Centrafrique : Michel Djotodia, du maquis aux lambris
Il est le nouvel homme fort de la Centrafrique. Le rebelle dont Bozizé se méfiait le moins. Aussi rusé que mystérieux, le chef de la Séléka, Michel Djotodia, aura jusqu’au bout caché son jeu.
Dimanche 17 mars, une semaine avant la chute de François Bozizé. Alors que les rebelles de la Séléka lui ont lancé un ultimatum, le président envoie une délégation à Sibut pour essayer de les calmer. À sa tête, Michel Am Nondokro Djotodia, vice-Premier ministre et ministre de la Défense. Mauvais choix. Le chef de l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR) ne va rien négocier du tout. Bien au contraire, sous prétexte d’être « retenu » par ses frères de Sibut, il va organiser l’assaut final sur Bangui. « Pour Bozizé, c’était le plus modéré des rebelles. Mais Djotodia a bien caché son jeu, remarque un proche du président déchu. En fait, Djotodia est comme Bozizé. Un faux débonnaire. »
Michel Djotodia, 63 ans, est un homme mystérieux. Pourquoi ce goût du secret ? Sans doute à cause des épreuves de la vie. Son enfance, il la passe dans la Vakaga, l’une des provinces les plus reculées, dans l’extrême nord-est du pays, là où personne ne s’aventure, sauf des touristes en mal de sensations fortes et des commerçants soudanais à la recherche de diamants, de café et de bois. Sa chance, c’est que son père, un ancien combattant de l’armée française, ait pu quitter son village de Gordil pour vivre à Birao, le chef-lieu de la Vakaga, où il touchait les indemnités de la France.
École primaire à Birao, collège à Bambari… Le petit Djotodia fait de bonnes études. Première fêlure : le jeune musulman doit adopter un prénom chrétien, Michel. « En famille, on l’appelait Déya, du nom de son père, mais un enseignant chrétien a décidé qu’il s’appellerait Michel, raconte un de ses camarades de classe. Il est vrai qu’à l’époque tous les chefs de bureau à Bangui étaient chrétiens et que, sans ce prénom, il n’aurait sans doute pas pu décrocher une bourse pour aller à l’étranger. » Après la terminale, le jeune homme s’envole pour l’Union soviétique – la Russie d’aujourd’hui -, où il va vivre quelque quatorze années.
Déclic
À son retour, Djotodia partage sa vie entre la Vakaga, où il a fondé une famille et créé un commerce, et Bangui, où il occupe divers postes aux Finances et au Plan. Mais la politique s’empare de sa vie. « Chez nous, les Goulas, même si on n’a pas envie de faire de la politique, on y est forcé. Sinon, les gens de Bangui ne nous écoutent pas », explique l’un de ses cousins, qui dénonce le manque d’écoles et d’hôpitaux dans toute la moitié est du pays.
Seconde fêlure : aux législatives de 1998, Djotodia se présente à Birao 2 sous l’étiquette du Mouvement pour la démocratie et le développement (MDD), de l’ancien président David Dacko. Il réussit à mettre en ballottage le candidat du président Patassé mais est finalement battu.
Le déclic aura lieu à Nyala. Fonctionnaire polyglotte (anglais, arabe, français, russe), Djotodia demande à être nommé consul de Centrafrique dans ce chef-lieu du Sud-Darfour, au Soudan. A priori, le poste est insignifiant. Mais Nyala, c’est la porte du Darfour, des rebelles tchadiens et des diamantaires soudanais qui achètent les pierres de Centrafrique. Sous le régime Patassé, le poste lui échappe in extremis. Après l’arrivée au pouvoir de François Bozizé, en 2003, Djotodia se rapproche du nouveau régime par l’entremise de Lévy Yakité et de Jean Francis Bozizé, le fils du chef de l’État. Avant la présidentielle de 2005, il entre dans la Coordination des cadres pour le soutien à François Bozizé. Quelques semaines plus tard, il est nommé à Nyala.
Trou d’air
Est-il victime d’une note mensongère des services de renseignements centrafricains ? Ou commence-t-il vraiment à conspirer contre le régime ? En 2006, Djotodia apprend par ses amis soudanais que le président Bozizé réclame son retour manu militari à Bangui. Khartoum lui paye un billet d’avion pour Cotonou, au Bénin. C’est à ce moment-là que l’ex-consul crée l’UFDR, qui lance une première offensive fulgurante sur Birao. Après les frappes de l’armée française, c’est le trou d’air. En décembre 2006, il est arrêté au Bénin à la demande de la justice centrafricaine. Pendant dix-huit mois, le chef rebelle est incarcéré à la prison civile de Cotonou. Après sa libération, en juin 2008, rien ne semble s’arranger. Tandis qu’Abakar Sabone, son ex-compagnon de cellule, rentre à Bangui et rallie le régime, il végète quatre ans à Cotonou, où il fonde une nouvelle famille.
Mais son intransigeance finit par payer. En août 2012, à l’appel des « généraux » Noureddine Adam et Mohamed Dhaffane, il rejoint le maquis pour fonder la Séléka. Dans les unités rebelles, on respecte l’homme qui a refusé l’argent de Bangui. La preuve : le 17 mars dernier, près de Sibut, quand il passe en revue les troupes de la Séléka avant de lancer l’offensive finale sur Bangui, il pose sa main droite sur l’épaule de Zakaria Damane – signe, chez les rebelles, que son vieux compagnon de l’UFDR lui fait allégeance. Pour l’instant, dans les rangs de la Séléka, nul ne semble contester son autorité.
Que fera le nouvel homme fort de la Centrafrique lors de la présidentielle de 2016 ? « Vu son caractère, je doute qu’il s’efface, confie l’un de ses frères d’armes. Il n’aime pas beaucoup être contredit. Après une discussion un peu vive, il peut rester trois semaines sans vous adresser la parole. » Le 24 mars, au soir de sa victoire, quand un reporter de RFI lui a demandé combien de temps il comptait rester au pouvoir, sa réponse est partie dans un rire : « Nous venons seulement de commencer et vous me demandez combien de temps je vais rester ! »
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