Congo : « L’immeuble rouge », l’autre Cité radieuse de Brazzaville
Ouvrage de génie conçu en 1952 sur le modèle du bâtiment de Le Corbusier à Marseille, « l’immeuble rouge » de Brazzaville tombe aujourd’hui en décrépitude. Un patrimoine à préserver d’urgence.
C’est un grand immeuble rouge du Plateau, situé en face de la maison d’arrêt et à deux pas du palais de justice de Brazzaville. D’ailleurs, il est connu sous ce nom, « l’immeuble rouge », et non sous celui d’unité d’habitation Air France qu’il a reçu lors de sa construction, au début des années 1950. Remarqué pour son superbe travail sur les tirailleurs sénégalais, le photographe français Philippe Guionie, en résidence au Congo, s’est intéressé à ce bâtiment aujourd’hui décati, qui, à sa manière, résume toute l’histoire du pays, depuis la colonisation jusqu’à aujourd’hui. « J’ai voulu faire porter le regard sur une construction presque oubliée, sur un patrimoine que les gens ont du mal à s’approprier », explique Guionie en présentant ses photos, principalement consacrées au quotidien des 700 habitants*.
L’oubli, ce n’est pas faux, enlace et étrangle cette oeuvre des architectes (Hébrard, Lefebvre, Letu et Bienvenu) disciples de Le Corbusier qui la conçurent en 1952 sur le modèle de la Cité radieuse de Marseille (France). Brise-soleil déglingués, arbres poussant à même la façade, terrasse servant de potager à manioc, pataugeoires transformées en poubelles, cheminées d’aération obstruées par des nids d’abeilles, égouts à ciel ouvert, l’immeuble n’a gardé de sa splendeur d’antan que le beau rouge du grès que l’on extrait près du Djoué, proche affluent du fleuve Congo. Construit pour le personnel européen local d’Air France à l’époque où Brazzaville était la capitale de l’Afrique-Équatoriale française (AEF) et servait d’escale aux vols long-courriers entre Paris et l’Afrique du Sud, nationalisé, occupé par des militaires durant la guerre, l’immeuble rouge entouré de manguiers et de bananiers demeure un exemple exceptionnel d’architecture pensée pour un milieu tropical.
Christie’s
L’aération, naturelle, et l’orientation selon les vents dominants garantissent une fraîcheur constante aux familles de fonctionnaires congolais qui en occupent aujourd’hui, pour 10 000 F CFA (15 euros) par mois, la soixantaine de logements disponibles. « Il n’y a plus d’eau courante, et quatre garçons se relaient pour apporter des bidons, à 100 F CFA les 25 litres, raconte Guionie. Le bâtiment est bien sûr dans un sale état, mais il continue de vivre à sa façon. »
Victime du temps, du climat, de la guerre, de l’explosion de Mpila (voir J.A. no 2721) et d’une certaine négligence, menacé par la spéculation foncière, l’immeuble rouge a aussi été la proie de marchands peu scrupuleux. À la fin des années 1990, un article paru dans la presse spécialisée revenait sur l’histoire du bâtiment et signalait qu’une bonne partie des aménagements intérieurs et du mobilier étaient signés de grands noms du design : Jean Prouvé et Charlotte Perriand. Une information qui est tombée entre de mauvaises mains : achetées à très faible prix, remplacées par des ersatz bon marché, des pièces de collection ont été « pillées » sans que nul n’y trouve à redire. Certaines allaient même se retrouver quelques années plus tard dans des maisons de vente aux enchères. Ainsi cette table de salle à manger Tropique 506 réalisée en 1952 par Jean Prouvé pour l’unité d’habitation Air France et vendue chez Christie’s Paris, le 21 novembre 2012, pour la somme de 217 000 euros ! De son « immeuble rouge », Brazzaville ne possède plus aujourd’hui que les murs. Mais la valeur patrimoniale de ces murs reste inestimable. Qui se décidera à les sauver ?
*Les photographies de Philippe Guionie sont exposées dans le grand hall de l’aéroport Maya-Maya jusqu’au 30 mai.
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Nicolas Michel, envoyé spécial à Brazzaville
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