Politique africaine : Boni Yayi, l’ovni béninois
Réélu il y a deux ans pour un second quinquennat, dont il a clairement fait savoir que ce serait le dernier, Boni Yayi a un profil atypique parmi les chefs d’État du continent et ne vise qu’un objectif d’ici à 2016 : redresser le pays. Parviendra-t-il à le débarrasser de ses pesanteurs administratives et de ses turbulences politico-judiciaires ?
Bénin : la course contre la montre
D’un côté la mer, de l’autre la lagune. Entre les deux, l’étuve. En cette soirée de mars, l’orage qui couve charge d’électricité l’atmosphère de Cotonou. Pas une once de vent pour agiter les feuilles des palmiers. En attendant la pluie libératrice, un groupe d’amis est installé à la terrasse d’un troquet de Cadjehoun, quartier populaire de la capitale économique, à quelques mètres seulement de la résidence personnelle du chef de l’État, Thomas Boni Yayi, qu’il n’a pas quittée malgré le prestige de sa fonction. Commerçants, chefs d’entreprise ou jeunes débrouillards, ces Cotonois refont le monde presque tous les soirs devant un soda ou une bière fraîche. Et au Bénin, les sujets ne manquent pas.
À commencer par l’arrestation, fin février, du colonel de gendarmerie Pamphile Zomahoun et de Johannes Dagnon, accusés de tentative d’atteinte à la sûreté intérieure. « Des gens qu’on a découverts dans les journaux », remarque Aminou, le commerçant, avec une moue dubitative. « De la poudre aux yeux ! lâche Philippe, l’entrepreneur, moins frileux. Comme par hasard, ils sont liés à Patrice Talon, qui est en bisbille avec le président. »
Talon
C’est évidemment le détail qui tue de ce feuilleton politico-judiciaire. Déjà soupçonné d’avoir tenté d’empoisonner le président en octobre, Patrice Talon, homme d’affaires prospère réfugié en France, est sous le coup d’un second mandat d’arrêt international, suspecté cette fois d’être le financier du putsch avorté. « Tout ça, c’est un règlement de comptes entre gens de la haute, s’exaspère Philippe. Et de la poudre aux yeux pour nous faire oublier les vrais problèmes. On attend toujours que notre vie s’améliore. » C’est justement là le programme sur lequel le candidat Boni Yayi a été réélu dès le premier tour de la présidentielle de 2011, avec 53 % des voix.
« L’économie du Bénin repose sur le port autonome de Cotonou et sur le coton, qui influent directement sur le niveau de vie des Béninois, explique Marcel de Souza, le ministre du Développement, de l’Analyse économique et de la Prospective. Quand le port et le coton vont bien, le niveau de vie monte. À l’inverse, quand leurs résultats baissent, le niveau de vie s’en ressent aussitôt. » Las, les efforts et les grandes réformes engagées par le chef de l’État n’ont toujours pas produit les effets escomptés. Car outre les tentatives d’empoisonnement et de déstabilisation du régime dont est accusé Patrice Talon, l’homme était aussi au coeur de l’économie du pays via le Programme de vérification des importations (PVI) au port de Cotonou, et l’Association interprofessionnelle du coton. Ces deux contrats remis en question, c’est l’État qui, depuis un an, a repris en main la gestion des activités portuaires et de la filière coton.
« Pathétique, s’emporte un vieux briscard de la politique. Tout le pays est pris en otage par le drame politico-judiciaire qui se joue entre le chef de l’État et son ancien ami. Personne ne veut se rendre compte qu’il alimente des tensions communautaires. » Car ils sont nombreux ceux qui n’y voient qu’un affrontement pour la succession de Boni Yayi le Nordiste, décidé à couper les ailes à tout candidat adoubé par Talon le Sudiste. Le politologue Mathias Hounkpè s’inquiète lui aussi de la régionalisation des débats : « Le facteur région a toujours existé au Bénin, reconnaît-il, mais cela n’a jamais été aussi prégnant. Désormais, les ministres sont envoyés à la rencontre des populations en fonction de leur région d’origine et non de leur portefeuille. »
Chantiers
La vitrine démocratique serait-elle en train de se craqueler ? Aminou et ses amis ne veulent pas y croire. « Les politiques auront beau s’exciter, ils ne pourront jamais attiser de tensions ethniques. S’il y a une chose que nous avons comprise, c’est qu’ici les hommes politiques n’ont qu’un objectif : conserver leurs privilèges. » Un constat qui a été pour beaucoup dans l’élection – et la réélection – de l’ovni Boni Yayi. Banquier, sans étiquette, n’appartenant à aucun cercle, il a mené une campagne tranquille pendant que ses adversaires sudistes pinaillaient pour affirmer leur leadership.
Et Dieu sait que Boni Yayi, qui achève son second et dernier mandat, a bien l’intention de mener ses projets à terme. En cours : la réforme de la Constitution, l’installation d’une Haute Cour de justice, la diversification de l’agriculture, sans parler des chantiers tels que l’extension de l’aéroport de Cotonou, la réhabilitation des chemins de fer vers le Niger, le développement du réseau routier, etc. « Même si Yayi n’a pas atteint tous ces objectifs, il n’aura pas à rougir de son bilan », affirme Aminou. « Tu crois ? rétorque Philippe, dubitatif. Ça fait beaucoup de chantiers à terminer d’ici à 2016… » La rue est brusquement plongée dans le noir. C’est l’une des coupures d’électricité, quotidiennes à Cotonou depuis le début de la petite saison sèche. Un chantier de plus à ajouter à la longue liste.
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