Tunisie : à peine publiée, la loi électorale suscite des remous
Le pouvoir tunisien avait jusqu’au 16 septembre pour publier sa nouvelle loi électorale, du moins s’il voulait tenir la date du 17 décembre 2022, à laquelle le président tient à organiser les prochaines législatives. Le texte a bien été rendu public le 15 au soir. Et certaines de ses dispositions provoquent déjà émotions et frustrations.
Cela figurait noir sur blanc sur la feuille de route produite par le président Kaïs Saïed en décembre 2021 : les élections législatives, premier scrutin général à se tenir sous son mandat, doivent avoir lieu le 17 décembre 2022. Le délai imparti pour la publication de la nouvelle loi électorale expirant ce 16 septembre, même si beaucoup de médias s’interrogeaient sur le respect du calendrier électoral, le nouveau texte devait absolument être rendu public avant ce vendredi et c’est effectivement ce qui a été fait. Ce n’est pas un mystère : Kaïs Saïed tient à ce que le 17 décembre, qu’il considère comme la date anniversaire de la révolution, soit le jour de ces élections, censées symboliser le changement de régime initié par la Constitution qu’il a fait adopter en août 2022.
En termes de contenu, le décret 55 dévoilé le jeudi 15 septembre au soir expose une loi électorale dont on savait déjà qu’elle établissait un scrutin uninominal à deux tours et qu’elle prévoyait un nouveau découpage électoral. Avec 161 sièges à pourvoir – dont 10 pour les circonscriptions de l’étranger –, le législateur a fait à l’économie. Mais le texte pose plus de problèmes qu’il n’en résout puisqu’il ne tient apparemment pas compte du nombre d’habitants par circonscription pour établir un équilibre entre la représentativité des unes et des autres. « Chaque élu représentera en moyenne 10 000 votants de plus que pour l’assemblée précédente composée de 217 députés mais les déséquilibres sont patents », remarque un ancien statisticien de l’Instance indépendante supérieure des élections (Isie).
Assemblée morcelée, parité, binationalité…
Ce découpage, qui préfigure un morcellement, va enraciner les rivalités régionales : il risque de donner aux pôles urbains comme Sfax et Tunis le même nombre de députés et assure à une petite circonscription du sud comme Tataouine le même nombre de sièges que Sousse ou Tunis. Une situation qui reflète la gouvernance par la base, telle qu’imaginée et voulue par le président Saïed, mais qui sera intenable sous la coupole du Bardo.
Cet émiettement prévisible de la future assemblée profite à l’exécutif, qui sera ainsi assuré d’être seul décisionnaire. Mais le projet suscite aussi d’autres interrogations. Il met de côté le principe de parité, pourtant inscrit à la Constitution, et rend difficile le dépôt de candidature puisque pour participer à ce scrutin uninominal, il faut présenter un résumé de son programme électoral et être appuyé par une liste nominative, à parité hommes femmes, de 400 parrainages d’électeurs résidant dans la circonscription.
Sans compter que tout document devra être légalisé et certifié conforme par les services municipaux. Un véritable parcours du combattant. Pour Hana Ben Abda, professeure de droit public, cette approche vise, entre parrainages et démarches administratives, « à dissuader les citoyens et à empêcher le dépôt de plusieurs candidatures ».
« Les femmes sont écartées sans que ce soit clairement énoncé », s’insurge une militante de l’association Femmes citoyennes. Le scrutin uninominal ôte aussi aux partis toute velléité de candidature et tout espoir de remporter un siège. « Je boycotterai les législatives », avait annoncé Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL), qui confirme sa position tout en dénonçant une loi électorale décidée par Kaïs Saïed de manière unilatérale. Dans la logique de mise à l’écart, les binationaux sont aussi dans la ligne de mire : ils leur est interdit de postuler en dehors des circonscriptions de leur lieu de résidence.
Quelques améliorations
« La loi électorale définit les membres de cette communauté comme des ‘Tunisiens de l’étranger’ et non plus des ‘Tunisiens à l’étranger’ », enrage un binational qui déplore que des solutions n’aient pas été proposées à ceux qui voudraient malgré tout concourir. Parmi les possibilités : « contraindre le candidat à suspendre temporairement son autre nationalité, acte de renoncement que les lois internationales prévoient et qui a déjà été pratiqué par d’anciens dirigeants, comme l’ex-chef du gouvernement Youssef Chahed ».
D’autres se montrent moins disposés à discuter : « Le pays ne veut pas de nous, cela était en filigrane dans la Constitution, qui ne prend pas en considération cette communauté des Tunisiens de l’étranger. Le plus drôle c’est que nous, ‘zimigris’, rapportons à l’État plus que le tourisme. Avec ça nous sommes considérés comme des Tunisiens de seconde zone », s’agace Yacine, patron artisan dans le bâtiment dans la Drôme, en France. Les anciens dirigeants, ministres comme imams, sont également interdits de course électorale.
À peine publiée, la nouvelle loi électorale est déjà contestée. Elle apporte pourtant quelques améliorations réelles, par exemple en introduisant une volonté louable de transparence quant au parcours des candidats, qui devront produire leur attestation fiscale et leur bulletin numéro 3 pour prouver qu’ils n’ont pas d’empêchement d’ordre juridique. Elle précise aussi les modalités de la procédure de retrait de confiance en cas de manquement de l’élu à ses obligations. Des peines sont également prévues pour sanctionner quiconque tenterait d’entraver le scrutin ou recevrait des financements étrangers, perçus comme une ingérence dans les élections.
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