Bobi Wine, militant ougandais sur grand écran
Consacré à l’opposant à Yoweri Museveni, le film documentaire de Christopher Sharp et Moses Bwayo était présenté à la Mostra de Venise.
Bobi Wine est sans doute l’un des premiers Ougandais à fouler le tapis rouge de la Mostra de Venise, mais l’exercice ne semble pas vraiment l’impressionner. Le chanteur et militant ougandais qui s’est présenté aux élections présidentielles de 2021 contre le président Yoweri Museveni, au pouvoir depuis 36 ans, accompagnait le film Bobi Wine: Ghetto President, un documentaire sur sa transition vers la vie politique et son engagement pour rétablir la démocratie en Ouganda.
Diffusion sur National Geographic
Quelques jours après sa projection en avant-première, le film, présenté hors compétition, apparaît déjà promis à une belle tournée internationale, avec de nombreuses sélections dans des festivals prestigieux et l’appui de la chaîne National Geographic, qui a acquis les droits de distribution du film. Privé de toute possibilité d’apparition publique dans son pays, la voix puissante de Wine résonnera dans les salles obscures du monde entier dans les prochains mois.
Lors de la conférence de presse de la Biennale de Venise, le coréalisateur du film Christopher Sharp n’a pas mâché ses mots, insistant sur le rôle de l’industrie du cinéma pour relayer le combat de Wine. « Les pays occidentaux et du Nord global se targuent de respecter les valeurs démocratiques, a-t-il dit. Cependant, quand quelqu’un comme Bobi Wine se dresse fièrement pour les représenter, il est très décevant de voir la communauté politique internationale, un mois après l’élection présidentielle et tout en critiquant les irrégularités de la campagne, aller faire des faveurs à Museveni et signer des accords militaires. Je suis ravi que de nombreux journalistes internationaux et un festival comme celui de Venise soutiennent Bobi dans un combat que nous savons être juste. »
Après la tournée triomphante de deux films couronnés au festival de Sundance – Président de Camilla Nielsson, qui suit le candidat Nelson Chamisa dans son combat contre Emmerson Mnangagwa aux élections présidentielles zimbabwéennes ; Softie, le film de Sam Soko sur l’engagement du militant Boniface Softie au Kenya –, on ne peut que se réjouir de voir de plus en plus de documentaires politiques consacrés à l’Afrique. Même si Sharp n’oublie pas de mentionner les risques qu’ont pris les équipes de tournage sur le terrain – son coréalisateur, Moses Bwayo, a reçu une balle policière dans la tête en 2020 et a été emprisonné pour « réunion illicite » lorsqu’il filmait une séquence avec Bobi Wine.
Sankara, Malcolm X, Mandela
Pendant près de deux heures, le film nous plonge donc dans le quotidien de Bobi Wine, l’homme public proche des communautés périphériques où il a grandi, « le ghetto », tout en s’attachant à l’impact de l’ascension fulgurante du rappeur sur sa famille. De lui, on pourrait dire qu’il a la stature d’un Thomas Sankara, la rhétorique sans demi-mesure d’un Malcolm X et la capacité d’utiliser ses chansons comme des armes à la manière de la chanteuse sud-africaine Miriam Makeba.
Au moment de son emprisonnement, après des accusations orchestrées de toute pièce pour l’empêcher de s’exprimer, une campagne internationale de soutien #FreeBobiWine a fait penser aux demandes de libération de Nelson Mandela. Les références ne manquent donc pas pour élever Bobi Wine en symbole du renouveau politique, héritier des figures du continent africain et de sa diaspora dans leurs luttes pour promouvoir la justice et l’égalité sociale.
C’est en affichant fièrement le béret rouge de son mouvement » People Power, Our Power » que Wine a ouvert sa conférence de presse avec beaucoup de gravité. « Je ne sais pas exactement ce que je dois dire, si ce n’est que la violence et l’impunité ne sont pas montrées au maximum dans le film », a-t-il soutenu, avant d’expliquer que le producteur lui avait dit que l’on ne pouvait pas faire un documentaire en ne parlant que de la violence. Le film ne tombe pas non plus dans l’écueil de faire de Bobi Wine un héros-victime. Les réalisateurs insistent davantage sur sa capacité à s’entourer et à collaborer pour créer une force d’opposition en lien direct avec la société civile, et ce, malgré la pandémie et les nombreuses stratégies du gouvernement pour couper les connexions internet et museler les réseaux sociaux.
