Franc-maçonnerie : la Françafrique sous le maillet

Invité à une « tenue blanche fermée » qui a tourné à une attaque contre Nicolas Sarkozy sur fond de Côte d’Ivoire, notre confrère de RFI a recueilli les paroles de « frères » qui haussent le ton.

Le temple Arthur-Groussier, du Grand Orient de France, est situé rue Cadet, à Paris. © SIPA

Le temple Arthur-Groussier, du Grand Orient de France, est situé rue Cadet, à Paris. © SIPA

Publié le 18 avril 2013 Lecture : 6 minutes.

Les organisateurs auraient voulu choisir la date la plus opportune pour leur « tenue blanche fermée » (TBF) qu’ils ne s’y seraient pas pris autrement. Quand en grande pompe le 18 janvier dernier, rue Cadet à Paris, le Grand Orient de France accueillait cette conférence-débat consacrée à « la Françafrique », l’intervention militaire française au Mali n’en était qu’à sa première semaine. Les derniers lampions de la Saint-Sylvestre à peine éteints, la France débutait l’année en guerre, et l’Afrique occupait comme jamais le devant de la scène politico-médiatique. Programmée plus de un mois auparavant, cette réunion d’ampleur ne pouvait mieux – ou plus mal – tomber pour la principale obédience maçonnique française. Cela pouvait casser, mais c’est passé.

Sur le carton d’invitation, les « frères trois points » avaient sorti le code des grands soirs. « À l’occasion du 22e anniversaire de l’allumage de ses feux, la R…L… "Pourquoi pas ?" (et cinq autres loges invitantes : Ulysse, les enfants d’Éole, Hélios, le Temple de l’homme 777, République, Freedom of Conscience et Via Universalis) […] ont le plaisir de vous convier […] en présence du T…Ill…F… Franco CAP… Premier G…M…A… du G…O…D…F… » Triangles de points comme s’il en pleuvait, parcours fléché pour initiés et, en bas de page, une adresse internet réservée aux inscriptions préalables, indispensables.

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Enfilade d’épées et de flambeaux

Car, pour accueillant qu’il soit, le temple Arthur-Groussier n’est pas un moulin. Lors d’une TBF, n’y entre pas qui veut. Les maçons avaient sorti la tenue des grands soirs pour accueillir les conférenciers, l’écrivain et journaliste Pierre Péan et l’auteur de ces lignes, venu dire à ses hôtes qu’en intervenant comme elle l’avait fait en Côte d’Ivoire la Françafrique avait tout de même poussé le bouchon trop loin.

Pour le conférencier qui franchit la double porte de l’illustre cénacle, une TBF s’ouvre d’abord sur une enfilade d’épées et de flambeaux brandis par deux haies de personnages en tenue d’apparat, encadrant une allée en damiers menant à l’estrade nichée dans l’alcôve terminale, où un « président » en gants blancs, entouré de vénérables maîtres et de greffiers, sous un buste de Marianne, attend de présenter ses invités à la silencieuse assistance. Ce qui s’est dit ce soir-là sous les symboles émaillant la voûte du temple Arthur-Groussier ne saurait être relaté. 

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Sensible

Le débat ayant suivi nos interventions a toutefois suscité depuis tant de commentaires et de réactions chez les maçons férus d’Afrique que – chose singulière – plusieurs participants africains ont décidé, ici, de jeter bas le masque et haut le verbe pour évoquer cette TBF. À commencer par Michel Langa. D’origine centrafricaine, cet avocat de 49 ans n’était autre que le « président » de la TBF. Les gants blancs, c’était lui. Vénérable de la loge Pourquoi pas ?, il dirige cette association dépendant du Grand Orient de France et dont les membres sont essentiellement africains. Dans les années 1990, Pourquoi pas ? était une commission Afrique du GOF, avant d’être transformée en loge à vocation humanitaire. Une conférence-débat sur la Françafrique ? « C’était très, très sensible, dit-il. Le 17 décembre 2012, après la visite préparatoire du temple avec Pierre Péan et vous-même, je suis retourné à mon cabinet dans le 18e arrondissement de Paris. J’ai trouvé la porte fracturée, j’ai déposé plainte pour tentative d’effraction. » 

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Simple coïncidence ou vraie pression ? Le frère Michel a comme un doute. Car, complète-t-il, « le site internet créé uniquement pour les inscriptions à cette TBF a été piraté, alors qu’il était sécurisé ». Pas de quoi, en tout cas, intimider maître Langa, qui a déjà oublié les 1 600 euros facturés par son serrurier pour la réparation de sa porte. Car « il y avait plus de 300 inscrits, pour une capacité de 270 participants. L’Afrique centrale était bien représentée. Des frères venus d’Autriche, de Belgique et d’Allemagne étaient également présents », lance-t-il, un éclair de fierté au fond des yeux.

