Bénin : Fadaïro et la fabrique des esprits

Dans son atelier, le plasticien de 65 ans continue d’explorer, avec l’humilité de l’apprenti, l’univers qui a fait de lui un maître. Rencontre.

Devant sa toile, Force et pouvoir. © Fiacre Vidjingninou pour J.A.

Devant sa toile, Force et pouvoir. © Fiacre Vidjingninou pour J.A.

Fiacre Vidjingninou

Publié le 12 avril 2013 Lecture : 3 minutes.

Bénin : la course contre la montre
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Bénin : la course contre la montre

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Entre deux jets de peinture sur la tapa (toile traditionnelle de raphia) qu’il a fixée à un chevalet à l’entrée de son atelier, les yeux mi-clos sous les premières lueurs du soleil et sous l’effet du doute qui, selon lui, doit toujours précéder le geste de l’artiste, Ludovic Fadaïro semble soucieux : « L’Afrique regorge de talents qui s’étouffent dans la médiocrité. Elle doit arrêter de s’ignorer et de les ignorer. » Puis il s’énerve en parlant de la création artistique au Bénin : « Il y en a de moins en moins, elle est pour beaucoup alimentaire et il n’y a plus d’émotion dans l’art. Notre pays a une grande histoire, mais rien n’est fait pour la promotion de la culture. Rien. Les politiciens n’y pensent même pas. Pourtant, pour nous qui n’avons ni pétrole ni or, c’est notre seule richesse, un facteur endogène de développement ! »

Après avoir vécu et travaillé trente ans en Côte d’Ivoire, à Bingerville, sur les bords de la lagune Ébrié, à quelques kilomètres d’Abidjan, le plasticien, 65 ans, est de retour dans son pays natal depuis neuf ans. Originaire de Zinvié (sud du Bénin), c’est au PK8, dans l’est de Cotonou, qu’il a installé son atelier. Ce qui n’empêche pas qu’on le rencontre régulièrement à Lomé, Bamako, Accra ou Ouagadougou. « Je me sens partout chez moi, je suis africain, c’est ma nationalité », lance-t-il. Derrière ses lunettes et son inoxydable sourire, « le Maître » est réputé rigoureux et exigeant, autant qu’il est ouvert à l’échange et prompt à la remise en question – sur son travail, sur l’art, sur la vie -, tel un perpétuel apprenti.

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Corps

Alors que, guitariste, il pensait faire carrière dans la musique, Ludovic Fadaïro a finalement étudié la peinture (à la Famous Artist School d’Amsterdam et aux Beaux-Arts de Montréal et de Paris). Et, depuis 1970, ses oeuvres font le tour du monde : Cotonou, Montréal, Abidjan, Bamako, Lomé, New York, Londres, Paris, Madrid, Barcelone, Varsovie, Atlanta… Il a rapidement tourné le dos aux techniques conventionnelles des écoles d’art pour inventer ses propres mélanges de couleurs, de matières et de matériaux, bruts ou élaborés, avec lesquels il explore les questions essentielles et universelles en tentant de leur donner corps.

Son utilisation de l’encre végétale et des pigments naturels, des matériaux de récupération (car selon lui « la matière ne meurt jamais, il suffit de lui redonner vie »), ses effets de patine, ses assin (totems) sur tapa ont été considérés comme des innovations inclassables. Aujourd’hui encore, il s’insurge contre ceux qui veulent catégoriser les oeuvres et leurs auteurs : « Tout le monde ne peut pas peindre de la même façon. Il faut arrêter de vouloir à tout prix canaliser ou réduire l’art à une technique. Je refuse qu’on le ghettoïse. »

Fadaïro n’a cessé d’évoluer et de prolonger son univers. Depuis les années 1990, il transpose les assin de ses toiles en sculptures, tels des fétiches bocio (statues reliées aux énergies des divinités, intermédiaires entre le monde visible et le monde spirituel dans la statuaire vaudoue). Parfois, ces sculptures peintes, faites de bois, de terre ou de carton, s’unissent à une peinture sur tapa pour former une composition mixte qu’il appelle « sculpeinture ».

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Communion

L’oeuvre est mystique, puissante, foisonnant de signes et de symboles. Elle est spirituelle sans être abstraite : la dureté ocre de la latérite gorge les couleurs de sens, l’artiste marie hier à aujourd’hui, l’esprit et les symboles à la matière, en totale communion. Une façon de résumer la maîtrise avec laquelle Fadaïro exprime dans son travail « ce qui n’est pas perceptible mais qui existe dans la permanence » et fait toucher la spiritualité dont il se réclame : le Fâ, la matrice religieuse du vaudou, qui donne et révèle le sens de chaque chose et de chaque être. Issu de la langue nagô (sous-groupe ethnique des Yoroubas, présent au Bénin et au Nigeria), fadaïro veut dire « qui vient du Fâ ».

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Depuis des années, l’artiste explore le thème de la « communion avec les habitants du vide ». Disposées comme dans une cour commune africaine, ces sculptures composent ainsi une installation de 51 pièces, dont chacune est inspirée d’une mort réelle : celle d’un ami, d’une chose. Il obtient un carrefour d’esprits et de forces. Une forêt sacrée. Pour Fadaïro, cette « communion avec les habitants du vide » est une recherche sur l’homme passé, sur son présent immédiat et son présent futur (pour lui, le futur lointain est inexistant). « Dans chaque élément qui existe, je cherche l’infini, explique-t-il. Dans chacune des choses et chacun des êtres que je rencontre, je cherche l’essentiel, sa lumière. » Fiat lux.

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