L’Afrique du Nord selon Mélenchon
À peine rentré d’une tournée au Maghreb, le leader du Parti de gauche, natif de Tanger, rêve d’une vaste communauté euro-méditerranéenne. Et fustige pêle-mêle l’islamisme, le Front national et le social-libéralisme.
De retour d’une tournée dans trois pays du Maghreb, Jean-Luc Mélenchon reçoit. Dans ce petit café proche de la gare de l’Est, à Paris, le quatrième homme de l’élection présidentielle de 2012 (11,10 % des voix au premier tour) est chez lui, ou presque. En habitué, il lit Le Parisien au comptoir, commande un café et une eau gazeuse. Avec précision et clarté, il évoque sa vision d’une Euro-Méditerranée à venir. Toujours cinglant avec ses adversaires, il fustige, pêle-mêle, le Front national, les islamistes, le social-libéralisme et, de manière générale, les « bourgeois ». Ça fait beaucoup pour un seul homme ? Pas pour Jean-Luc Mélenchon, qui rentre survolté de ce voyage sur les terres de son enfance – il est né à Tanger, en 1951.
« Ça m’a fait le même effet que lorsque je vais en Amérique latine. À chaque fois que j’en reviens, je trouve mon pays tristounet. Quant à passer le Rhin, n’en parlons pas : l’Allemagne est une maison de retraite. »
Le ton est donné. L’opposant de gauche à François Hollande n’a pas dévié d’un iota de sa ligne, résumée par le titre d’un livre-programme paru en 2010 : Qu’ils s’en aillent tous ! De sa visite au Maghreb, mi-février, il conserve l’impression d’une bouffée de jeunesse. Des trois pays, c’est le Maroc, qu’il a quitté enfant, en 1962, qui lui a paru « le plus décontracté ».
Rien à voir
Oh ! certes, le pays a changé. Vite, beaucoup. Les lieux qu’il a connus jadis n’ont « plus rien à voir ». « Retrouver Tanger, ma ville, transformée en un Évry de 1 million d’habitants me fait l’effet d’un plat cuisiné qu’on vient de décongeler », commente-t-il, entre sarcasme et nostalgie. « Qu’on m’entende bien : tant mieux pour les Tangérois ! Mais est-ce vraiment mieux ? Je n’en suis pas si sûr. » D’où ses réserves sur les investissements français dans la région. « Personne, explique-t-il, ne propose de fermer l’usine Renault de Tanger, on ne peut retirer leur pain à des milliers de familles. Mais tout cela pose des problèmes auxquels il aurait fallu réfléchir avant. Renault fait du dumping social pour construire un modèle économique absurde : vendre à des chômeurs des voitures produites par des esclaves – entre guillemets, bien sûr. Ça ne marchera pas. »
Mine de rien, Mélenchon pèse ses mots et s’abstient de porter des jugements définitifs. Entre l’Europe et le Maghreb, il propose d’établir une communauté politique, comme il existe déjà une communauté humaine et économique. « Fondamentalisme religieux et fondamentalisme ethniciste sont les deux faces d’une même médaille, estime-t-il. Le FN et Ennahdha, c’est la même chose, la même frontière mentale. » En Tunisie, le coprésident du Front de gauche a donc testé sa stratégie de la confrontation, aux antipodes du front républicain prôné par certains. Il en est revenu avec une certitude solidement ancrée : il n’y a pas, d’un côté, l’extrême droite religieuse, et de l’autre, les modernistes. Cette division est « absurde ».
Terrain
Ce qui importe à ses yeux, c’est de reprendre langue avec le peuple, de se donner les moyens de la reconquête. Bref, « il faut assumer la fonction tribunitienne, comme le faisait Chokri Belaïd », le militant gauchiste tunisien assassiné en février. Aller au contact, sur le terrain… Mélenchon a beaucoup pratiqué ce sport. Notamment lors de sa campagne législative malheureuse face à Marine Le Pen, à Hénin-Beaumont (nord de la France), en juin 2012. « J’ai toujours été opposé aux alliances avec les islamistes », explique-t-il. En 1995, en Algérie, lors de l’adoption de la plateforme de Sant’Egidio, il était ainsi en complet désaccord avec son ami Hocine Aït Ahmed, le leader du Front des forces socialistes (FFS).
Il dénonce la versatilité des socialistes français. Un jour, Manuel Valls, le ministre de l’Intérieur, traite les islamistes de « fascistes ». Un autre, après l’assassinat de Chokri Belaïd, une délégation de parlementaires conduite par les anciens ministres Élisabeth Guigou et Jean Glavany demande audience à Rached Ghannouchi, le cheikh d’Ennahdha… Du chef des islamistes tunisiens, il pense que c’est un « adversaire absolu », qu’il convient de combattre politiquement, par des idées et des bulletins de vote. La visite de courtoisie faite à ce « loup qui s’avance dans la peau d’un mouton » était, à ses yeux, « une faute ».
Vraies gens
Lui, l’homme du discours du Prado, à Marseille, qui, en avril 2012, fit vibrer des milliers d’« Euro-Maghrébins », fustige le décalage entre les représentations politiques et la réalité sociale. Ce qu’il veut, c’est « mettre en place une grande et belle et généreuse machine à faire France de tout bois », face aux tenants d’une nation recroquevillée sur elle-même. À ses ennemis lepénistes, il lance : « Ce pays est à nous, nous ne partirons pas. Il est à nous tous, et pas seulement aux catholiques blonds aux yeux bleus qui fréquentent Saint-Nicolas-du-Chardonnet. » Sa France à lui, dit-il, est celle des vraies gens, alors que celle des frontistes, il en est convaincu, n’existe que dans les cimetières.
Député européen, Jean-Luc Mélenchon développe un argument qui risque de faire grincer quelques dents au parlement de Strasbourg : « Un Européen du Sud est plus proche d’un Maghrébin que d’un Letton ou d’un Slovaque. » Or la construction de l’UE s’est faite en posant la Méditerranée comme frontière. Pour construire cette communauté de destin, il juge indispensable de sortir de la « prison mémorielle ». « On ne va quand même pas demander des excuses à César pour avoir étranglé Vercingétorix ! » ironise-t-il. De quoi faire réfléchir son ancien camarade, aujourd’hui président de la République ? « Ah ! c’est un brave homme. Mais la réalité maghrébine, je ne suis pas sûr que, depuis la Corrèze, il en ait une perception très claire. » Et toc !
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