Chypre : paradis (fiscal) perdu

En échange d’une aide européenne d’urgence de 10 milliards d’euros, le gouvernement veut taxer les dépôts bancaires. Les investisseurs étrangers sont furieux, russes dans leur majorité.

Chypre est frappée par une grave crise financière liée en premier lieu au défaut grec. © Séverin Millet pour J.A.

Chypre est frappée par une grave crise financière liée en premier lieu au défaut grec. © Séverin Millet pour J.A.

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 18 mars 2013 Lecture : 4 minutes.

De longues queues devant les distributeurs automatiques, le 18 mars, pour retirer en urgence un maximum d’argent liquide… Des manifestations de colère, le lendemain, contre la taxation des dépôts bancaires (« Nous ne serons pas vos cobayes ! »)… Un Parlement qui, le même jour, refuse le sévère plan de sauvetage de 10 milliards d’euros concocté par la « troïka » (Union européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international)…

Chypre est certes une toute petite économie : 0,18 % du produit intérieur brut européen. Mais cette « Suisse de la Méditerranée », comme on la surnomme parfois, n’en a pas moins réussi à déclencher un énième séisme financier dans une Europe décidément bien malade, depuis trois ans, de ses dettes et de la récession. Les Bourses mondiales, les marchés des matières premières et l’euro ont aussitôt plongé.

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Bank of Cyprus et Cyprus Popular Bank, les deux établissements malades, ont un besoin urgent de 10 milliards d’euros pour couvrir leurs pertes. Leur défaut aurait entraîné celui de l’État. Il faut en outre 5 milliards d’euros pour permettre à ce dernier d’honorer ses dettes. Et encore 2 milliards pour lui permettre de fonctionner au quotidien.

Les causes de cette bérézina financière sont, par ordre décroissant :

1. le défaut grec, qui a frappé de plein fouet les banques chypriotes ;

2. les crédits trop généreusement accordés par celles-ci au secteur immobilier (notamment) ;

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3. la fiscalité très attractive mise en place, qui a transformé l’île en paradis fiscal pour les capitaux en quête de blanchiment ;

4. le laxisme du gouvernement et du président (communiste) qui ont laissé filer les déficits budgétaires au moment où l’économie plongeait dans la récession  (2,3 % en 2012, 3,5 %, sans doute, en 2013).

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Hors normes

Après bien des tergiversations depuis le mois de juin 2012, l’accord conclu le 16 mars avec la troïka prévoit l’octroi à Chypre d’une aide de 10 milliards d’euros. Ce qui représente 56 % du PIB de ce pays. C’est le deuxième taux le plus important de l’Histoire après celui dont bénéficia l’Indonésie, en 1997 (57 %), loin devant celui de l’Irlande, en 2008 (41 %). La raison de cette « générosité » ? Le risque de contagion à l’ensemble de la zone euro. Mario Draghi, le président de la BCE, l’a expliqué sans détour, le 7 mars : « Chypre est une petite économie, mais le risque systémique pourrait, lui, ne pas être petit. »

En contrepartie, le gouvernement chypriote est tenu de mettre en place une taxe sur les dépôts bancaires censée rapporter 5,8 milliards d’euros. Dans un premier temps, il a donc décidé de prélever 6,75 % sur les dépôts inférieurs à 100 000 euros, et 9,9 % au-delà. Face à la colère de la rue, le gouvernement a présenté une deuxième mouture du dispositif qui dispense de toute ponction les dépôts inférieurs à 20 000 euros. Inconvénient : la taxe rapportera moins que les 5,8 milliards d’euros prévus. Réaction immédiate de Christine Lagarde, la directrice du FMI : si le gouvernement ne tient pas ses engagements, l’aide ne sera pas versée.

Cette taxe sur les dépôts constitue une première. Jusqu’ici, les sacrifices étaient demandés en premier lieu aux actionnaires des banques, puis aux détenteurs d’obligations, mais jamais aux déposants.

Elle est d’autant plus inacceptable que l’Union européenne garantit à ceux-ci un remboursement de leurs avoirs jusqu’à 100 000 euros, quoi qu’il arrive. Ce manquement à la parole donnée écornerait durablement la confiance des investisseurs dans le paradis fiscal chypriote. Et leur fera craindre d’autres prédations en Espagne ou au Portugal.

Le dilemme du président

Wolfgang Schaüble et Pierre Moscovici, les ministres allemand et français des Finances, ont l’un et l’autre déclaré qu’ils auraient préféré que le gouvernement chypriote exonère totalement de prélèvement les comptes inférieurs à 100 000 euros. Schaüble est allé plus loin en estimant que « quiconque place son argent dans un pays où il paie moins d’impôts » doit en supporter les risques. Une allusion transparente à la flat tax imbattable de 10 % sur les bénéfices des sociétés implantées à Chypre. Et à l’exceptionnelle rémunération de 4,5 % servie aux dépôts à un an.

Le président Anastasiades a donc, à l’inverse, préféré ménager les investisseurs étrangers, qui ont propulsé les avoirs bancaires du pays à un niveau vertigineux : sept à huit fois le PIB !

Dès l’annonce de la taxation des dépôts, le Kremlin a vigoureusement dénoncé une décision « injuste, non professionnelle et dangereuse ». Ce qui s’explique très bien : les Russes sont les premiers déposants étrangers avec un montant qui dépasserait 20 milliards d’euros. Mieux encore, les banques russes ont prêté une trentaine de milliards à des entreprises d’origine russe installées à Chypre. L’oligarque Dmitry Rybolovlev possède quant à lui 9,7 % du capital de Bank of Cyprus. La taxation des dépôts coûterait aux Russes entre 2 milliards et 3 milliards d’euros.

En guise de représailles, le Kremlin menace de refuser tout étalement du remboursement du prêt de 2,5 milliards de dollars déjà consenti à Chypre. Mais parallèlement, pour tenter de faire revenir Nicosie à de meilleurs sentiments, Gazprombank, l’établissement bancaire partiellement détenu par le géant des hydrocarbures, propose d’allouer un crédit de 3 milliards de dollars en échange de licences pour le gisement gazier au large de l’île. Une somme qui est loin de compenser l’éventuel retrait des 10 milliards d’euros promis par la troïka. Les solutions alternatives n’abondent pas. Et le Parlement, réuni le 21 mars – à l’heure où nous mettions sous presse -, s’est trouvé confronté aux pires difficultés pour mettre au point un hypothétique plan B.

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