Sénégal : les Wade, une famille décomposée

Le 25 mars 2012, Macky Sall remportait la présidentielle. Une claque pour son prédécesseur et pour ses proches, habilement placés au sommet de l’État. Depuis, d’accusations de crimes économiques en comparutions devant la justice, rien ne va plus.

Abdoulaye Wade, le 24 Février 2012, à Dakar. © Emilie Régnier pour JA

Abdoulaye Wade, le 24 Février 2012, à Dakar. © Emilie Régnier pour JA

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Publié le 1 avril 2013 Lecture : 9 minutes.

C’était il y a un an. Le 25 mars 2012. Il était un peu plus de 21 h 30 et Macky Sall s’apprêtait, dans un luxueux hôtel de Dakar, à enfiler le costume de quatrième président du Sénégal. Les résultats du second tour de l’élection présidentielle qu’égrenaient les radios le donnaient largement en tête quand le téléphone a sonné. À l’autre bout du fil, les Wade. C’est d’abord Karim, le fils, avec qui il entretient une relation courtoise, qui parle. Puis Abdoulaye, son ancien mentor, prend le combiné : « le Vieux » reconnaît sa défaite. Son épouse, Viviane, clôt la discussion. L’échange aura duré moins de trois minutes.

Huit jours plus tard, Abdoulaye et Viviane quittaient définitivement le palais qu’ils occupaient depuis douze ans. Tout comme leur fille, Syndiély, qui a longtemps officié en tant que conseillère du président. Quant à Karim, il disait adieu à son QG, l’immeuble Tamaro, un bâtiment de dix étages situé à cinq minutes à pied de la présidence devenu une annexe du gouvernement depuis qu’il avait hérité de quatre des plus gros portefeuilles ministériels, deux ans plus tôt.

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Que reste-t-il de cette toute-puissance ? Des débris. La famille « présidentielle » n’a pas résisté à l’épreuve de l’alternance. Dans le secret de leur intimité, peut-être sont-ils soudés comme jamais, mais ce n’est pas l’image qu’ils renvoient. Pendant que Karim, interdit de sortie du territoire, ferraille avec la justice à Dakar, Syndiély poursuit dans la plus grande discrétion sa quête d’aventures sportives. Leurs parents, eux, souffrent de leur retraite solitaire en France, à Versailles, la cité des rois déchus…

Abdoulaye et Viviane, la tempête en solitaire

Après sa défaite, Abdoulaye Wade, qui fêtera bientôt son 87e anniversaire si l’on en croit sa biographie officielle, aurait pu quitter le pays au plus vite comme l’avait fait son prédécesseur en 2000, Abdou Diouf. Mais c’était plus fort que lui : il lui fallait d’abord assurer sa succession politique. Depuis la villa que son vieil ami, Madické Niang, a mise à sa disposition, il a donc réorganisé « son » Parti démocratique sénégalais (PDS), puis mené la bataille des législatives. Un échec : 15 % des voix, 12 sièges sur 150.

Alors, à la mi-juillet, il est parti, « frustré et amer » selon l’un de ses vieux compagnons, d’abord au Maroc à l’invitation de Mohammed VI, puis à Versailles, tout près de Paris, dans la demeure de son épouse. Cela n’a rien d’un palace. C’est une maison à un étage avec jardin, tout ce qu’il y a de plus banal dans cette ville bourgeoise.

Selon l’entourage du couple, Viviane (80 ans) aurait mal vécu la perte du pouvoir et le flot d’accusations de crimes économiques qui a touché sa famille. Personne n’y a échappé, pas même elle. Quelques jours après la défaite de son mari, les nouveaux maîtres du pays l’accusaient d’avoir dépouillé la présidence. Puis la presse a révélé qu’une fondation suisse active dans l’éradication de la pauvreté réclamait à sa propre fondation, Agir pour l’éducation et la santé, le remboursement de 835 millions de F CFA (1,27 million d’euros) depuis plus de un an. L’ex-première dame a rapidement payé sa dette, mais le mal était fait. Le jour des législatives, le 1er juillet 2012, Viviane a craqué : elle a déchiré le bulletin de Bokk Guis Guis, la coalition des dissidents du PDS, avant de tendre les mains à un policier, bras croisés, pour qu’il la menotte…

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Il y a quelques semaines, selon un visiteur d’un jour, « elle semblait ailleurs, comme si elle n’avait pas vraiment réalisé qu’elle n’est plus au pouvoir ». Quand elle s’adresse aux gardes du corps qui accompagnent les Wade depuis plusieurs années et qui font office aujourd’hui d’hommes à tout faire, c’est par leur grade militaire qu’elle les apostrophe. Parmi eux, il y a Baye Moussé Ba, dit Bro, Abdoulaye Diène, dit Ins, inculpé dans l’affaire Barthélémy Dias (du nom de ce maire socialiste soupçonné d’avoir tué un nervi du PDS en décembre 2011), et enfin Lamine Faye, un temps interdit de sortie du territoire en janvier.

