Côte d’Ivoire : gros oeuvre pour Alassane Ouattara

Depuis son installation à la tête du pays, Alassane Ouattara a ouvert d’immenses chantiers, ceux de la reconstruction d’une nation. Nous en avons sélectionné huit, parmi les plus importants, pour en mesurer l’état d’avancement au lendemain d’élections locales très tourmentées.

Les grands travaux, une des priorités du gouvernement ivoirien. © AFP

Les grands travaux, une des priorités du gouvernement ivoirien. © AFP

Publié le 26 avril 2013 Lecture : 8 minutes.

Situation politique : insuffisant

« Tu ne dois pas déchirer les affiches des différents candidats » ; « Élection, ce n’est pas la guerre », exhortaient les affiches de la Commission électorale indépendante (CEI) pour apaiser les tensions, à quelques jours des élections régionales et municipales du 21 avril, marquées par de nombreuses violences et allégations de fraudes. Grands favoris du scrutin, le Rassemblement des républicains (RDR, au pouvoir) et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, son allié) présentaient des listes séparées dans la majorité des circonscriptions.

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Le RDR et le PDCI ont certes rallié à eux de nombreux militants et cadres issus d’autres formations en quête d’argent ou de gloire. Mais face aux hommes du nouvel establishment, on trouvait aussi une kyrielle de candidats indépendants (soit la moitié des 11 000 personnes en lice),  qui ont enregistré une véritable poussée aux municipales et dont beaucoup sont issus du RDR et d’une opposition qui boycottait le scrutin.

Nommé à la primature en novembre 2012, Daniel Kablan Duncan a relancé le dialogue avec l’opposition. En vain, pour l’instant. Deux projets de loi sont bien en cours de préparation sur le statut des partis politiques et leur financement, mais ils n’ont pas encore franchi l’étape du Conseil des ministres, préalable à leur passage devant les députés. Par ailleurs, l’opposition demande notamment la recomposition de la CEI, la révision de la liste électorale et la libération des prisonniers politiques. Décriée, la justice tarde à faire son travail pour prononcer soit leur libération soit leur condamnation. La classe politique a désormais les yeux rivés sur la présidentielle de 2015. Dans ce contexte, l’alliance houphouétiste semble fragilisée, comme l’a confirmé le déroulement des élections locales. En privé, les cadres du RDR, sûrs de leur puissance, affirment ne plus vouloir se plier aux exigences de leur allié PDCI, dont certains membres rêvent de sceller une grande alliance avec le Front populaire ivoirien (FPI, formation de Laurent Gbagbo). Ouattara, lui, tient plus que jamais à son alliance. 

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Relance économique : prometteur

« Les perspectives sont favorables », indiquait le Fonds monétaire international (FMI) en mars. Il est vrai que la croissance devrait dépasser les 8 % cette année. Le taux d’inflation, à moins de 2 %, est stable. Et la dette extérieure régularisée. Les réformes en cours commencent aussi à porter leurs fruits. La baisse des prélèvements sur le cacao permet aux paysans de toucher 60 % du prix de vente final. « La Côte d’Ivoire est sur une bonne dynamique, explique un cadre du FMI. Sa sortie de crise est rapide à l’image du Rwanda, de l’Ouganda ou du Mozambique. »

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Mais tout n’est pas réglé. La réduction de la masse salariale de l’État (44 % des recettes fiscales, la norme dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine, UEMOA, étant de 33 %), le paiement de la dette intérieure, le programme de privatisations ou encore l’adoption d’une loi sur la concurrence n’ont guère avancé. Tout comme l’épineuse question de la lutte contre l’affairisme et la corruption. Plus de 40 % des marchés publics sont passés de gré à gré.

Dans les prochaines années, les autorités devraient bénéficier de nouvelles ressources dans les domaines des mines et de l’énergie, puisque de nombreuses concessions ont été ou sont en cours d’attribution. Mais pour réussir son pari de faire accéder la Côte d’Ivoire au rang de pays émergent d’ici à 2020, Ouattara va devoir attirer massivement les investisseurs privés. Ces derniers ont énormément prospecté ces deux dernières années sans vraiment concrétiser. La crise en Europe, l’insécurité juridique ainsi que les problèmes sécuritaires et politiques contribuent à les rendre frileux. 

