’actuel dirigeant et elle-même économiste, et Jang Song-thaek, son époux, semblent y être eux aussi favorables. Dans ses voeux du nouvel an, Kim Jong-un a clairement annoncé sa volonté d’opérer un « grand tournant ». Et d’améliorer le niveau de vie de ses compatriotes. J.M.
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