Syrie : un cessez-le-feu ou l’Apocalypse

Au coeur des luttes de pouvoir entre grandes puissances, le conflit syrien déstabilise toute la région. L’existence même de certains États, comme le Liban, pourrait être menacée.

Après une frappe aérienne dans le quartier d’al-Ansari, à Alep, le 7 avril. © Sipa

Après une frappe aérienne dans le quartier d’al-Ansari, à Alep, le 7 avril. © Sipa

Publié le 25 avril 2013 Lecture : 4 minutes.

Le Moyen-Orient traverse une période de violence et d’instabilité exceptionnelles. Les observateurs attentifs le savent : une restructuration majeure des relations entre les puissances régionales est à l’oeuvre. S’il se poursuivait, ce processus pourrait avoir des conséquences radicales et même aboutir au remodelage des frontières tracées par les puissances occidentales il y a près d’un siècle, après la défaite de l’Empire ottoman.

Marquée par un enchevêtrement de luttes de pouvoir, la situation est d’une grande complexité. Ainsi, la réconciliation surprise d’Israël et de la Turquie orchestrée par le président américain pendant sa visite à Jérusalem, le mois dernier, aura d’importantes conséquences régionales. Trois années d’hostilité ont soudain pris fin quand, pressé par Barack Obama, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a présenté ses excuses pour l’attaque meurtrière contre le Mavi Marmara, un navire turc qui avait cherché à briser l’embargo sur Gaza en mai 2010.

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Résultat immédiat, une coalition américano-israélo-turque s’est constituée, unie par la volonté d’abattre le régime du président syrien, Bachar al-Assad. À la veille de la visite d’Obama au Moyen-Orient, son nouveau secrétaire d’État, John Kerry, avait déclaré à propos de la détermination d’Assad à s’accrocher au pouvoir : « Mon but est de l’amener à changer ses calculs. »

Sur la défensive

Le renversement du président syrien n’est probablement que le premier objectif de cette nouvelle alliance. Sa finalité ultime pourrait bien être la destruction de l’axe Iran-Syrie-Hezbollah qui bride depuis trente ans les ambitions régionales des États-Unis et d’Israël. Ce front est aujourd’hui en péril, chacun de ses membres étant confronté à de grandes difficultés. Soumis à un implacable embargo américain, l’Iran vit sous la menace d’une attaque israélienne ; la Syrie se débat dans les affres de la guerre civile, et le Hezbollah, privé de ces deux principaux alliés, est sur la défensive jusque dans son sanctuaire libanais.

La coalition américano-israélo-turque pourrait ainsi remporter un succès spectaculaire. Mais les choses ne sont pas aussi simples. Face à elle se dresse un autre axe constitué par la Russie, l’Iran et la Syrie, déterminé à empêcher l’effondrement du régime d’Assad et l’émergence d’un nouveau système dominé par les États-Unis au Moyen-Orient.

Il faut encourager un changement pacifique de gouvernement, voire de régime, à Damas.

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En outre, les trois partenaires, Américains, Israéliens et Turcs, n’ont pas tout à fait les mêmes objectifs. Les États-Unis abhorrent la posture d’indépendance et de défi de l’Iran, qu’ils veulent soumettre. Les ambitions d’Israël sont plus ciblées : afin de préserver son monopole atomique régional, l’État hébreu est déterminé à faire cesser les activités nucléaires de Téhéran, soupçonnées de ne pas être totalement pacifiques.

La Turquie avait de son côté, avant la crise, l’espoir de diriger un nouveau regroupement régional. Avec la Syrie, le Liban et la Jordanie, elle avait formé un espace de quatre pays au sein duquel les visas avaient été abolis. Ankara espérait étendre cette alliance jusqu’au Golfe, convaincu que le développement d’une voie terrestre à travers la Syrie permettrait à ses hommes d’affaires d’y gagner d’importants contrats. Ces projets se sont révélés illusoires. Le pays est aujourd’hui menacé par le flot des réfugiés et par les ambitions des Kurdes de Syrie, qui rêvent de s’unir avec leurs frères de Turquie pour obtenir un État. Pour écarter cette perspective, Ankara a fait des concessions inédites qui pourraient aboutir à la libération du leader kurde Abdullah Öcalan, capturé en 1999. Le mois dernier, celui-ci a appelé les rebelles à déposer les armes, possible prélude à un nouveau départ dans les relations entre le pouvoir central et les Kurdes, peut-être même à l’obtention d’une certaine autonomie.

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Stabilité précaire

La Syrie est au coeur de ce jeu destructeur des puissances. Sa désintégration pourrait redéfinir les règles régionales et même remettre en question certaines des frontières dessinées sur les décombres de l’Empire ottoman. Le Liban est particulièrement en danger. Un changement de régime en Syrie menacerait sa stabilité précaire en bouleversant l’équilibre des pouvoirs entre communautés. Quant à la Jordanie, faible et vulnérable, elle n’a pu que se soumettre aux pressions et s’unir à la campagne américano-israélo-turque contre Assad. Certains des ennemis de Damas sont en ce moment armés et entraînés dans le royaume. L’afflux massif de réfugiés menace également son fragile équilibre interne. Et si Israël poursuit sa politique d’expropriation et de colonisation, la Jordanie pourrait à nouveau subir un flot de réfugiés palestiniens.

Les dangers pour la stabilité et la prospérité de la région sont tels que, au lieu de poursuivre leur empoignade, les États-Unis et la Russie feraient bien de s’unir pour imposer un cessez-le-feu. Des groupes extrémistes voudront, bien sûr, continuer la bataille. Il faut les isoler et les maîtriser, et ceux qui sont prêts à négocier doivent être amenés à la table des pourparlers. Le but devrait être d’encourager un changement pacifique de gouvernement – peut-être même de régime – à Damas afin de reconstruire le pays, de rapatrier les réfugiés et de garantir la protection des minorités.

Si les grandes puissances ne parviennent pas à imposer une telle issue, on peut prédire sans risque de se tromper non seulement la destruction de la République arabe syrienne telle que nous la connaissons, mais aussi des retombées catastrophiques pour l’ensemble de la région.

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