Des membres des FRCI ont comparu devant les juges d’un tribunal militaire à Abidjan, le 11 avril.

© Camille Millerand

Sécurité : en progrès

Dans les rues, la police a retrouvé droit de cité, et l’insécurité a baissé. Depuis six mois, les attaques contre des bâtiments publics et les installations des forces de sécurité sont en régression. Une évolution positive attribuée à l’arrestation de plusieurs commanditaires de ces assauts, la mise en place du Conseil national de sécurité, le renforcement du dispositif sécuritaire aux frontières avec les pays voisins et les forces onusiennes.

« On a aujourd’hui un concept de défense clair et cohérent inspiré du modèle français », explique Paul Koffi Koffi, ministre délégué à la Défense. L’armée compte environ 40 000 hommes, dont 16 000 gendarmes, un effectif que les autorités entendent stabiliser. Les casernes sont en cours de réhabilitation, l’armée a reçu de nouveaux uniformes, des véhicules d’intervention rapide ont été livrés, les programmes de formation ont repris. Malgré cela, la situation reste précaire. À l’intérieur du pays, on enregistre régulièrement des frictions intercommunautaires, des heurts entre les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) et les populations. Autre sujet d’inquiétude : la présence de mercenaires, de miliciens et de chasseurs dozos lourdement armés qui sévissent dans l’Ouest. Certains, comme Amadé Ouérémi, à la tête de 400 hommes installés au mont Péko, narguent même les autorités. En outre, le programme de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR), qui vient de débuter et qui prévoit la réintégration de 64 000 anciens combattants dans la vie civile, doit faire ses preuves. 

Réconciliation : en panne

« Le chemin qui sépare les populations de la paix est plus court que celui qui sépare les élites », expliquait le 17 mars Charles Konan Banny, président de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR), dont le mandat s’achève en septembre. Difficile de lui donner tort tant la haine et l’esprit de vengeance animent encore les dirigeants qui se sont affrontés lors de la crise postélectorale. Une partie du camp Gbagbo ne reconnaît toujours pas la victoire d’Alassane Ouattara, et les militaires en exil n’aspirent qu’à renverser le régime. Du côté du pouvoir, l’impunité est de mise pour les crimes commis par son propre camp. Et la justice ne passe, pour l’instant, que pour les « vaincus ». La société civile et les Nations unies dénoncent régulièrement les exécutions sommaires, les disparitions, les arrestations arbitraires, les mauvais traitements et les tortures. Les autorités ne se sont pas non plus attaquées aux racines, anciennes, du conflit : les problèmes fonciers, d’identité ou de contrôle des ressources naturelles. 

Bien-être : en progrès

Les Ivoiriens reconnaissent pour une grande majorité que leur situation s’est améliorée. Mais ils se plaignent aussi de la cherté de la vie, de la faiblesse de leur pouvoir d’achat, de l’augmentation de la corruption. « L’argent ne circule pas », entend-on souvent. Une manière de dire qu’il reste concentré entre les mains d’une classe dirigeante dont le train de vie ostentatoire ne cesse de susciter des critiques. Les autorités rétorquent que « l’argent travaille ». De fait, les pouvoirs publics doublent chaque année leur programme d’investissements. Candidat, Ouattara avait promis la création d’un million d’emplois. On en est encore loin. Les revendications sociales sont chaque jour plus importantes. Si le chef du gouvernement reçoit régulièrement les syndicats pour relancer le dialogue social, les grèves se multiplient pour dénoncer les arriérés de paiement et l’absence de revalorisation des salaires. Les autorités se montrent fermes, n’hésitant pas à supprimer certaines primes.

