Mali : le saut dans l’inconnu
Les Français ne veulent pas s’éterniser dans le Nord et, à New York et à Paris, on pense déjà à l’avenir. Qui prendra le relais pour sécuriser le territoire ? L’armée malienne en est incapable, et les Casques bleus, seuls, ne suffiront pas.
Abou Zeid ? Mort. Mokhtar Belmokhtar ? Sans doute mort lui aussi. La vallée de l’Amettetaï, sanctuaire d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) ? « Nettoyé », et il en sera bientôt de même pour le reste de l’Adrar des Ifoghas. Gao, Tombouctou et Kidal, encore occupés par les jihadistes il y a trois mois ? Libérés. Alors certes, le travail n’est pas fini. Il reste de nombreuses poches de résistance. Mais à Paris, où l’on veut à tout prix éviter l’enlisement, on estime que le plus gros est fait. Et, moins de trois mois après le début de l’opération Serval, on pense déjà « retrait ».
À Bamako et dans d’autres capitales africaines, certains s’en inquiètent. Qu’y aura-t-il après Serval ? Une bonne dose d’inconnu, des Casques bleus, certainement, et la France, toujours, mais de manière moins visible. Avec l’approbation de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), les Nations unies étudient donc la possibilité de suppléer les Français. La décision pourrait être prise à la mi-avril, et la relève s’effectuer dès juillet, en pleine saison des pluies. En attendant, un premier retrait symbolique de quelques-uns des 4 000 soldats français pourrait être opéré dès avril. Trois mois plus tard, il n’en resterait que 2 000. « Le dégraissage sera progressif », indique une source au sein de l’état-major français.
Dans un rapport présenté au Conseil de sécurité, le 26 mars, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, propose deux scénarios. Le premier consisterait à renforcer la mission politique de l’ONU tout en laissant à la Misma le soin d’assurer la sécurité aux côtés des soldats maliens. La force panafricaine aurait alors un rôle « offensif ». Mais cette option ne convainc pas grand monde.
Ban Ki-moon est beaucoup plus disert sur le second scénario, qui, selon une source diplomatique européenne en poste à New York, a la faveur de son cabinet. Il s’agirait de mettre sur pied une opération de maintien de la paix (OMP), qui serait secondée par une « force parallèle » en mesure de mener des opérations contre-terroristes. En d’autres termes : une armée classique de Casques bleus appuyée par des forces spéciales issues d’une seule et même nation.
Solides
La majeure partie des troupes qui composent aujourd’hui la Misma serait donc transférée dans une mission de stabilisation de l’ONU. Ban Ki-moon, dans son rapport, table sur une force de 11 200 soldats et sur l’envoi de 1 440 policiers.
À Bamako et dans d’autres capitales africaines, certains s’inquiètent. Qu’y aura-t-il après Serval ?
La Misma compte aujourd’hui près de 6 300 soldats, Tchadiens compris (ils sont 2 250). Pour les renforcer, les Ouest-Africains se sont déjà engagés à fournir des troupes supplémentaires : les bataillons devraient passer de 600 à 850 hommes. D’autres pays africains, comme la Mauritanie et le Burundi, pourraient y participer. L’Europe du Nord pourrait également être mise à contribution. Le génie lourd devrait être fourni par l’Europe, et l’appui aérien (des hélicoptères plus que des avions de chasse) par la France. La majorité des troupes serait envoyée dans le Nord, et la base logistique pourrait se situer à Gao ou à Sévaré. Trois cents à quatre cents agents de renseignements seraient en outre répartis dans tout le pays. Il n’y aurait à Bamako qu’une présence limitée.
Dans ce schéma, trois pays joueraient un rôle majeur : le Tchad, le Niger et la Mauritanie. Les armées de ces pays, concernés au premier chef par la menace jihadiste, sont réputées solides et ont l’expérience des combats en milieux désertiques. Les Tchadiens ont fait leurs preuves aux côtés des Français dans les Ifoghas ; ils en ont payé le prix en perdant une trentaine de leurs hommes sur le terrain. Quant aux Nigériens, ils ont su tenir Gao ces dernières semaines. « Toutes les infiltrations réussies l’ont été dans les zones contrôlées par les Maliens », souligne un haut responsable à Niamey. Preuve de leur efficacité : depuis quelques jours, les Nigériens sont chargés de sécuriser les régions d’Ansongo et de Ménaka, particulièrement exposées. Quant aux Mauritaniens, « ils se préparent », indique une source sécuritaire ouest-africaine.
Hostile
Mais ces trois armées ne suffiront pas. Fin mars, la plupart des troupes de la Misma n’avaient toujours pas franchi l’ancienne zone de démarcation et stationnaient toujours dans le Sud, à Markala, Diabali, San… Longtemps, seuls les Tchadiens et les Nigériens ont livré des combats. Récemment, les Sénégalais sont entrés en « zone hostile », à Gao.