Célestin Bamboute ne dit pas autre chose. Franc-maçon au GOF depuis une quinzaine d’années, cet inspecteur des finances publiques, d’origine centrafricaine lui aussi, a été la cheville ouvrière de la TBF. « Nous avons cherché à identifier toutes les personnes qui venaient, explique-t-il. Je craignais les provocations, les débordements. » Mais si la Françafrique sent le souffre, la réunion du 18 janvier aura déjoué les craintes de frère Célestin.

Car c’est surtout de Côte d’Ivoire qu’il a été question ce soir-là. « Des hommes d’affaires vivant à Abidjan ont assisté à la TBF », s’enorgueillit Luc Gohou. Ancien responsable en Île-de-France du Front populaire ivoirien (FPI), le parti de l’ex-président Laurent Gbagbo, ce cadre du tourisme, maçon au GOF depuis un quart de siècle, tient aujourd’hui à lancer un « appel aux francs-maçons ». Il souhaite qu’ils organisent ce genre de réunions pour qu’à l’avenir « on arrive à trouver des solutions pacifiques dans nos différents pays, puisque ce soir-là pratiquement toute l’Afrique était représentée ». Bienveillantes paroles publiques, nécessairement plus « diplomatiques » que d’autres, entendues ce même soir de janvier. Lors d’une TBF, on met les pieds dans le plat.

"Ma porte a été fracturée, et notre site piraté"

Quand il s’est levé pour prendre la parole, ce franc-maçon français initié il y a trente-cinq ans en terre ivoirienne, ancien professeur à l’université d’Abidjan, n’a pas eu de mots assez durs à l’endroit des amis de vingt ans que sont Nicolas Sarkozy et Alassane Ouattara. Aujourd’hui encore, il persiste et signe. « J’ai été témoin de faits allant dans le sens qui me semblait se dégager durant cette TBF, dit-il, c’est-à-dire l’évidence que les élections ont été truquées, que la France est intervenue en amont du processus, et qu’il y avait un parti pris très net depuis le début. » À l’inverse de ses frères africains, il préfère conserver l’anonymat. Pour mieux libérer sa parole. « Ayant été choqué par l’intervention directe et brutale de la France, qui a abouti à la prise de Gbagbo, j’ai tenu à témoigner », s’indigne-t-il en fustigeant les « agissements » de l’ancien président Sarkozy et en évoquant les « mallettes de la République » chères à Pierre Péan. « N’importe quel maçon est très attaché à la question des droits de l’homme, modère Célestin Bamboute. En tant que franc-maçon, je dis qu’on souhaiterait que la sérénité puisse l’emporter » en Côte d’Ivoire.

Mais si les oreilles de Nicolas Sarkozy ont dû siffler ce soir-là, celles de François Hollande ne sont pas tout à fait en reste au GOF aujourd’hui. Certes, sous les voûtes de la rue Cadet, l’intervention militaire française au Mali a été saluée et même qualifiée de « contraire de la Françafrique ». Mais cet autre franc-maçon qui sillonne l’Afrique depuis 1977 estime à présent qu’on ne peut que « déplorer la cécité du nouveau pouvoir socialiste français face aux exactions permanentes du régime d’Abidjan, dénoncées maintenant par Amnesty International ». Une inaction guère moins condamnable à ses yeux que l’action passée de la France en Côte d’Ivoire. Ainsi va l’Afrique. Qu’elle sorte les missiles ou qu’elle reste coite, la France est à l’index, et le village africain, lui, « fait palabre ». La France, ou plutôt, souligne Pierre Péan, le « faux nez » de la Françafrique.

Le 18 mai, le Groupe fraternel d’étude des questions africaines (GFEQA) organise une conférence-débat sur l’Afrique réservée aux francs-maçons. Elle se tiendra à la Grande Loge de France, 9, rue Puteaux, 75017 Paris. Elle sera animée par Norbert Navarro.

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Par Norbert Navarro

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