Chine : la nouvelle frontière de Xi Jinping

La Russie, les sommets des Brics, l’Afrique : les étapes de la première tournée à l’étranger du nouveau président chinois Xi Jinping donnent une idée assez précise de ses priorités.

Le sommet des Brics, le 27 mars à Pretoria. © AFP

Le sommet des Brics, le 27 mars à Pretoria. © AFP

Publié le 8 avril 2013 Lecture : 7 minutes.

Grand artisan de la libéralisation de l’économie chinoise, Deng Xiaoping avait, en 1979, choisi les États-Unis pour son premier voyage à l’étranger en tant que chef de l’État, n’hésitant pas à se coiffer d’un Stetson pour bien marquer la rupture de son pays avec l’Union soviétique. Trois décennies plus tard, la Russie est redevenue un partenaire politique et économique majeur. Le 22 mars, accueilli en grande pompe à Moscou par Vladimir Poutine, Xi Jinping a confié que les résultats de cette visite de trois jours, la première depuis sa prise de fonctions, avaient « dépassé toutes ses espérances ».

Ce choix de Moscou ne doit évidemment rien au hasard : c’était un signal à l’adresse des États-Unis. Chine et Russie ont en effet des positions identiques sur nombre de sujets. Elles partagent surtout une commune volonté de peser sur la scène internationale face à l’Occident. Disposant l’une et l’autre d’un droit de veto au conseil de sécurité de l’ONU, elles en ont par exemple fait usage à trois reprises pour empêcher l’adoption de résolutions condamnant le gouvernement syrien. « Nous devons respecter le droit de chaque pays à choisir sa voie en toute indépendance et nous opposer aux ingérences dans les affaires intérieures des autres États », a estimé Xi devant des étudiants russes.

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Dans un contexte de tensions avec le Japon et la Corée du Sud et de concurrence avec l’Inde, trois alliés des États-Unis, l’alliance russe est pour la Chine une nécessité. Les relations avec les États-Unis sont glaciales depuis des mois, et la récente visite à Pékin de Jacob Lew, le secrétaire américain au Trésor, n’a pas suffi à les réchauffer. Les deux superpuissances sont à la fois rivales et interdépendantes : les États-Unis sont le premier partenaire commercial de la Chine, laquelle possède près d’un tiers de la dette extérieure américaine.

Bien entendu, les questions énergétiques jouent aussi leur rôle – capital. À Moscou, Xi a signé une trentaine de contrats pétroliers et gaziers. Il y a un an, Poutine avait souhaité « prendre le vent chinois dans la voile de son économie ». Pour ce qui concerne les énergies fossiles, son pays est aujourd’hui le premier fournisseur de la Chine, qui a fait le choix stratégique de s’affranchir, au moins en partie, de sa dépendance à l’égard des pays du Golfe et du continent africain.

"Soft Power"

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Après la Russie, Xi Jinping a mis le cap au sud. Depuis 2009, la Chine est le premier partenaire commercial de l’Afrique (la valeur des échanges a atteint 154 milliards d’euros l’an dernier), tandis qu’entre 1 et 2 millions de ses ressortissants s’y sont établis. Pour elle, l’Afrique est à la fois un marché en plein essor, une colossale réserve de ressources naturelles, et le terrain privilégié de l’affirmation de sa puissance. Mais elle doit pour cela développer son soft power, explique Lu Shaye, directeur général du département Afrique du ministère des Affaires étrangères, dans le journal en ligne Xinhuanet. Autrement dit : « Favoriser les échanges humains aidera Africains et Chinois à mieux communiquer. »

Xi impose un style nouveau. Mais sur le fond rien n’a changé.

La visite de Xi Jinping intervient en effet au moment où la Chine est l’objet de vives critiques sur le continent. La plus percutante est venue de Lamido Sanusi, le directeur de la Banque centrale du Nigeria, qui, dans le Financial Times, juge sa politique « néocoloniale », fustige la façon dont ses entreprises accaparent les ressources de l’Afrique et contribuent à affaiblir ses industries manufacturières. Un gros pavé dans la mare. Ou dans le marigot ! Lors d’un forum à Pékin, Zhai Jun, le vice-ministre des Affaires étrangères, a été contraint de concéder que le développement du commerce entre les deux parties s’était parfois accompagné d’une « aggravation des souffrances ». « Capturer les poissons en vidant l’étang est contraire à l’éthique chinoise », a-t-il ajouté, faisant allusion aux stratégies de profits à court terme de certaines entreprises chinoises. À ces dernières, il a fermement conseillé d’embaucher davantage de main-d’oeuvre locale et de respecter les normes en vigueur dans les pays où ils travaillent.

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Xi n’a pas ménagé ses efforts pour atténuer cette réputation de prédatrice que traîne souvent la Chine. Lors de son escale en Tanzanie, longtemps première destination de l’aide chinoise, il a souligné l’ancienneté des relations entre les deux pays. Dans les années 1970, à l’époque maoïste, Pékin n’avait-il pas financé et construit le chemin de fer Tazara (« liberté »), qui permit à la Zambie d’exporter son cuivre par la Tanzanie plutôt que par l’Afrique du Sud de l’apartheid ? Au-delà de l’Histoire et du symbole, ce pays dispose de très importantes ressources qui sont loin de laisser la Chine indifférente. Il en va de même du Congo-Brazzaville, dernière étape de cette tournée africaine, où, comme d’habitude, des contrats de type « construction contre matières premières » ont été négociés.