Cette avancée à vitesse réduite s’explique par le manque de moyens de projection des troupes africaines (ne serait-ce que de pick-up), par l’insuffisance de leur équipement en armes, en rations, en chaussures, mais aussi par la crainte de leurs chefs d’envoyer ces hommes à la mort. « Ils ont beau être parmi les meilleurs dans leur pays, peu sont formés pour faire face à une guérilla », explique un officier français. D’où la nécessité d’adjoindre aux futurs Casques bleus une « force parallèle » capable de répondre aux attaques terroristes et de mener des combats d’envergure… Jamais, dans son rapport, le secrétaire général ne cite la France, mais c’est tout comme.
Quelle base ?
Paris est prêt à assurer cette mission, à condition qu’il existe, selon les mots d’un officier de haut rang, « un lien sacré » entre la future OMP et cette force parallèle. Comprendre : aucune tergiversation lorsqu’il sera fait appel à cette force. Dans son rapport, Ban Ki-moon évoque « une coordination étroite », tout en défendant « une distinction claire entre la force de maintien de la paix et les activités contre-terroristes de la force parallèle ». « Il ne doit y avoir aucune ambiguïté sur ce point », souligne un diplomate à New York. « Nous avons déjà expérimenté ce type de schéma en Côte d’Ivoire », indique un officier français. Quand la mission des Nations unies a été mise en place en 2004, la force française Licorne, qui était intervenue deux ans plus tôt, a conservé son autonomie et sa liberté d’action tout en travaillant en étroite coordination avec les Casques bleus.
Tout semble déjà planifié, mais rien n’est encore fait. Et les discussions au Conseil de sécurité pourraient être houleuses
Serval, Licorne, même destin ? Pas tout à fait. Onze ans après, il reste 450 militaires français, des avions et des hélicoptères à Abidjan. Or la France ne veut pas rester au Mali. Selon plusieurs sources, le QG de la future force parallèle devrait se situer dans un pays voisin et, entre Abidjan, Dakar et N’Djamena, l’armée française ne manque pas de points de chute. Depuis plusieurs années, le Commandement des opérations spéciales (COS), une force tout indiquée pour mener les opérations d’urgence, compte même des hommes à Ouagadougou, Niamey et Nouakchott. La capitale nigérienne, qui abrite déjà des drones français et américains, est citée comme une base idéale.
Au casse-pipe
Tout semble donc déjà planifié, mais rien n’est encore fait. Les discussions au Conseil de sécurité pourraient être houleuses. Pas question, en effet, d’envoyer les Casques bleus, qui seront des cibles privilégiées pour les kamikazes, au casse-pipe. « Il faudra les équiper en technologies modernes, et cela coûtera cher », note un diplomate à New York.
Et puis, il y a toutes les questions qui restent sans réponse. Que faire du capitaine Sanogo, dont un rapport confidentiel de l’ONU rappelle le pouvoir de nuisance ? Comment réagir si le processus électoral prend du retard, comme Ban Ki-moon semble le craindre (« les conditions ne sont pas mûres pour la tenue dans le calme d’élections libres, crédibles et paisibles », écrit-il) ? Que faire de l’armée malienne, qualifiée de « brocante » par un officier français ? Elle ne compte pas plus de 2 000 hommes opérationnels et elle est accusée d’exactions contre les Arabes et les Touaregs. L’Union européenne doit former quatre bataillons de 850 hommes, mais cela prendra du temps (au minimum quinze mois). Enfin, comment gérer la question de l’irrédentisme touareg ? Pour l’heure, Kidal et Tessalit sont tenus avec l’assentiment de la France par le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Mais que se passera-t-il quand les Français quitteront les lieux ? « Si l’armée malienne approche, nous tirons », affirme un cadre du MNLA à Kidal.
Inénarrable Sanogo
« De quoi parlez-vous ? J’ai sauvé le pays ! » Un an après le coup d’État qui a précipité l’effondrement du Mali, Amadou Haya Sanogo ne voit toujours pas où est le problème. Interrogé par Der Spiegel (l’interview a été mise en ligne sur le site de l’hebdomadaire allemand le 26 mars), le capitaine putschiste explique qu’il a sauvé son pays de la « ruine ». D’ailleurs, continue-t-il, « coup d’État n’est pas le bon mot. Je préfère parler d’une opération médicale nécessaire. L’ancien président, Amadou Toumani Touré, ne voulait pas reconnaître que le pays était malade et qu’il avait besoin de soins. Mais un patient qui refuse de se soigner est condamné ! C’est ce qui s’est passé au Mali. Le régime était malade […]. Je l’ai juste aidé à mourir un peu plus vite ». Sinon, Sanogo l’assure, il ne sera pas candidat à la présidentielle annoncée pour juillet. Acceptera-t-il le résultat des urnes ? « Si les élections sont bien menées, je resterai hors jeu. » À bon entendeur… M.G.-B.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Politique
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?
- Législatives au Sénégal : Pastef donné vainqueur
- Au Bénin, arrestation de l’ancien directeur de la police
- L’Algérie doit-elle avoir peur de Marco Rubio, le nouveau secrétaire d’État améric...
- Mali : les soutiens de la junte ripostent après les propos incendiaires de Choguel...