Tentatives d’empoisonnement, agressions…
Conscient de l’impact que peut avoir le film sur son engagement, Bobi Wine reste fidèle à sa rhétorique en passant du « je » au « nous » dans toutes ses interventions. Le festival devient la nouvelle plateforme de son message politique. Le résistant au service du peuple et porté par le peuple explique : « Je continue d’avoir peur, mais il n’y a pas d’autres options possibles. J’aurais pu faire comme d’autres personnalités et artistes qui vivent tranquillement en Ouganda en fermant les yeux et en espérant qu’un miracle se produise. Pour moi, le plus grand danger, ce serait de ne rien faire comme eux, mais je représente la voix du peuple. Il n’y a pas que moi que l’on essaye faire taire, de nombreuses personnes sont harcelées, torturées, envoyées en prison et certaines ont même disparu aujourd’hui. »
Comme une évidence visuelle des intimidations que le militant reçoit au quotidien, le film montre sans filtre les agressions physiques, les tentatives d’empoisonnement et l’assassinat brutal de son chauffeur en 2018, qui l’ont forcé à se cacher dans un hôtel pour sauver sa vie. Pour expliquer ces partis pris radicaux, le réalisateur Christopher Sharp salue le généreux accès que Wine a accordé aux équipes de tournage : « Nous avons été épatés par [s]a volonté de ne rien nous cacher et nous étions persuadés de nombreuses fois qu’il ne survivrait pas au tournage. Il n’a jamais arrêté de se battre et il est toujours là, contrairement à d’autres activistes ougandais qui ont perdu leur vie dans la lutte. »
Droits LGBT
En 2019, de nombreuses organisations internationales avaient, elles aussi, lancé une grande campagne d’alerte après l’assassinat de l’activiste LGBT Brian Wasswa et les projets de lois visant à infliger la peine de mort aux couples de même sexe. À cet égard, le film documentaire Leaving Africa, de la réalisatrice finlandaise Iiris Härmä, avait mis en lumière les pressions reçues par les militantes Catherine Otthieno et Riita Kujala, accusées de promouvoir l’homosexualité dans leur campagne d’éducation sexuelle autour de Kampala. Dans une interview diffusée dans le film, le président Museveni affirme que Wine représente un danger, car il défend les droits LGBT et reçoit un large soutien de cette communauté.
Bien que le film révèle aussi Wine dans des moments de découragements, ces derniers ne durent néanmoins jamais très longtemps. Pendant les séjours de celui-ci en prison ou à l’hôpital, sa femme, Barbara Itungo Kyagulanyi, prend le relais du récit sans jamais douter de la force et de la volonté de son mari.
Nouvelle génération ?
À la Mostra de Venise, Bobi Wine: Ghetto President a reçu un bel accueil critique. Ce n’était malheureusement que l’un des rares films dont le récit se déroule sur le continent africain. Reste qu’en insistant sur les figures de résistance plutôt que sur les interventions du président Yoweri Museveni, le film se place dans la lignée de ces récits qui montrent une soif de démocratie et souligne le courage de celles et ceux qui vont jusqu’à donner leur vie pour faire basculer les régimes autoritaires.
Dans une interview pour la chaine Al-Jazeera reproduite dans le documentaire, Bobi Wine ironise sur Museveni qui en 1986, à son âge, avait, lui aussi, été décrit comme la nouvelle génération « espoir » de leaders africains. Si Wine réussit un jour à se hisser au sommet du pouvoir, il soutient qu’il ne gouvernera pas seul et n’oubliera pas ses origines. Comme il le chante dans un de ses textes : « Nous sommes l’une des populations les plus jeunes au monde, nous sommes les leaders du futur, si vous voyez ce que nous sommes et où nous en sommes, nous ne sommes déjà plus là où l’on était censés être. »
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