Mason Ewing : le rêve américain

Enfant battu, aujourd’hui malvoyant, ce jeune Franco-Camerounais essaie de se réinventer outre-Atlantique en styliste et réalisateur.

Mason Ewing (Cameroun), Styliste, créateur.  A Meaux, le 14 septembre 2012. © Vincent Fournier/J.A.

Mason Ewing (Cameroun), Styliste, créateur. A Meaux, le 14 septembre 2012. © Vincent Fournier/J.A.

Publié le 11 avril 2013 Lecture : 4 minutes.

Les questions, il les écoute à peine. Il parle vite, si vite qu’il en avale ses mots. C’est que, à 30 ans, Mason Ewing a déjà beaucoup à raconter. Son enfance fracassée, sa renaissance et puis Hollywood. Malvoyant, ce Franco-Camerounais poursuit inlassablement le rêve de sa mère Marie, modèle et styliste, décédée à seulement 20 ans : avoir sa propre collection de vêtements. « Elle est partie trop tôt, soupire-t-il, installé dans le canapé fatigué d’un deux-pièces de Meaux (Seine-et-Marne), son pied-à-terre en France. Depuis tout petit, j’ai décidé de suivre ses traces. » Enfant, fasciné par les robes, il découpait des photos de mannequins qu’il collait dans un petit cahier. Lorsque sa mère travaillait sur sa machine à coudre, il était à côté d’elle. Cet héritage, il s’est fait un devoir de le perpétuer. Alors, en hommage, il a créé sa propre marque, Madison Color Collection, une ligne sportswear dont le logo est un curieux bambin métissé. Grâce aux inscriptions en braille, les aveugles peuvent lire la couleur et la taille de chaque pièce. « Le bébé est un symbole de tolérance, explique Mason. Mon message, c’est qu’on peut être handicapé et faire des choses sublimes. » Son premier défilé de mode, il l’a présenté en 2006, à Paris : « un succès ». Exigeant, il a tout géré, de la sélection des mannequins au choix des vêtements. « J’aime sentir la douceur des tissus sous mes doigts, je reconnais les couleurs et je ne me trompe jamais », assure-t-il, jurant miser sur sa mémoire et ne se fier qu’à son instinct. Car Mason Ewing n’a pas toujours vécu dans l’obscurité.

Du Cameroun (il est né à Douala d’un père américain, aujourd’hui décédé, et d’une mère camerounaise), il n’a pas gardé beaucoup de souvenirs. À la mort de sa mère, il a vécu avec son arrière-grand-mère et ses cinq enfants, dont sa grand-tante, Jeannette, avec qui il a rejoint la France à l’âge de 6 ans. Cette dernière et son époux lui ont fait vivre un indicible calvaire. Il raconte avoir été battu, brûlé, séquestré. Quand sa grand-tante ne lui cognait pas la tête contre le carrelage de la salle de bains, elle le torturait avec du piment. Jusqu’à ce jour de 1996 où elle lui en a jeté dans les yeux, après l’avoir une énième fois violenté. Après trois semaines de coma, il a perdu la vue. Les appels au secours n’ont jamais été entendus : une centaine de fugues en deux ans, des passages au commissariat et à l’hôpital, des confidences aux assistantes sociales de la Direction des affaires sanitaires et sociales (DDASS)… Seul le Comité de lutte contre l’esclavage l’a cru et il a pu porter plainte. En juin 2004, Lucien et Jeannette Ekwalla ont chacun été condamnés par le tribunal correctionnel de Meaux à un an de prison avec sursis et 4 500 euros de dommages et intérêts, dont il n’a « jamais vu la couleur ». Une peine d’autant plus dérisoire que Jeannette avait déjà passé un an et demi en prison pendant l’enquête et que Lucien s’était enfui. « J’ai failli mourir, je suis resté un temps en fauteuil roulant, je ne peux pas pardonner, s’emporte Mason. Je leur ai dit leurs quatre vérités, je ne pouvais plus vivre dans la peur. Moi, j’avance, je n’attends rien d’eux. »

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Ensuite, les années de galères se sont enchaînées. Mis sous tutelle, interdit bancaire, il ne perce pas. En colère contre une France qu’il estime raciste, il s’exile en 2011 aux États-Unis. « Les portes se sont immédiatement ouvertes. Pour tout le monde, j’étais le Messie, le génie, jure Mason. Le Los Angeles Times veut faire un deuxième article sur moi. Mes avocats m’ont dit qu’il n’y a que Barack Obama qui pouvait avoir des articles dans un tel journal en si peu de temps. » Le mois qui a suivi son arrivée, il organisait déjà son premier défilé, avec quatre autres créateurs : « Le bébé Madison cartonne, les Américains trouvent ça génial », claironne-t-il. Dans sa quête effrénée d’une reconnaissance qu’il n’a jamais eue, il crée sa société, Mason Ewing Corporation, à Los Angeles. Un « holding » avec « plusieurs départements » : « mode et image ». Mason, qui réside désormais à Hollywood, a des projets à la pelle (dont une ligne de vêtements pour femmes, « Ingénue Couture ») et un grand rêve : le cinéma. Plus jeune, reclus dans sa chambre, il regardait en boucle les séries télévisées « avec des bandes de jeunes qui s’entendent bien » pour survivre malgré l’enfer qu’il vivait. Il a depuis créé la sienne, Eryna Bella, qui raconte les querelles adolescentes d’enfants de millionnaires dans un prestigieux lycée américain. En tournage à Los Angeles, il cherche des mécènes et des sponsors – sa société ne vit que de ça – pour financer les huit saisons et son association, SOS Madison International, qui lutte contre les discriminations… « Un jour, j’irai sur la tombe de ma mère, se promet-il. Je ferai un magnifique portrait d’elle au cinéma. »

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