Alternative

À Durban, le dirigeant chinois a rejoint ses partenaires du club des pays très peuplés dont l’économie connaît une forte croissance, les fameux Brics (pour Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Depuis 2003, ces derniers ont l’ambition de constituer une alliance alternative dans un monde « postoccidental ». Parmi leurs grands chantiers, la création d’une banque de développement censée concurrencer la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, jugés trop proches des intérêts occidentaux. Mais le sommet des Brics est aussi le laboratoire des « nouvelles formes de relations avec tous les types de pouvoir » que la Chine entend développer, analyse Ruan Zongze, directeur de l’Institut chinois d’études internationales, à Pékin. C’est en Afrique que les cinq puissances en devenir coopèrent – et se font concurrence – le plus volontiers.

L’arrivée d’une nouvelle équipe à la tête de l’État chinois va-t-elle se traduire par un changement radical en matière de politique étrangère ? Rien n’est moins sûr. Xi Jinping a certes affiché un style nouveau, fait de proximité et de pragmatisme, mais son discours s’inscrit dans le droit fil de celui de ses prédécesseurs. « En dépit d’un assouplissement partiel de ses principes, la Chine reste attachée à la défense du régime de parti unique et opposée à toute ingérence – qu’elle qualifie d’"occidentale" – dans ses affaires venant de forces favorables à la démocratie », analyse Jean-Pierre Cabestan, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), à Paris.

Attentes

Une position de plus en plus difficile à tenir pour la deuxième puissance économique mondiale, qui cristallise désormais de fortes attentes. Hu Jintao, le prédécesseur de Xi, fut le premier dirigeant chinois à administrer un État devenu pleinement membre du système international depuis (notamment) son admission en 2001 au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Xi Jinping devra quant à lui faire franchir à son pays une nouvelle étape : rendre sa politique étrangère moins agressive et plus lisible.

« La Chine, poursuit Cabestan, risque de décevoir ceux qui veulent croire qu’elle est devenue une puissance globale et, surtout, responsable. En réalité, c’est une grande puissance incomplète et, à bien des égards, antioccidentale, principalement préoccupée par son propre développement et par ses problèmes intérieurs, notamment la survie du régime en place. »

Elle a encore besoin de temps pour s’adapter à sa nouvelle position sur l’échiquier planétaire et pour digérer les changements économiques et sociaux radicaux dont elle a été le théâtre depuis quelques décennies. Les problèmes intérieurs auxquels la Chine est confrontée – corruption endémique au sein du Parti communiste (le nouveau gouvernement a commencé à s’y attaquer), ralentissement de la croissance, mouvements sociaux récurrents – risquent de retarder l’inflexion de sa politique étrangère tant attendue par le reste du monde. 

L’éclosion de la fée pivoine

D’épouses de dirigeants chinois, on ne connaissait guère jusqu’ici – au moins à l’étranger – que la terrible Jiang Qing, la dernière de Mao, actrice peu farouche et dévorée d’ambition devenue la sanglante héroïne de la Révolution culturelle. Le dernier rôle de « l’impératrice rouge », chienne écumante de rage défiant ses accusateurs pendant le procès de la Bande des quatre, fait encore, plus de trente ans après, froid dans le dos.

Rien de tel, qu’on se rassure, avec Peng Liyuan. Mariée au nouveau numéro un chinois depuis plus de vingt ans, générale de l’Armée rouge et star vaguement kitch de la variété chinoise – elle était jusqu’à tout récemment plus connue dans son pays que son mari -, elle a tout compris de la communication à l’occidentale. Ses traits harmonieux sur lesquels le temps paraît ne pas avoir de prise – elle a 50 ans – sont un peu le symbole du nouveau soft power chinois. Le 23 mars, dans la capitale russe, sa descente de l’avion d’Air China au bras de son mari a aussitôt enflammé la blogosphère. Mon dieu, mon dieu, qui est donc le géniaaaaal créateur de son sac à main ?! (Renseignement pris, il s’agirait d’une certaine Ma Ke, jeune designer chinoise formée à Londres.) Bref, de Moscou à Brazzaville en passant par Dar es-Salaam, Durban et Pretoria, la vraie vedette de la première tournée à l’étranger de Xi Jinping, ce fut la « fée pivoine », comme la surnomment ses innombrables fans chinois.J-M.A.

Politique étrangère : qui fait quoi ?

Au sein du pouvoir chinois, plusieurs organes se partagent la conduite des affaires étrangères. Xi Jinping dirige la commission spécialisée du Parti communiste. Composée d’un petit nombre de dirigeants triés sur le volet, celle-ci définit notamment le calendrier international de la Chine. Elle compte dans ses rangs le chef du gouvernement (Li Keqiang) et le ministre de la Défense, le général Chang Wanquan, qui est aussi commandant en chef de l’Armée populaire de libération. Au poste clé de ministre des Affaires étrangères, Wang Yi, ancien ambassadeur aux États-Unis et au Japon et fin connaisseur de Taiwan, a succédé à Yang Jiechi. Nommé conseiller d’État chargé des affaires étrangères, ce dernier travaille en étroite collaboration avec le chef de l’État. Enfin, les dirigeants des grandes entreprises publiques et des hautes instances du Parti jouent un rôle important dans l’élaboration de la politique étrangère de la Chine. C.A.

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