Chinua Achebe : Un dictionnaire s’est refermé
Figure majeure de la littérature africaine qui défendait les valeurs du continent, l’écrivain nigérian s’est éteint le 21 mars à l’âge de 82 ans.
Il était dans sa 83e année. À l’école, on l’avait surnommé « Dictionnaire » parce qu’il adorait les livres, lui le fils d’un simple employé à la mission catholique de son village. L’histoire retiendra qu’il fut plus qu’un phénomène. Car jamais écrivain africain n’a connu un tel succès éditorial. Une oeuvre, une seule, a suffi pour qu’Albert Chinualumogu Achebe, dit Chinua Achebe, devienne immortel : Things Fall Apart (Le Monde s’effondre, éd. Présence africaine). Un titre tiré d’un poème du poète anglais William Butler Yeats.
Dans ce premier roman publié en 1958 chez Heinemann, le jeune Nigérian, qui travaillait jusque-là à la Nigerian Broadcasting Corporation, avant de se tourner résolument vers l’écriture, aborde la question de la perte des valeurs culturelles africaines dans un village ibo (dans l’est du Nigeria, sa région d’origine) au contact de la civilisation occidentale. À ce jour, le livre a été traduit dans une cinquantaine de langues à travers le monde. Déjà, l’auteur se montre audacieux en domestiquant la langue de Shakespeare, en l’assaisonnant de merveilles et de subtilités de sa langue maternelle. Une véritable création. Pour la seule version anglaise, 12 millions d’exemplaires ont été vendus depuis. Une réussite rare !
Rien, pourtant, dans son parcours, ne prédisposait Chinua Achebe à un tel destin. Il aurait pu, après ses études dans l’actuelle université d’Ibadan et une formation à la British Broadcasting Corporation (BBC), à Londres, se contenter de son travail de producteur à la radio nationale. Mais il avait en lui quelque chose d’autre qui le taraudait dans cette société coloniale où il était né. Une société devenue une caricature tragicomique d’un continent en perdition culturelle. Chinua Achebe n’idéalise pas le passé, il montre simplement comment les valeurs se perdent au contact de l’extérieur qui impose ses codes. Plus tard, l’écrivain ne ratera pas l’occasion de démolir un imposteur nommé Joseph Conrad qui, du haut de son arrogance, réduisait l’Afrique à une nuit sans fin prisonnière des ténèbres.
Dans ses autres oeuvres, le « docteur » Chinua Achebe ausculte le présent, avec ses réalités dures à avaler. L’oeuvre prend forme, se consolide, s’affirme au fil des ans. Roman, poésie, nouvelle, livre pour enfants, essai, autobiographie, il embrasse, dompte tout avec un bonheur contagieux. Mais quelque chose le ronge dans ce Nigeria des années 1966-1967 marqué par un coup d’État militaire, le massacre des Ibos et la proclamation de la sécession du Biafra, qu’il soutient, au point de devenir l’ambassadeur culturel du Biafra.
Depuis 1990, après un accident de voiture qui l’avait condamné à se déplacer en fauteuil roulant, l’écrivain nigérian vivait aux États-Unis. Il enseignait au Bard College, dans l’État de New York, avant de rejoindre, en 2009, la Brown University, dans l’État de Rhode Island. Logique avec lui-même, il avait refusé, en 2004, de recevoir la deuxième plus grande distinction du pays : la médaille de commandeur de l’Ordre de la République fédérale. Son dernier ouvrage est une autobiographie parue en 2012 chez Penguin et intitulée There Was a Country. A Personal History of Biafra.
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