Les drôles de dames d’Acoustic Africa

Une volonté de fer, une forte présence sur scène et de multiples talents… Les trois artistes du projet « Acoustic Africa » témoignent de la vitalité de la création artistique du continent.

Les trois artistes du projet Acoustic Africa. © http://www.acousticafrica.org/music/

Les trois artistes du projet Acoustic Africa. © http://www.acousticafrica.org/music/

Publié le 14 avril 2013 Lecture : 4 minutes.

La première a dessiné deux longs traits noirs pour prolonger ses yeux, deux autres pour souligner ses joues. Dobet Gnahoré ondule au rythme des congas sur lesquels elle tambourine avec énergie, danse avec ferveur et joue de son maquillage pour composer des expressions comiques, très théâtrales. Bété, fon, baoulé, lingala, malinké, mina ou bambara…, cette trentenaire chante dans toutes les langues pour célébrer la force des femmes africaines ou dénoncer l’exploitation des enfants. Cette palette de talents et ce goût pour le panafricanisme, Dobet les tient de la formation qu’elle a suivie au village Ki-Yi M’bock d’Abidjan (un centre artistique multidisciplinaire). Son père Boni, lui-même percussionniste, est l’un des fondateurs de cette communauté d’artistes issus des quatre coins de l’Afrique, qui, depuis 1985, forme des jeunes passionnés par la scène.

La deuxième a choisi un prénom qui lui ressemble : Kareyce Fotso. La Camerounaise balance ses mélodies afro-folk d’une voix chaude et un peu éraillée. Son pays lui inspire parfois des textes pleins de gravité, sur la jeunesse qui meurt du sida ou les mariages forcés. L’émancipation des femmes lui tient particulièrement à coeur, elle qui continue de braver la tradition en refusant de se marier et élève seule ses deux enfants. Sous ses airs tendres, on devine une volonté de fer. Cette ancienne choriste du groupe Korongo Jam a forgé son expérience scénique en sillonnant les cabarets de Yaoundé durant dix ans. Elle a presque l’allure d’une chanteuse country, avec sa guitare en bandoulière, ses talons hauts et sa longue robe rose qui dégringole sur ses chevilles.

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Grain de sel

La troisième, comme elle le dit elle-même, est plus « destroy ». Look à la garçonne, cheveux courts, Manou Gallo, née en 1972 en Côte d’Ivoire, évolue dans un tout autre registre. Elle fait rire le public en buvant dans de minuscules bouteilles et commence à souffler dedans. Elle en tire des sons de flûte de pan, qu’elle enregistre en direct, au fur et à mesure. Sur ces boucles sonores qui se superposent, elle déploie alors ses talents étonnants de beat-boxeuse. Ancienne bassiste de Zap Mama, elle poursuit un chemin artistique audacieux et plein d’originalité qu’elle a entamé à l’âge de 12 ans. À cette époque, elle se produisait déjà avec Woya, un groupe ivoirien qui connut un franc succès en Afrique de l’Ouest dans les années 1980. Son parcours loin des sentiers battus n’est pas sans embûches, comme elle le confie : « Je ne suis parfois pas programmée dans les festivals de world music parce qu’on ne sait pas dans quelle case me ranger. »

Réunir ces trois fortes personnalités, qui ont chacune une carrière solo, sur une même scène : c’est le pari d’Acoustic Africa, un projet initié par le label Contre-Jour, maison belge qui produit Kareyce Fotso et Dobet Gnahoré et dont le manageur, Michel De Bock, connaît très bien Manou Gallo. Il l’avait rencontrée il y a vingt ans lors du premier Marché des arts et du spectacle africain (Masa) à Abidjan et l’avait mise en contact avec Zap Mama. La collaboration des trois artistes, qui a démarré avec une résidence à Lomé, repose sur une formule simple mais qui fait son effet : tour à tour, chacune interprète son propre répertoire tandis que les deux autres y apportent leur petit grain de sel.

Sur scène, chacune a son rôle. Manou Gallo, drôle et réservée, lance des sourires en coin au public. Dobet Gnahoré, taquine et pleine d’énergie, a l’air d’être partout à la fois. Kareyce Fotso ramène le calme avec sensualité. Tout en célébrant la diversité et la richesse des répertoires traditionnels, ces trois dames s’offrent des incursions dans le hip-hop, le jazz, le blues ou le folk. Complices, elles nous baladent ainsi durant deux heures dans un vaste registre d’atmosphères et d’émotions.

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Afropéennes

Ce brassage est un peu à l’image de leurs vies, qui se construisent entre l’Afrique et l’Europe. « On est toutes un peu afropéennes », raconte Dobet Gnahoré, qui reprend cette jolie expression de l’écrivaine camerounaise Léonora Miano. « Moi j’ai passé quinze ans en France. Maintenant, je suis en Belgique. Mais je rêve de rentrer au pays. J’apprends tout ce que je peux ici pour pouvoir l’emporter là-bas après », poursuit-elle. De son côté, Manou Gallo vit depuis longtemps à Bruxelles, dont elle apprécie la diversité, mais insiste : « Je suis une femme africaine et je le resterai toujours. » Kareyce, elle, ne quitterait le Cameroun pour rien au monde, bien qu’elle fasse de fréquents séjours dans la capitale européenne et soit en permanence en tournée.

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Le jeu des identités est multiple dans ce projet qui renverse aussi les hiérarchies de genre. « Être au-devant de la scène, chanter, danser, jouer de la basse, des percussions, c’est plutôt nouveau pour les femmes africaines, observe Kareyce Fotso. Cela montre qu’aujourd’hui elles se prennent en charge, sortent du joug masculin et ne laissent plus leur destin aux mains des hommes. » Sur scène, ces derniers sont présents, mais en retrait. Aly Keita, balafoniste malien ultratalentueux, Boris Tchango, batteur togolais, et Zoumana Diarra, guitariste et joueur de kora originaire du Mali, mettent leur virtuosité au service des trois dames, même s’ils ont droit à leur morceau de bravoure lors du concert. Manou Gallo, pleine d’enthousiasme, harangue le public : « Nous sommes l’african women power ! »

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Acoustic Africa, avec Dobet Gnahoré, Manou Gallo et Kareyce Fotso, actuellement en tournée. Plus d’informations sur www.acousticafrica.org/music/

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