Bonnes feuilles : « Rwanda 1994, Noirs et Blancs menteurs »

Dans un ouvrage paru le 6 avril, « Rwanda 1994. Noirs et Blancs menteurs », Philippe Brewaeys revient sur les errements des investigations françaises sur le génocide rwandais. Extraits.

La couverture du livre de Philippe Brewaeys. © D.R.

La couverture du livre de Philippe Brewaeys. © D.R.

Publié le 8 avril 2013 Lecture : 3 minutes.

L’enquête du juge Bruguière aurait-elle pu prendre une autre tournure ? Deux notes de la DGSE indiquent en tout cas une autre direction. La première relate que […] « l’hypothèse selon laquelle ces roquettes pourraient avoir été tirées par des éléments armés du Front patriotique rwandais n’est pas satisfaisante. Pour pouvoir approcher de l’aéroport, il est nécessaire de franchir plusieurs barrages militaires et la zone est strictement interdite aux civils. Par ailleurs, des patrouilles de gendarmes et de soldats de la Minuar quadrillent le terrain […]. Guidés par les activistes de la CDR, munis de listes préétablies, les militaires de la garde présidentielle ont entrepris de massacrer tous les Tutsis ainsi que les Hutus originaires du Sud ou soutenant les partis d’opposition. Le plus souvent, ces liquidations n’épargnent ni les femmes, ni les enfants1 ». […]

0, 0);">>>  À lire sur ce sujet : le documentaire qui accuse le juge Bruguière

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En avril 1994, le SGRS, le service de renseignements militaire belge, disposait d’informations similaires à celles de la DGSE, lui empruntant même certains extraits dans son rapport : « Le tir responsable de l’accident (roquettes ou missiles sol-air ?) provenait de la bordure du camp militaire de Kanombe. Le tir semble avoir été exécuté par du personnel bien entraîné et se trouvant déjà dans le périmètre de sécurité de l’aéroport. Il apparaît très peu vraisemblable que des éléments du FPR aient pu avoir accès au périmètre de sécurité de l’aéroport (il fallait franchir plusieurs barrages, la zone était interdite aux civils et des patrouilles de l’Unamir[*] accompagnées de gendarmes rwandais contrôlaient le terrain). De plus, on voit mal, dans la situation qui prévalait avant l’attentat, quel bénéfice le FPR pouvait souhaiter tirer du chaos que cet attentat devait créer, alors que la majorité des observateurs s’accordait à considérer que les accords d’Arusha lui étaient déjà plus favorables qu’il ne devait l’espérer au départ […]. Nous pensons que les accusations qui rendent le FPR responsable de l’attentat sont peu vraisemblables2. »

Si leurs prémisses sont identiques, les enseignements tirés par les deux services sont diamétralement opposés. Pour le SGRS, « notre préférence va […] à l’explication attribuant l’attentat aux "faucons" du régime proches des beaux-frères du président et s’exprimant par la voie de la RTLM qu’ils contrôlaient3 ». Pour la DGSE par contre, « il faut exclure de cet attentat les éléments […] du "clan de l’Akazu" […]. Il est ainsi possible que l’attentat soit le fait d’une faction de l’armée, proche du parti Mouvement démocratique républicain (MDR) et majoritairement originaire du sud du pays4 ».

La Sûreté de l’État [belge] va dans le même sens que son homologue militaire, même si sa source est occasionnelle et non vérifiée. Parlant de l’association Amasasu comme de « la tendance dure hutue de l’armée rwandaise », la Sûreté précise que « cette association militaire n’acceptait en aucun cas les accords d’Arusha et aurait averti le président Habyarimana que le fait de [les] signer […] serait considéré comme un acte de faiblesse de sa part et qu’il payerait ce geste par sa mort […] ».

Le colonel Vincent reprend : « Le président se serait également fait accompagner par le président burundais pour éviter un attentat. Ma conviction intime est qu’il s’agit bien d’une affaire rwando-rwandaise destinée à couler les accords d’Arusha. Pour les extrémistes, ces accords signifiaient à moyen terme la prise de pouvoir par les Tutsis. Ils n’en voulaient absolument pas […]. Je confirme […] que le général Nsabimana et d’autres hauts militaires assuraient que cela ne se ferait pas et qu’ils étaient prêts à contrecarrer toute action du FPR. Sur l’aéroport, vers le 15 avril 1994, j’ai eu une discussion avec le major Mutabera qui m’a clairement dit qu’il fallait les comprendre, qu’ils devaient appliquer la "solution finale […]. Arusha représentait pour eux la prise de pouvoir par les Tutsis5". »

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1. Fiche particulière Rwanda, DGSE, 11 avril 1994.

2. Rapport du major Hock du SGRS, Situation Rwanda, 19 avril 1994.

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3. Rapport du major Hock du SGRS, Situation Rwanda, op. cit.

4. Fiche particulière Rwanda, DGSE, 11 avril 1994.

5. Audition du colonel André Vincent par l’auditorat militaire belge le 6 mai 1994.

* Appellation anglaise de la Minuar, la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda.

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