Selon un familier, Wade, qui était « irascible et fatigué » lorsqu’il a quitté le Sénégal, « va mieux ». Il lit, il écrit aussi, et continue de donner des consignes à ses lieutenants restés à Dakar : Madické Niang, Samuel Sarr, Ousmane Ngom, Cheikh Tidiane Sy. À distance, il reste le patron du PDS. Mais sa vie n’est pas trépidante. Il rêvait de jouer les faiseurs de paix en Afrique, d’intégrer le cénacle des vieux sages à qui l’on demande conseil et bons offices, mais rien n’est venu. Il sort peu – quelques courses à Paris, dans les librairies notamment – et ne reçoit quasiment jamais, pas même ses enfants chéris. Syndiély passe rarement. Quant à son fils, Karim, il est coincé au Sénégal, comme la plupart de ses hommes de confiance. L’un d’eux, Aïdara Sylla, inculpé de blanchiment d’argent, a été incarcéré début janvier. Lors de son arrestation à l’aéroport de Dakar, il avait en poche des chèques pour plus de 4,5 millions d’euros et un mandat de Wade lui donnant le pouvoir de les utiliser.

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Plus que la mort (« le Vieux se porte bien », selon son entourage) ou que les curieux (le couple vit dans un relatif anonymat), c’est donc la justice qui rôde autour des Wade. Au pays, où il est quasi intouchable de par son statut, toutes les enquêtes menées dans le cadre de la traque aux biens mal acquis tournent autour de lui. En France, l’État du Sénégal a déposé une plainte pour recel de détournement de fonds publics et recel d’abus de biens sociaux dans laquelle son nom est cité. Une enquête préliminaire a été ouverte. De l’acharnement, peste-t-il.

Karim, plus dure est la chute

Pour Karim, 44 ans, le premier anniversaire de l’élection de Macky Sall a l’amertume du leweul, le premier verre de thé. Durant la campagne, Sall avait juré qu’il n’y aurait pas de chasse aux sorcières. Mais au lendemain de la passation de pouvoir, tandis que l’aîné des Wade, sollicité par des fonds d’investissement et des banques d’affaires opérant en Afrique et au Moyen-Orient, croit pouvoir retourner à son ancien métier de banquier, le nouveau gouvernement fait de la traque aux biens mal acquis l’une de ses priorités et de Karim Wade sa cible principale.

Karim Wade, le 15 mars à Dakar.

© Seyllou/AFP

À la fin juin de 2012, il reçoit, comme d’autres dignitaires de l’ancien régime, une première convocation dans le cadre d’une enquête préliminaire pour enrichissement illicite. En novembre, de retour de Paris où il passait le plus clair de son temps, il est soumis à un nouveau round d’auditions devant la section de recherche de la gendarmerie. À la demande du procureur spécial de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), Alioune Ndao, les enquêteurs multiplient les réquisitions auprès des banques, des notaires ou des Impôts et domaines, et sollicitent l’entraide judiciaire de plusieurs pays. Des dizaines de personnes sont entendues comme témoins dans l’espoir de remonter la piste du trésor que le fils de l’ancien président aurait, d’après une haute source judiciaire, dissimulé « en ayant recours à des montages complexes et à divers prête-noms ».

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Fin 2012, Karim Wade et cinq anciens ténors du régime déchu sont interdits de quitter le territoire sénégalais. Malgré une décision en leur faveur rendue le 22 février par la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), le procureur de la CREI s’obstine à les maintenir à portée de main.

Depuis le 14 novembre, l’ancien « ministre du ciel et de la terre » n’a pas quitté le Sénégal ni revu ses trois filles, âgées de 9, 8 et 7 ans, dont la mère est décédée en 2009 et qui vivent en France auprès d’une nourrice. Plus soupçonneux que jamais à l’égard du nouveau régime, leur père rechigne à les faire venir au pays.