Sur les bancs de la fac, les esprits contestataires n’ont plus voix au chapitre, et les étudiants se sont remis au travail. « Les Ivoiriens ont tourné la page Gbagbo, affirme un professeur de l’université de Cocody. Mais les réformes de Ouattara sont dures, parfois peu équitables, et il n’a pas encore répondu aux espoirs qu’il a suscités dans le pays. » 

Diplomatie : prometteur

« Il ne faut plus regarder la Côte d’Ivoire par la lorgnette de la Françafrique », estime un diplomate français. Depuis sa sortie du bunker du Golf Hôtel, en avril 2011, le président Ouattara a d’ailleurs sillonné la planète pour restaurer l’image du pays et serré la main des plus grands, celles de Nicolas Sarkozy, François Hollande, Barack Obama, Angela Merkel, Benyamin Netanyahou, Hu Jintao… Si la France reste un partenaire privilégié d’Abidjan, les autorités développent une diplomatie économique agressive en direction des autres pays européens, arabes, asiatiques, africains et sud-américains. Cette politique a permis de rompre l’isolement et d’ouvrir de nouvelles perspectives commerciales. La Banque africaine de développement (BAD) devrait y opérer son retour avant la fin de 2014, et l’Organisation internationale du cacao (Icco) y réfléchit.

Président en exercice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), Ouattara est devenu un partenaire privilégié des Français et des Américains dans la lutte contre Al-Qaïda. Son ambition est, en outre, de transformer l’espace ouest-africain en une grande zone d’intégration favorisant le libre-échange et attirant les investissements étrangers. 

Médias : insuffisant

Des médias publics aux ordres, une presse écrite sensationnaliste à la solde des partis ou d’intérêts financiers… Hormis quelques rares journaux indépendants, le paysage médiatique a peu évolué sous l’ère Ouattara. Trop de journalistes agissent encore comme des militants politiques ou des mercenaires de la plume. La liberté de presse est globalement respectée même si le maintien en détention sans jugement, depuis fin mars 2012, d’Ousmane Sy Savane, directeur général du groupe Cyclone, société éditrice des publications Le Temps, Lg Infos et Prestige magazine, constitue une ombre au tableau.

L’ouverture du paysage audiovisuel au secteur privé, qui a été repoussée, devrait intervenir lors du passage au numérique, en 2015. D’ici là, les autorités comptent mettre à jour les textes législatifs, moderniser la chaîne publique RTI (Radiodiffusion Télévision ivoirienne) et étendre aussi sa couverture pour qu’elle puisse faire face à la concurrence. L’ouverture des ondes devrait être, elle, très progressive et contrôlée. 

La vie culturelle reprend ses droits, comme en témoigne cette exposition de photos organisée par la Fondation Donwahi, en février dernier.

© Sia Kambou/AFP

Culture : prometteur

À Abidjan, les concerts succèdent aux expositions depuis la fin de la crise postélectorale. Les artistes étrangers font le voyage, comme l’humoriste franco-marocain Jamel Debbouze, qui s’est produit le 23 mars au Palais de la culture. Musiciens, peintres, photographes, critiques d’art retrouvent aussi une place sur la scène culturelle. La Fondation Charles Donwahi pour l’art contemporain a repris son mécénat, tandis que la galeriste Cécile Fakhoury a récemment ouvert un espace de 600 m2 consacré à la création contemporaine. Des concerts sont aussi à l’honneur, comme la venue des Enfoiriens, en mars, ainsi que des festivals, comme Abidjan Afrik Urban Arts (danse), fin mai. « Ça bouillonne ! » se réjouit le critique d’art Franck Ekra.

Toutes ces initiatives sont financées par de généreux mécènes et par les opérateurs économiques. Les autorités ne sont pas en reste. « Nous avons revu toutes nos politiques », explique Maurice Bandama, ministre de la Culture et de la Francophonie. Les autorités travaillent aussi à valoriser le patrimoine matériel et immatériel du pays (ville de Bassam, musique et danses traditionnelles). Le Marché des arts du spectacle africain (Masa) fera, quant à lui, son retour à Abidjan en novembre, après six années d’interruption.

L’année 2013 est enfin celle du cinéma. Il ne reste plus que 10 salles dans le pays, contre 200 dans les années 1980. Pour relancer la production nationale, les autorités subventionnent quelques projets de longs-métrages. « En 2015, je veux que l’Étalon de Yennenga [qui récompense le meilleur film au Festival de cinéma panafricain de Ouagadougou, NDLR] nous revienne », indique Maurice Bandama.

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Par Pascal Airault

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