Le 15 mars, Alioune Ndao a finalement abattu ses cartes. Karim Wade est mis en demeure de justifier dans un délai de un mois l’origine du patrimoine censé lui appartenir, dont le montant est estimé par ses services à plus de 1 milliard d’euros – soit près du quart du budget annuel de l’État ! Les Sénégalais sont partagés entre l’incrédulité et l’indignation. Karim Wade est ouvertement désigné comme le principal bénéficiaire d’un pillage organisé des deniers publics qui se serait étalé sur une décennie.

Dans la maison familiale du quartier du Point E, où il réside depuis son installation au Sénégal en 2002, défilent les avocats et les hauts cadres du PDS. À chaque étape importante de l’enquête, Karim Wade et sa garde rapprochée rendent visite, à Touba, au khalife général des mourides, l’influente confrérie sur laquelle son père s’était lui-même appuyé pendant son règne.

Dans son entourage, on n’a pas de mots assez durs envers Macky Sall, l’ancien camarade devenu « persécuteur ». Karim Wade, lui, demeure obstinément fidèle à sa ligne de conduite : le mutisme médiatique. Comme s’il avait fait voeu de silence, l’homme dont on parle tant au Sénégal ne s’exprime jamais publiquement. Les médias qui lui sont acquis et les amis font le job pour lui. Lorsqu’il accepte de rencontrer un journaliste, c’est toujours off the record. C’était déjà le cas quand il était le ministre le plus influent du Sénégal. C’était il y a un an, une éternité pour celui à qui certains prédisent désormais la prison.

Syndiély, loin des yeux…

La cadette des Wade a fêté son quarantième anniversaire en décembre. Où ? Difficile à dire. Au Sénégal, ses amis gardent le silence sur sa nouvelle vie. Quant aux fréquentations avec qui elle allait faire un footing de temps en temps, elles n’ont plus de nouvelles. Certains la situent à Genève, où elle possédait un appartement avant l’élection de son père. D’autres la disent en France ou au Sénégal…

En 2008, Syndiély Wade avait pris le départ du Dakar. ©Christophe ENA/Sipa

Comme lorsqu’elle officiait à la présidence en tant que conseillère, Syndiély Wade cultive le secret. Au téléphone, elle ne veut rien lâcher. Lorsqu’elle vous rappelle, c’est avec un numéro caché. « Je n’avais aucune raison d’évoquer ma vie privée quand j’étais à la présidence, je n’en ai pas plus aujourd’hui », explique-t-elle. Elle ne parlera donc ni de son frère, dont elle suit « de loin » les ennuis judiciaires, ni de ses parents (leur entourage regrette qu’elle ne leur rende pas plus souvent visite), ni de sa nouvelle vie. Seules certitudes à son sujet : elle est encore conseillère honoraire du Programme des Nations unies pour le développement (cela fait dix ans) et elle est toujours accro au sport. Depuis le 16 mars, elle participe à son septième Rallye Aïcha des Gazelles au Maroc, une course de voitures réservée aux femmes qu’elle a déjà remportée en 2011.

Fan d’équitation et de foot, elle a participé à quatre Dakar, à plusieurs raids aventures et à des marathons. Elle rêve désormais de partir dans l’espace. Mais la nouvelle réalité sénégalaise pourrait la rattraper. Si, pour l’heure, elle ne fait l’objet d’aucunes poursuites, elle est dans le viseur du pouvoir. Sa gestion du Festival mondial des arts nègres (Fesman), qu’elle a organisé à grands frais en décembre 2010 à Dakar à la demande de son père, est qualifiée de « scandaleuse » par l’entourage de Macky Sall. « Le Fesman, c’est un gouffre. Tout est obscur. Des milliards se sont envolés », confie un collaborateur du président qui a lu l’audit concocté par l’Inspection générale d’État.

La justice française aussi pourrait s’intéresser à elle. Dans la plainte déposée par le Sénégal à Paris figurent les noms de deux sociétés civiles immobilières créées en France par les Wade après leur arrivée au pouvoir (Synka, soit la contraction de Syndiély et Karim, en 2001, et Yakaar, en 2004). Toutes deux sont immatriculées à son nom. 

Dans la famille Wade, je demande le neveu…

Durant le second mandat de son oncle, Amadou Moustapha Wade, dit Doudou, a présidé le groupe PDS à l’Assemblée. À 80 ans, et depuis la débâcle électorale de l’année dernière, il a perdu son siège de député, mais il continue de jouer un rôle important au sein du parti et aux côtés de Karim. Lui aussi a eu maille à partir avec la justice : en juillet, il a dû s’expliquer sur l’origine de sa fortune.

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Par Mehdi Ba, à Dakar, et Rémi Carayol

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